Prof. Marie-Françoise ALAMICHEL, Université Gustave Eiffel


Traduction française


    Il était un prêtre sur terre (1) qui s'appelait La3amon. Il était fils de Leovenath - que Dieu lui accorde sa miséricorde ! Il habitait une belle église à Ernley (2) sur les bords de la Severn - endroit qu'il trouvait plaisant - près de Radestone où il lisait des livres (3). Il lui vint à l'esprit une heureuse idée, celle de narrer les nobles faits des Anglais (4), de dire comment ils se nommaient, d'où ils venaient et qui posséda le sol anglais aux temps les plus anciens, après le déluge qu'envoya le Seigneur, déluge qui détruisit tout ce qui était vivant ici-bas à l'exception de Noé, Sem, Japhet, Cham et leurs quatre femmes qui étaient avec eux dans l'arche. La3amon partit parcourir tout le pays et se procura les nobles livres qu'il a utilisés comme modèles. Il prit le livre que saint Bède avait écrit (5); il en sélectionna un autre, en latin, composé par saint Albin et saint Augustin le juste qui introduisit le baptême dans notre pays (6). Le troisième livre qu'il choisit et ajouta aux autres fut l'oeuvre d'un clerc français du nom de Wace qui écrivait avec beaucoup de talent. Celui-ci donna (son ouvrage) à la noble Aliénor, épouse du grand roi Henri (7). La3amon plaça ces livres (devant lui) et tourna les pages. Il les contempla avec amour - que Dieu lui accorde sa grâce ! Il prit une plume entre les doigts, écrivit sur du vélin, assembla les mots justes et condensa les trois livres en un seul.

    Et maintenant La3amon demande, pour l'amour du Tout Puissant, à chaque noble personne qui lira ce livre et en tirera des enseignements de réciter ces mots justes : "Pour l'âme de son père qui l'éleva, pour l'âme de sa mère qui le mit au monde et aussi pour son âme à lui afin qu'il en aille d'autant mieux pour elle. Amen". Maintenant, celui qui était prêtre sur cette terre va vous dévoiler, en un chant de gloire, tout ce dont parlent les livres qu'il a utilisés comme modèles.

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    Les Grecs avaient conquis Troie par ruse. Ils avaient ravagé le pays et massacré les habitants pour venger la femme du roi Ménélas, Hélène - une étrangère que Pâris Alexandre séduisit grâce à un stratagème malhonnête (8). Pour elle, cent mille personnes moururent en un jour ! Le duc Enée (9)parvint à s'enfuir, avec grande difficulté, de la bataille qui faisait rage. Il n'avait qu'un fils qui s'échappa en même temps que lui, et qui s'appelait Ascagne. Il n'avait pas d'autre enfant. Et ce duc - avec sa suite - conduisit (son fils) jusqu'à la mer. Il remplit entièrement vingt bons navires de parents, de gens qui le suivirent, d'hommes et de biens qu'il fit apporter jusqu'au rivage. Les bateaux voguèrent loin sur les eaux houleuses. Ils subirent des avaries à cause de tempêtes (10) et du mauvais temps, et, touchèrent terre en triste état. [54]

    Ils débarquèrent en Italie, là où Rome se trouve aujourd'hui, mais Rome n'était pas encore peuplée et ne le serait que de nombreuses années plus tard. Le duc Enée, en compagnie de ses gens fidèles, avait voyagé loin sur la vaste mer, il avait contourné bien des pays à la rame. Personne ne pouvait le conseiller. Il débarqua en Italie et en fut heureux. Il y trouva de la nourriture qu'il obtint avec honneur contre de l'or et des présents et il prononça des paroles de paix. Il débarqua au bord du Tibre là où la mer vient caresser le sable, tout près de l'endroit où Rome s'étend de nos jours. [64]

    Le roi de ce pays s'appelait Latinus, il était noble, puissant et très avisé mais était accablé par la vieillesse - Dieu le voulait ainsi ! Enée arriva là, salua le vieux roi qui le reçut avec courtoisie, lui et tous ses gens, lui donna beaucoup de terre et lui en promit d'autres, lointaines et vastes, le long de la mer. Cela déplut à la reine mais elle le supporta néanmoins. Le roi avait une fille qu'il aimait beaucoup. A Enée, il promit la main de cette fille, et, après sa mort, la totalité de son royaume, car il n'avait pas de fils - son coeur en était bien triste ! La jeune fille se nommait Lavinie ; plus tard elle fut reine du pays. Elle était belle et plaisait aux hommes. Mais un certain Turnus, duc de Toscane, aimait la jeune fille et lui fit l'hommage de la vouloir pour noble reine. Puis il entendit dire, ce qui était déjà largement connu, que le roi Latinus donnait se fille Lavinie en mariage à Enée parce qu'elle était son enfant chérie. Turnus fut désolé et rempli de tristesse car il avait aimé Lavinie avec passion et lui avait juré son amour (11). Turnus déclara la guerre, il était poussé par la colère. Il engagea contre Enée une bataille qui fut extrêmement violente. Les guerriers combattirent corps à corps, l'animosité était de part et d'autre. Puis Turnus tomba, épées brisées, honneur perdu ! [91]

    Enée épousa Lavinie avec amour. Il fut roi et elle fut reine, ils gouvernèrent leur royaume dans la paix et l'harmonie et ils s'aimaient tendrement. Après avoir épousé Lavinie et conquis le pays, Enée fit construire un château fort aux épais murs de pierre. Sa dame s'appelait Lavinie aussi appela-t-il le château Lavinium (12) ; c'était en hommage au grand amour qu'il avait pour elle. Il vécut avec sa dame quatre années (13) de félicité ; au bout du quatrième, il mourut. Ses amis déplorèrent cette mort. La reine Lavinie portait en elle un enfant royal. Peu de temps après, la reine eut un fils pour se consoler. On l'appela du nom noble de Silvius Enée. Ascagne, son frère, qui vint de Troie avec son père, s'occupa du nourrisson royal avec beaucoup d'attention. Ascagne était le frère de l'enfant mais il n'avait pas la même mère. Sa mère, qui s'appelait Creüse, était la fille du roi Priam et Enée, son père, la perdit à Troie. Ses ennemis s'emparèrent d'elle pendant la bataille. [109]

    Ascagne fut à la tête de ce royaume pendant de longues années et fit construire une haute forteresse du nom d'Albe-la-Longue (14). La forteresse fut prête en peu de temps, il la donna à sa belle-mère, par amour pour son frère, ainsi que Lavinium, le château que son père avait fait construire de son vivant, et de nombreuses terres. Il lui donna ces terres jusqu'à sa mort. Mais il garda l'idole - qu'il prenait pour Dieu - qu'Enée avait apportée de Troie avec son armée. Il l'installa à Albe-la-Longue mais bientôt elle en disparut. Le démon la renvoya, poussée par le vent. [120]

    L'ardent Ascagne, qui était à la place du roi, fut le maître heureux de ce pays et de ce peuple pendant trente-quatre années. Puis il mourut, malgré qu'il en eût. Il donna toutes les terres, qu'Enée avait possédées, à son frère Silvius, le fils de Lavinie. Ascagne avait un fils qui s'appelait Silvius. Cet enfant portait le même nom que son oncle mais il ne vécut que peu de temps car son propre fils, par la suite, le blessa à mort. Lorsque cet enfant eut grandi, il aima une jeune fille qui était la nièce de Lavinie. Il l'aimait en secret. Il arriva - ce qui se passe presque partout - que cette jeune fille devînt enceinte alors qu'Ascagne vivait encore et était le maître du pays. On découvrit que la jeune femme attendait un enfant. Alors Ascagne - qui était seigneur et maître - envoya chercher, dans tout le royaume, ceux qui connaissaient des chants magiques. Car Ascagne voulait savoir, grâce à leurs connaissances occultes, ce qui se trouvait dans le ventre de la femme. Ils jetèrent leurs sorts. Le Diable était parmi eux ! Grâce à leur art, ils découvrirent de bien tristes choses (15): que la femme attendait un fils qui était un enfant hors du commun qu'il tuerait son père et sa mère ; ils mourraient de sa main et subiraient la mort ! Et, à la suite du décès de ses parents, il serait chassé du pays et reviendrait longtemps après avec les honneurs. Le sort fut jeté et tout se passa selon la prédiction. Lorsqu'arriva le jour de la naissance de l'enfant dans la ville, la femme mourut mais l'enfant vint au monde bien vivant, provoquant le trépas de sa mère. L'enfant fut appelé Brutus, le nourrisson n'était pas voué à la mort. Cet enfant vécut, il grandit bien, tout rempli de qualités. Lorsqu'il eut quinze ans, il alla en forêt ; son père l'accompagna et trouva la mort. Ils rencontrèrent un troupeau de cervidés imposants, le père s'en approcha pour son unique malheur. Il les rabattit vers son fils, pour sa propre ruine ! Brutus prépara sa flèche. Il pensa viser le grand cerf mais toucha son propre père, et lui transperça la poitrine. Désespéré fut alors Brutus ! Désespéré d'être vivant alors que son père était mort ! Lorsque les membres de sa famille, dont il descendait, apprirent qu'il avait tiré la flèche et tué son père, ils le bannirent du pays. Il partit, envahi par la tristesse, sur les courants marins jusqu'en Grèce où il trouva ses parents du peuple de Troie, douloureusement dispersés : des parents de la reine Hélène - fille du roi Priam (16)- de nombreuses personnes de sa nation - mais tous étaient esclaves - ainsi qu'un grand nombre d'hommes de noble naissance de sa propre famille. Bien des années s'étaient écoulées depuis que ses ancêtres étaient arrivés en ce lieu. Les hommes s'étaient multipliés, les femmes avaient prospéré, et leurs troupeaux étaient abondants. [173]

    Il fallut peu de temps à Brutus pour se faire aimer de tous et se voir couvert d'honneurs car il savait faire plaisir aux gens ; il était généreux, ce qui est un grand mérite. Tous ceux qui le rencontraient l'estimaient. Ils lui offraient des cadeaux et l'accueillaient avec courtoisie. [179]

    Lors d'une réunion et de conversations secrètes, ils lui dirent - s'il en avait le courage et l'osait faire - de bien vouloir les conduire hors du pays, les délivrer de l'esclavage et les rendre libres ; alors ils feraient de lui le chef et le maître de son peuple. "Nous avons, dirent-ils, sept mille bons chevaliers, sans compter les femmes qui ne connaissent rien aux armes ; des enfants et des paysans qui prendront soin de nos troupeaux - car notre vie sera souffrance et douleur tant que nous ne désirerons pas fuir pour nous libérer de nos ennemis". Tous ceux qui étaient présents à cette réunion approuvèrent ces paroles. [190]

    En Grèce il y avait un jeune homme âgé de trente ans qui s'appelait Assaracus et qui était de très haut lignage. Son père était un noble grec mais sa mère descendait des Troyens, c'était une concubine - elle ne comptait pas beaucoup ! Néanmoins, quelques années plus tard, son père mourut, il quitta les siens. Il donna à Assaracus, son fils, trois bons châteaux et toutes les terres qui s'étendaient autour. Assaracus avait un frère, qui était né d'un mariage contracté selon la coutume païenne, établie dans le pays à cette époque. Ce chevalier avait reçu les terres de son père. Il était détesté de son frère parce qu'il possédait les châteaux forts, hérités de son père. Son frère voulut s'en emparer mais n'y parvint pas. Alors éclatèrent massacres, luttes et nombreuses calamités ! Assaracus était un bon chevalier. Il combattit les Grecs à maintes reprises, mais il avait beaucoup de force comme tous ceux de la puissante race de sa mère - les Troyens qui étaient parents de celle-ci. Par suite de la loi de parenté, l'affection les liait. Assaracus conseilla, en secret, que le peuple de Troie tout entier accueille le chevalier Brutus, le nomme duc et qu'il reçoive leur hommage avec honneur. [212]

    (Brutus)envoya ses messagers dans le monde entier. Il ordonna à son peuple de se rassembler et de venir à lui. Il les convoqua tous : hommes et femmes, riches et pauvres et les envoya dans la forêt à l'exception de sept mille guerriers qu'il plaça dans les châteaux. Ensuite, il envoya un très grand nombre de cavaliers pour obtenir armes et provisions, dont ils avaient grand besoin. Il posta toutes les personnes de condition inférieure sur les montagnes tandis que lui et son armée se plaçaient à l'avant et à l'arrière. Ensuite il réunit son conseil et, après discussion, rédigea une lettre pleine de sagesse. Il salua le roi Pandrasus avec des mots apaisants et lui envoya une lettre qui disait : "Pour la honte du monde et pour son grand déshonneur, les Dardaniens (17) , dont nous descendons, vivent dans ce pays comme objet de honte et travaillent en tant qu'esclaves ; ils sont venus tous ensemble - hommes estimables ! comme un peuple qui veut obtenir sa liberté. Ils ont décidé que je serai leur maître. J'ai dans mes châteaux sept mille guerriers. J'en ai aussi plusieurs milliers dans les montagnes. Ils préfèrent vivre de racines de plantes comme le cochon sauvage qui creuse les sillons de son groin plutôt que de supporter l'esclavage plus longtemps. Ne t'étonne pas qu'ils veuillent obtenir leur liberté. Ils te demandent amicalement de leur rendre leur liberté. Ils t'adressent ces mots d'un commun accord, comme le dit le message, pour qu'ils puissent vivre où ils le désirent en paix et en harmonie. Ils garderont leur affection pour toi. Si tu n'acceptes pas, il t'arrivera le pire". [243]

    Le roi prit la lettre en main et la parcourut avec colère. Un tel discours lui parut étrange ! Puis il parla sans réserve. Il dit avec menace : "Ils ont travaillé à leur propre destruction. Les esclaves de mon propre royaume qui me menacent ! Il fit savoir dans tout le pays - car il était roi de cette contrée - que devaient venir à lui les personnes riches et pauvres, les hommes qui étaient en mesure de se battre, sous peine de mort et selon la loi, ainsi que tout le peuple du pays. Ils arrivèrent à pied et à cheval. Le roi menaça Brutus et Assaracus de les encercler eux et leurs affreux compagnons et s'il parvenait à les vaincre grâce à son armée, il les pendrait tous à de grands arbres.[257]

    Brutus entendit dire, ce qui était la vérité, que le roi Pandrasus se dirigeait vers lui avec une armée puissante - mais beaucoup étaient voués à la mort ! Brutus réunit un conseil pour savoir ce qu'il avait de mieux à faire. Il choisit ses hommes valeureux, ceux qui étaient de bons guerriers. Il traversa un bois, des terres désolées jusqu'à un chemin où il savait fort bien que le roi et son armée passeraient. Brutus avait besoin d'hommes vaillants. Trois mille vinrent avec lui jusqu'à ce défilé. Le roi arriva à cheval vers eux, suivi de sa puissante troupe. Brutus les attaqua en leur assénant des coups sévères. Il chercha les Grecs et les assaillit farouchement. Les Grecs n'avaient pas conscience de l'étendue de leurs pertes. Ils tournèrent le dos à Brutus et ces nobles hommes s'enfuirent. Il y avait non loin de là une rivière qui s'appelait Achalon (18) ; ils s'y précipitèrent par milliers. Brutus les poursuivit et, sans relâche, les cloua au sol. Avec son épée et sa lance, il dispersa entièrement l'armée du roi. Il les abattit sur terre et dans le fleuve. Et le roi lui-même s'enfuit lorsqu'il vit tomber ses amis. Un grand nombre d'hommes furent massacrés de diverses manières. Le roi avait un frère - il n'en avait qu'un - qui s'appelait Antigonus. En Grèce, il occupait un rang élevé. Il vit comment les troupes de son frère s'étaient retrouvées dans la rivière et sur la terre pour leur plus grand malheur. Antigonus, avec ses armes et ses féroces guerriers, se dirigea vers Brutus, mais pour sa propres perte ! Ils s'affrontèrent, pleins de courage. Alors tout spectateur aurait pu contempler plus d'une affliction, des souffrances en grand nombre. De nombreuses têtes, de nombreuses mains tombèrent aux pieds (des combattants). Beaucoup d'hommes luttèrent, beaucoup d'autres s'enfuirent ; beaucoup jonchèrent le sol à cause de leur félonie. Les Troyens tuèrent tous les Grecs qui s'approchèrent. [292]

    Brutus s'empara d'Antigonus, frère du roi Pandrasus. Il l'escorta lui-même car il était heureux de l'avoir fait prisonnier. Il fit en sorte qu'il ne puisse s'échapper en l'attachant avec des liens solides ainsi que tous les hommes qu'ils trouvèrent avec lui. Le roi Pandrasus apprit - ce qui ne lui plut guère - que son frère Antigonus avait été fait prisonnier. Le roi envoya des messagers jusqu'aux confins de son royaume et ordonna que tout homme qui pouvait aller à cheval ou marcher devait se rendre au château de Sparatin(19). Il n'y avait pas de château plus puissant dans toute la Grèce ! Il pensa, en vérité - bien que ce ne fût pas vrai - que Brutus avait mis les hommes qu'il avait capturés pendant la bataille dans le château, qu'il les détenait là vivants et qu'il était venu avec eux, vu l'importance de la prise. Mais Brutus eut une meilleure idée et c'est pourquoi il eut le dessus. Il plaça dans le château six cents de ses bons chevaliers ; quant à lui, il alla avec ses prisonniers dans la forêt. [309]

    Le roi (Pandrasus) se dirigea vers le château suivi de son armée. Là, il disposa ses troupes. A l'intérieur de la forteresse, se touvaient ses ennemis mortels. Il posta ses troupes de chaque côté. Elles se lancèrent plusieurs fois à l'assaut en se précipitant toutes ensemble. Le combat fit rage : armes d'acier, coups violents, troncs d'arbres et pierres furent utilisés. Sous le feu grégeois (20) tombèrent ceux qui étaient voués à la destruction. Beaucoup de sang coula. Maudite soit cette calamité ![317]

    Les chevaliers du château résistèrent vaillamment afin que les hommes du roi ne les massacrent pas. Mais le roi perdit plusieurs milliers de ses guerriers. Le roi était affligé à cause de la mort de ses hommes. Il rebroussa chemin un moment, menaça le château et ceux qui se trouvaient à l'intérieur. S'il gagnait, il voulait les tuer ou les brûler vivants. Il fit creuser un fossé très profond autour de son armée et le renforça avec des buissons épineux ; il s'installa aux alentours et attendit l'infortune. Le roi était dans une grande colère et jura plusieurs fois qu'il ne partirait pas de là tant que ses ennemis ne seraient pas morts. A l'intérieur du château, il y avait de nombreux hommes et il leur fallait beaucoup de nourriture ; celle-ci diminuait car ils étaient nombreux à prendre leur part. Ils choisirent un messager, bien approprié à la tâche, et l'envoyèrent à leur seigneur qui leur était très cher. Ils le saluèrent avec des mots aimables et le prièrent de venir les aider de toutes ses forces pendant qu'ils étaient en sécurité, eux qui étaient ses braves chevaliers. Brutus songea à cette nécessité et dit avec sincérité: "Qui aide ses amis s'honore lui-même ; aussi vais-je aider les miens, de par ma vie !" [340]

    Un homme, de bonne naissance, appelé Anaclet, se trouvait en ces lieux ; il avait été pris en même temps que le frère du roi et gisait à l'intérieur, enchaîné. Brutus se précipita vers lui et l'aborda brutalement. Il l'attrapa par la tête comme s'il voulait le tuer et plaça son épée sur son cou. Et Brutus le bon prononça ces paroles : "Misérable, tu vas mourir à moins que tu ne fasses ce que je te dis, et, ton seigneur aussi mourra, sauf si tu suis mon commandement. Si tu le veux, tu peux fort bien te sauver, toi et ton maître". "Seigneur, répondit Anaclet, je respecterai tes ordres et sauverai ma vie et celle de mon seigneur de toutes mes forces". "Fais ainsi, répondit Brutus et tout sera pour le mieux pour toi. Vous conserverez la vie, vos membres et deviendrez mes amis bien-aimés". Brutus lui jura qu'il ne reviendrait pas sur sa promesse. "Ainsi, dit Brutus - qui faisait partie des meilleurs chevaliers - cher Anaclet, tu partiras ce soir, à l'heure la plus propice, c'est-à-dire lorsque les gens vont se coucher ; tu rejoindras l'armée du roi et lorsque tu parviendras près des chevaliers qui protègent le roi, tu trouveras sept cents guerriers des plus vaillants. Tu les appelleras et leur parleras familièrement de la façon suivante : "Je suis Anaclet, j'ai réussi, à grand peine, à me libérer des chaînes avec lesquelles Brutus m'avait attaché. Et j'ai aussi autre chose à vous dire : j'ai réussi à faire sortir le frère du roi de prison, du lieu de mort où Brutus l'avait mis, car il devait le pendre demain, mais je l'ai caché dans la forêt. Chevaliers, venez avec moi ! Laissons dormir le roi et allons, aidés de votre bonne fortune, aussi silencieusement que si nous nous disposions à commettre un vol. Je vais vous conduire auprès de mon propre seigneur à la lisière de la forêt où il est étendu (à l'ombre) du feuillage. Si vous l'amenez devant notre roi, celui-ci se réjouira de ce geste et il en découlera de bonnes choses pour vous ; notre seigneur sera vraiment heureux car c'est son frère et il n'en pas d'autre". [375]

    Anaclet était connu de tous les chevalier et ils le reconnurent ; ils crurent qu'il disait vrai mais tout n'était que mensonges car il trahissait ses compagnons. Il n'existe nulle part d'homme suffisamment avisé pour n'être jamais trompé. Anaclet marcha devant, les chevaliers le suivirent. Il emprunta un chemin dans une vallée ainsi que Brutus le lui avait recommandé. Brutus avait placé ses hommes à l'avant et à l'arrière. Le défilé était profond et long, les versants escarpés. Brutus se précipita vers les arrivants avec des forces supérieures ; il s'empara de tous les guerriers, n'en laissa aucun ! Il en tua certains, en ligota d'autres, laissa en vie les meilleurs et prit soin de tous, selon ce qu'il jugeait être le mieux. Brutus dénombra son armée et la partagea en quatre divisions. Il ordonna à tous ses hommes de se distinguer, aux jeunes et aux anciens de devenir de valeureux et braves guerriers contre l'ennemi et de se précipiter vers le roi. "Et j'interdis à mes comtes fidèles, au nom de l'attachement qui nous lie, qu'aucun ne soit assez impétueux, assez insensé pour prononcer des paroles, de parler fort avant qu'il ne m'entende souffler avec force dans mon cor. Car je vais me rendre devant la tente du roi et sitôt descendu de cheval, je sonnerai du cor. Dès que vous l'entendrez, mes bons chevaliers, alors, hardiment, frappez ! Arrachez les adversaires à leur sommeil ! Que les Grecs s'effondrent à terre ! Que tombent ceux qui doivent mourir ! Car ils sont nos ennemis mortels !" Tous les chevaliers firent ce que leur avait dit Brutus, tandis que ce dernier allait se poster devant la tente du roi ; il sauta de son cheval et souffla fortement dans son cor. Les Troyens l'entendirent et s'avancèrent vers les Grecs. Ils les réveillèrent en leur assénant des coups terribles. Alors des têtes volèrent sur le champ de bataille, ceux qui étaient voués à la mort tombèrent ! De nombreuses mains, de nombreux pieds (furent tranchés). Leur destin fut des plus misérables. Plusieurs milliers s'enfuirent, traînant leurs entrailles avec eux ; Brutus, aidé de ses chevaliers, se saisit du roi. Il cria fortement : "J'ai capturé le roi de ce peuple ! Abattez ces gens, ne laissez aucun être vivant s'échapper dans le bois. Je tiens à emmener moi-même ce roi".[416]

    Alors Brutus prit possession de tout ce qu'il y avait devant lui. Il libéra Sparatin, son noble château. Le lendemain, lorsqu'il fit jour, une fois la nuit achevée, Brutus convoqua ses gens : ils étaient pleinement ses amis, il ordonna à son armée, par égard pour lui, de relever les morts et de les enterrer convenablement. Dans des tombes profondes, reposeraient les défunts. Et ce fut vite fait car il y avait des milliers de gens pour aider. Brutus partagea avec ses chevaliers tout le butin gagné et il récompensa tous ses hommes bien-aimés par des présents. Lorsque tout ceci fut fait, il fit une autre chose. Il fit monter des gens sur les hauteurs et proclamer très fort que le lendemain, tout son bon peuple devait se réunir et tous ses dignitaires devaient se rassembler pour tenir un conseil. Ils le firent tous. Ce fut un jour de joie. Les gens arrivèrent tous ensemble- - valeureux chevaliers - et leur seigneur leur parla en ces mots : "Ecoutez mes chevaliers, écoutez mes hommes bien-aimés. Faites-moi part pendant cette discussion des avis qui vous viennent à l'esprit. Je tiens enchaînés le roi du pays ainsi que son frère - voilà qui est bien pour nous - et j'ai massacré ses gens ; je suis son ennemi mortel. J'ai donné toutes ses possessions à mes nobles. Si vous me le conseillez, vaillants guerriers, je lui trancherai la tête de mon épée ; et si vous le souhaitez, je le mettrai à mort ; mais, si vous le conseillez, je lui rendrai la liberté, à condition qu'il me donne des richesses, de l'or, de l'argent et tous ses trésors, étant entendu qu'il conservera la vie". [445]

    Alors les nobles chevaliers répondirent : certains souhaitaient qu'on le tue puis que Brutus s'empare de ce territoire et devienne roi du pays. D'autres parlèrent différemment et leur propos était le suivant : "Que le roi nous donne tout son or et les richesses de ses terres ; qu'il nous donne des vêtements, des chevaux, des tissus précieux, des chevaux, qu'il nous donne une partie de son royaume et des otages en plus (21) ; cela nous semble bien". Nombreux étaient les dignitaires qui ne savaient pas s'il valait mieux partir ou rester. [455]

    Pandrasus répondit avec tristesse : "Vous réclamez ma fille si gracieuse, vous me retenez enchaîné, moi et mon frère Antigonus qui connaît un cruel supplice ; vous avez tué mes hommes et maintenant vous exigez mes richesses et ma fille bien-aimée pour le profit d'un homme aussi détestable ! Mais celui qui est enchaîné ne peut que s'incliner ! Je vous accorde votre requête, bien que j'y répugne ; et si vous vouliez rester parmi mon peuple, je remettrais entre les mains de Brutus le tiers de mon pays, accorderais la liberté à ceux de sa race et deviendrais votre ami. Je donnerais Ignogen, ma fille à votre chef et, de la sorte, nous pourrions vivre comme des parents unis, mener et passer notre vie ensemble. Alors Brutus - qui était Duc de naissance - répondit : "Nous ne voulons pas de cette proposition, nous voulons partir ; quant à toi, préserve-toi, au plus vite, de la mort : donne-nous ce que nous désirons si tu veux vivre !". Le roi envoya ses messagers à travers toute la Grèce, demandant à ses sujets de lui faire parvenir toutes ses possessions, d'appareiller ses bons navires près du littoral, de founir noblement tout ce qui, en outre, conviendrait car, ainsi, ils sauveraient leur seigneur de la mort. Tous les hommes obéirent au roi : les navires furent apprêtés et entièrement chargés de marchandises. Le roi donna sa fille, qui lui était chère, à Brutus et tout l'accord fut respecté. [548]

Alors, la troupe prit le départ. Les valeureux chevaliers se rendirent jusqu'à la mer. Grande était la joie que Brutus ressentait ! Brutus prit Ignogen et la mena dans le navire. Ils tendirent les cordes, dressèrent les mâts et hissèrent les voiles. Le vent était favorable. Seize fois de suite, vingt bâteaux quittèrent le port ainsi que quatre grands vaisseaux qui étaient en pleine charge : ils transportaient les meilleures armes que Brutus possédait. Ils s'éloignèrent du rivage et quittèrent la Grèce. Ils s'engagèrent dans la vaste mer, les flots étaient calmes. Ils restèrent en mer deux jours et deux nuits. [559]

Le second jour, dans la soirée, ils touchèrent terre. Cette île s'appelait "Logice" . Elle n'était pas habitée, il n'y avait ni homme, ni femme seulement des chemins déserts. Des pirates avaient ravagé ce territoire, et tué tous les habitants, c'est pourquoi il était à l'abandon et dépeuplé. Mais il y avait tant d'animaux sauvages que cela leur sembla une vraie merveille ! Et les Troyens s'approchèrent des animaux, en tuèrent à volonté et les portèrent jusqu'aux bateaux. Dans l'île, ils trouvèrent un château très fortifié dont les murs étaient détruits et les salles en ruine. Ils trouvèrent là un temple de marbre, imposant et superbe. le Démon y était maître ! A l'intérieur, il y avait une image représentant une femme belle et très grande. Elle répondait au nom païen de Diane ; le Démon l'aimait ! Elle faisait de la sorcellerie et le Démon l'assistait. C'était la reine de tous les bois de la terre. Selon les lois païennes, on la tenait pour une grande déesse. Les magiciens avaient recours à elle pour apprendre les choses à venir qu'elle leur faisait connaître à l'aide de signes et de songes lorsqu'ils étaient endormis. A l'époque où des hommes vivaient dans l'île, ils adoraient cette image que le Démon recevait. [583] Brutus en entendit parler par ses marins qui avaient déjà été dans ce territoire et qui connaissaient ces pratiques. Brutus prit douze sages qui étaient ses hommes les plus avisés ainsi qu'un prêtre chargé des rites qui existaient alors à cette époque païenne. Le prêtre s'appelait Gérion, c'était un homme important de la communauté. Il se rendit au lieu dans lequel se trouvait Diane. Brutus entra dans le temple, les douze (sages) le suivirent ; il laissa tous ses gens à l'extérieur. [591]

Il portait une coupe d'or rouge à la main qui contenait du lait et un peu de vin. Le lait provenait d'une biche blanche que Brutus avait abattue de ses propres mains. Près de l'autel, il fit un feu très agréable. Il tourna neuf fois autour de l'autel, par nécessité. Il appela la Dame qui lui tenait tant à coeur. Avec des mots charmants, il loua sa puissance. Il baisa plusieurs fois l'autel, l'air ravi. Il versa le lait sur le feu en prononçant ces mots charmants : "Dame Diane, Diane bien-aimée, j'ai besoin de ton aide ! Initie moi, conseille moi grâce à ton savoir, dis moi où je peux aller et amener mon peuple dans un pays agréable où je pourrai demeurer. Si j'obtiens ce pays et que mon peuple puisse y aller, alors je te dédierai un lieu glorieux et te vénérerai grandement". Ainsi parla Brutus, puis il prit la peau, qui était celle de la biche, et l'étendit devant l'autel comme s'il voulait se mettre au lit. Il s'agenouilla dessus puis s'allongea. Alors, il s'assoupit et peu après s'endormit. [613]

Il lui sembla alors, dans son rêve, à l'endroit où il était endormi, que sa Dame Diane le contemplait avec affection, lui adressant de gentils sourires. Elle lui promit du bien et, avec courtoisie, posa la main sur la tête de Brutus. Puis elle lui parla ainsi, à l'endroit où il était endormi : "Par delà la France, vers l'ouest, tu trouveras un beau pays qui est entouré par la mer ; là tu connaîtras la prospérité. Il y a des oiseaux et des poissons ; de splendides animaux y demeurent. Il y a des bois, de l'eau, de nombreuses terres inhabitées : le pays est très beau. Les sources y sont excellentes. Des géants très robustes habitent ce pays qui s'appelle Albion mais il n'y a pas d'êtres humains. Tu vas te rendre dans ce territoire où tu fonderas une nouvelle Troie. De ta race sera issue une lignée royale et tes puissants descendants règneront sur ce pays ; ils seront célébrés dans le monde entier. Quant à toi, tu seras sain et sauf". Alors Brutus se réveilla, il était bien vivant ! Il songea à son rêve et à ce que la dame lui avait dit. Avec beaucoup d'amour, il raconta à ses gens comment il s'était mis à rêver et ce que la dame lui avait répondu. Il la remercia vivement avec des mots courtois et lui promis - ce qu'il respecta effectivement - qu'il l'honorerait et lui bâtirait un temple, lui façonnerait une image en or rouge lorsqu'il atteindrait ce pays et que tout au long de sa vie, il accomplirait sa volonté. Ils prirent congé d'elle et regagnèrent les navires. [638]

Près de Ruscikadan , ils s'engagèrent dans la mer et dépassèrent le mont Azare . Au large, ils rencontrèrent des pirates - les plus vaillants qui soient en ces jours ! Cinquante navires pleins ! Il y avait trop d'ennemis ! Ils combattirent Brutus et abattirent certains de ses hommes mais Brutus eut le dessus. Il tua ceux qui étaient voués à la mort et enchaîna les vivants. A cette occasion, Brutus remporta toutes sortes de biens, un grand trésor et des vivres en quantité. Son honneur en fut renforcé ! Brutus n'avait pas d'homme si pauvre qu'il ne portât sur lui de l'or et un grand manteau ! De là, il poursuivit son voyage qui dura de nombreux jours. Ils longèrent la Moulouya qui est un fleuve d'une très grande longueur et débarquèrent en Mauritanie. Ils parcoururent ce pays et tuèrent les habitants. Ils tranportèrent jusqu'à leurs navires la boisson et la nourriture qu'ils trouvèrent et tout ce qui leur sembla des plus beaux : ils s'emparèrent, dans ce pays, de tout ce qu'ils voulaient. Puis ils poursuivirent leur voyage qui était fructueux. Ils avaient obtenu un grand butin. Puis ils arrivèrent aux abris qu'Hercule construisit grâce à sa force immense : c'était de hauts piliers de marbre dur. Hercule fit ce mémorial . Il était maître de tout le grand et large territoire qui était autour. [662]

C'est là qu'ils rencontrèrent les sirènes qui sont des créatures très fourbes. On dirait vraiment des femmes mais en dessous de la ceinture on dirait des poissons. Leur chant est si allègre que même si le jour est très long, il ne se trouve pas un homme pour être las de l'entendre ! Elles sont mi être humain mi poisson. Elles sont dotées de cette caractéristique démoniaque, en vérité, car leurs manières sont si douces que beaucoup d'hommes ne sont pas capables de les quitter. Brutus apprit par ses marins les malveillantes supercheries dont les sirènes faisaient preuve. Il ordonna de manoeuvrer les cordages, de hisser les voiles au maximum, de se laisser mener par le vent et porter par le courant. Les sirènes nagèrent à leur rencontre de chaque côté. Elles les importunèrent beaucoup grâce à leur charme malfaisant. Toutefois, Brutus leur échappa sans dommage et il continua son chemin. Ses bateaux avançaient rapidement. Un homme de barre lui fit part d'une bonne nouvelle : il voyait l'Espagne. [677]

Ils se dirigèrent vers un port. Les hommes étaient joyeux ! Ils allèrent à terre et trouvèrent des amis - quatre forces armées. Il y avait plusieurs milliers de bons chevaliers qui se battaient bien. Ils étaient de leur race : ils étaient les bienvenus ! Ces quatre armées provenaient de Troie. Atenor , leur aîné, les avait dirigés ; en compagnie de ce groupe de gens, il s'était enfui de Troie au moment où les Grecs avaient conquis la ville par une bataille féroce. Après la mort d'Atenor, Corineus était devenu leur chef. Corineus était un homme fort, d'une très grande puissance. Il était si hardi, si fort qu'on aurait dit un géant ! La nouvelle de l'arrivée de Brutus parvint à Corineus. Il se réjouit d'être vivant ; il n'avait jamais été aussi heureux de sa vie ! Ils furent réunis et s'embrassèrent beaucoup. Brutus lui expliqua qu'il voyageait à la recherche d'un pays où il pourrait s'établir avec ses chers sujets. Corineus lui répondit alors : "J'irai avec toi, ainsi que mon bon peuple, et nous partagerons avec toi, te tiendrons pour chef et te reconnaîtrons pour seigneur". Ce pacte fut conclu et ils partirent ensemble. [698]

Ils quittèrent l'Espagne et mirent cap sur la Bretagne : le pays s'appelait "Armorique" ; on dit maintenant "Bretagne". Ils laissèrent le Poitou sur leur droite lorsqu'ils accostèrent. Ils étaient sur une rivière très belle à l'endroit où la Loire se jette dans la mer. Brutus resta dans ce port sept nuits et un jour, il envoya des messagers parcourir le pays et observer les habitants. Goffar, le roi du Poitou, n'apprécia guère de voir tant de messagers sillonner son royaume. Le roi ordonna à ses hommes avisés, ceux qui savaient bien manier les mots, d'aller jusqu'à la mer où l'armée se trouvait et d'apprendre des chevaliers ce qu'ils cherchaient, s'ils voulaient maintenir la paix et saluer le roi de ce pays ou s'ils voulaient s'opposer avec hostilité au roi. Le conseiller qui devait accomplir cette démarche s'appelait Numbert. Corineus était parti dans la forêt pour y chasser les animaux sauvages ; il avait pris des cors et des chiens ainsi que cinq cents chevaliers. Ils rencontrèrent Numbert, le messager du roi de ce pays, qui était en chemin. Numbert les apostropha d'une voix forte : "D'où venez-vous, chevaliers ? vous agissez contre la loi : vous chassez dans le domaine privé du roi, par conséquent vous serez tués. Vous faites beaucoup de tort au roi par conséquent vous allez souffrir. Il a interdit sa réserve de chasse par conséquent vous allez tous gésir morts !" Corineus se mit en colère contre lui, avança dans sa direction et, furieux, lui dit les mots suivants : "Chevalier, tu es un grand sot de parler ainsi. Si le roi l'a interdit, cela ne lui portera que malheur. Je ne cesserai, en aucun cas, - en dépit de son interdiction - de prendre ses cerfs, ses biches et tous les animaux que je trouve". Alors Numbert, le sénéchal du roi de ce pays, se mit en colère. Il tenait à la main un arc solide et il en tendit la corde. Le malheur survint vite ! Il plaça une flèche et tira fortement. Il décocha la flèche à côté de Corineus. Celui-ci fit un bond et évita le coup. Il s'élança vers Numbert tel un lion, s'empara de l'arc avec beaucoup de force. Il frappa Numbert avec l'arc si bien que l'os de sa tête se brisa, que son sang ainsi que son cerveau tous deux jaillirent. [736]

Ses compagnons décampèrent, se rendirent (au palais) du roi Goffar et lui donnèrent d'amères nouvelles. Ils lui apprirent que Numbert, son propre sénéchal, avait été tué. Le roi fut très affligé, d'humeur très sombre. Il envoya ses messagers à travers tout son royaume et réunit son armée - des hommes étaient voués à la mort ! L'armée fut constituée et ils progressèrent vers l'excellent Brutus, vers l'endroit où il s'était installé près de la mer. Brutus était très avisé, la sagesse l'habitait. Il envoya des espions dans l'armée du roi pour connaître ses déplacements, le lieu où il engagerait la bataille. Les espions partirent, revinrent rapidement et se présentèrent à leur seigneur à l'endroit où il se trouvait dans le port. Ils lui dirent les mots suivants, ainsi qu'il en allait effectivement : "Nous te saluons Brutus, tu es notre maître. Le roi Goffar a, à présent, rassemblé son armée - une grande et puissante armée. Il se vante, disant qu'il va tuer tous ceux qu'il trouvera vivants, détruire les navires et noyer les femmes. Ils ne veulent laisser la vie sauve à aucun d'entre nous. Brutus rassembla tous les jeunes et les expédia vers les bateaux. Il confia tous ses biens à ses gens et l'excellent Brutus leur dit : "Vous êtes mes hommes bien-aimés, écoutez mon conseil. Ne revenez jamais, sans être à bord des bateaux, avant que je ne vous envoie un message clair, si je peux avoir le dessus du roi". [762]

Brutus rassembla ses chevaliers et se rendit directement au lieu même où on lui avait dit que le roi passerait avec sa grande armée. La bataille s'engagea, ils combattirent avec férocité. Le combat fut acharné. Ceux qui étaient voués à la mort tombèrent ! Il y avait beaucoup d'hommes grands dont les armes étaient brisées ! La bataille dura un jour entier, plus d'un bon chevalier succomba ! Corineus avança et se dit à lui-même : "Réveille-toi Corineus ! n'es-tu pas un champion d'élite ? Fais connaître maintenant ta force, ta grande puissance et abats ces Poitevins !". Corineus se précipita dans leur direction tel le loup hurlant quand, parmi les moutons, il commet des massacres. Il tira de la main droite une grande épée très solide. Et tous ceux qu'il frappa avec, s'écroulèrent au sol. Si l'homme était très fort, et même s'il portait une cuirasse, s'il le frappait avec cette épée, alors il ne se relevait jamais plus ! Lorsqu'il eut mis en morceaux deux cents hommes avec son épée, alors celle-ci se brisa dans sa main juste au niveau de la hampe. Corineus devint furieux et prononça ces mots : "Que soit à jamais maudit le forgeron qui te forgea de ses mains !". Corineus regarda autour de lui - car le chevalier était hors de lui - et saisit de la main d'un homme une très grosse hache avec laquelle il tua tous ceux qui s'approchaient de lui. Le roi se mit à fuir et toute son armée avec lui. Corineus les poursuivit avec hardiesse et ce guerrier hors du commun les interpella : "Goffar, pourquoi veux tu, avec ton armée, t'enfuir de la sorte ? Tu ne devrais absolument pas t'enfuir ainsi si tu veux nous chasser d'ici ; tu dois combattre davantage avant que nous partions d'ici !". Pas un fantassin, pas un cavalier n'osa rester. [793]

Le roi avait un chevalier très brave qui s'appelait Suard. Il regarda Corineus qui le poursuivait. Suard avait pour compagnons trois cents cavaliers. Il fit aussitôt volte-face et combattit bravement. Suard ne put pas résister très longtemps car Corineus l'affronta et usa de sa grande force. Il frappa Suard sur la tête si bien que ce dernier tomba à terre ; il le coupa en deux, au milieu, juste au niveau des côtes. Il n'y en avait pas de suffisamment fort capable de résister plus longtemps ! Corineus mettait leurs os et leurs côtes en morceaux ; il les poursuivit dans toute la région : plusieurs milliers demeurèrent là gisant à jamais ! Les soldats qui fuyaient devant Corineus se heurtèrent à Brutus qui tua tous ceux qui s'approchèrent. Le roi Goffar vit sa mauvaise situation et lui-même ne parvint à s'échapper qu'avec difficulté. Il s'enfuit de son pays, quitta son peuple et se rendit en France où il trouva des amis. [809]

Il alla auprès de l'Empereur et de ses douze compagnons. Il leur raconta le tort que Brutus lui avait fait. En France, on comptait douze compagnons que les Français appelaient les douze pairs et qui étaient des hommes nobles. On les appelait des rois. Ils le faisaient souvent savoir ! Ils promirent au roi Goffar qu'ils le vengeraient, de le laver de l'injure de ses ennemis pour qu'il retrouve une meilleure condition. Ils envoyèrent leurs messagers à travers toute la France et convoquèrent leurs soldats. Durant sept nuits entières, ils rassemblèrent leurs chevaliers. [818]

Brutus, quant à lui, mena son armée en terre d'Armorique ; il était extrêmement joyeux à cause de son immense butin. Il se mit à parcourir ce territoire, mit le feu aux villes ravagea le pays puis l'annexa : il le gouverna, l'assujettit dans son intégralité. De la sorte, il progressa avec son armée jusqu'à ce qu'il atteigne une colline qui était belle et grande ; il la regarda avec attention. Il prit conseil auprès de ses hommes et il fut décidé qu'il construirait un château à cet endroit. Une fois le château érigé, il était fort et bien achevé. Peu de temps après, le roi Goffar arriva avec une troupe considérable de Français et de guerriers originaires de tous les territoires qui entourent la France. Lorsque le roi Goffar aperçut le château, il fut si affligé qu'il en perdit l'esprit. Aussitôt, il fit avancer sa troupe hardie ; ils se divisèrent en douze groupes et se dirigèrent des deux côtés. Les Troyens les attaquèrent et immédiatement trois cents Français jonchèrent le sol. Les Français étaient enragés ; néanmoins, ils se battirent avec acharnement et par des actes déloyaux repoussèrent (les Troyens). Ils repoussèrent Brutus et ses soldats dans le château et dans le même assaut abattirent beaucoup de ses compagnons. Toute la journée durant, ils attaquèrent et assaillirent le château jusqu'à la tombée de la nuit qui les empêcha de continuer. A l'intérieur de la forteresse régnait une grande peur. [843]

Au milieu de la nuit, ils tinrent conseil et décidèrent d'envoyer Corineus dans la forêt avec tous les hommes qu'il avait dans son armée ; et ils sortirent, aussi discrètement que s'ils voulaient commettre un vol, et allèrent jusque dans un bois épais qui était à proximité. Brutus était dans la forteresse qu'il garda bien. Au matin, à l'aube, lorsque le jour se leva sur les hommes, Brutus était furieux comme l'ours sauvage encerclé par des chiens dans les bois. Brutus ordonna à ses guerriers de mettre leur cotte de maille et de prendre leurs bonnes armes car ils devaient aller se battre. Ils levèrent les herses de leur château et sortirent rapidement. Ils avancèrent en direction des Français et les attaquèrent. La bataille était acharnée, on était enragé dans les deux camps. Beaucoup de soldats de toutes origines et de nombreux chevaliers furent voués à la mort ! Brutus avait là un parent qui s'appelait Turnus. Il était tellement rempli de fureur dans le combat qu'il fut tué. Il pourfenda les Français de mutiples façons. Il en anéantit plusieurs centaines de ses propres mains. Mais il s'éloigna trop loin de ses compagnons et il fut encerclé de tout côté, blessé par des armes et enfin tué. Brutus le trouva mort, le transporta à l'intérieur du château où il l'enterra près d'un mur de pierre. A cause de Turnus en personne, ce lieu fut appelé "Tours" et toute la région "Touraine" à cause de la mort de Turnus. [868]

Brutus sortit et repartit pour la bataille. Il voulait venger son outrage ainsi que Turnus, son ami bien-aimé. Le combat s'engagea, ils se jetèrent à corps perdu dans la bataille, il y eut des coups de fers, un grand massacre, une lutte immense. Ceux qui étaient voués à la mort, s'écroulèrent. La bataille faisait rage lorsque Corineus arriva de la forêt avec sa puissante troupe pour venir à l'aide de Brutus. Brutus était d'un côté, Corineus de l'autre. Ils décochèrent des flèches très pointues, tuèrent les Français et tout ce qu'ils trouvèrent. Ainsi, ils ravagèrent ce pays et anéantirent son peuple. Jamais homme ne vit le jour, ou fut estimé suffisamment averti, pour dire, en ce jour, combien de milliers de morts jonchaient le sol. Alors, Brutus souffla dans son cor et rassembla sa troupe. Ensemble, ils examinèrent nombre de plans avisés et décidèrent de partir d'ici. Ils le proclamèrent très fort et firent savoir, dans toute l'armée, que l'excellent Brutus allait regagner la mer. Par conséquent, ils retournèrent à leurs navires avec tout leur butin, de l'argent et de l'or qui appartenaient au roi Goffar et aux Français qui avaient péri dans la bataille. [891]

Ils quittèrent le port, les guerriers étaient allègres, le vent soufflait à souhait, les poissons sauvages folâtraient, la mer était très calme, les hommes étaient joyeux ! Ils poursuivirent leur voyage et touchèrent terre à Dartmouth dans la région de Totnes . Brutus était ravi. Les navires mordirent le sable et tous les passagers débarquèrent. Alors Brutus posséda le cadeau que Diane lui avait promis dans l'île de Logice : ils étaient arrivés. Tous laissèrent éclater leur joie et remercièrent Dieu en des paroles vertueuses de leur avoir permis de connaître les jours dont ils avaient rêvés. [901]

Ils découvrirent dans le pays vingt géants vigoureux . Je n'ai jamais entendu leurs noms, que ce soit en chanson ou en parole, sauf celui de leur seigneur qui s'appelait Geomagog et qui était le plus fort. C'était l'adversaire de Dieu, le Démon l'aimait ! Brutus et son bon peuple aperçurent ces ennemis et leur décochèrent leurs flèches d'acier qui leur furent détestables. Ils se retirèrent dans les montagnes, dans une région reculée et vécurent dans des grottes. Il arriva un jour que Brutus et ses compagnons célébraient un culte avec grand respect. Il y avait à manger, à boire et des chants joyeux. Chacun arborait de l'argent, de l'or à la main. Tous avaient des chevaux, de beaux habits. La joie était à la cour ! Chacun était heureux comme jamais auparavant ! Puis arivèrent à cet endroit, en provenance des montagnes, vingt grands géants, robustes et vigoureux ! Ils portaient tous ensemble de très grands arbres. Ils se précipitèrent sur Brutus et ses gens, provoquèrent beaucoup de dégâts. En peu de temps, ils tuèrent cinq cents personnes ; à l'aide de troncs d'arbres et de pierres, ils livrèrent une bataille sans merci. Les Troyens leur firent face avec force : ils décochèrent des flèches et firent s'enfuir les géants. Ils les poursuivirent de leurs lances ; alors il sembla aux géants plus sage de s'enfuir. Ils étaient voués à mourir : les Troyens en tuèrent dix-neuf. Ils capturèrent Geomagog qui fut amené vivant devant Brutus. Brutus le fit garder de très près, afin de mettre sa très grande force à l'épreuve, et pour que Geomagog et Corineus luttent corps à corps devant lui. [931]

Brutus arbitra le combat du haut d'une dune. Les Troyens se rassemblèrent sur la falaise. Corineus arriva et s'avança tout comme le géant que tous regardaient. Il y avait beaucoup d'hommes, il y avait beaucoup de femmes ; il y avait foule au combat ! Ils unirent leurs bras et se mirent en position, torse contre torse - on entendit des os craquer ! Ils allongèrent les jambes. Les champions étaient forts. Ils heurtèrent leurs têtes, les spectateurs (les) regardaient. Les deux hommes tombèrent plusieurs fois à terre donnant l'impression qu'ils allaient gésir, ils bondirent souvent comme s'ils allaient se mettre à voler. Leurs yeux envoyaient des éclairs d'exécration ! Les grincements de leurs dents faisaient penser à la fureur de sangliers sauvages ! A certains moments, ils étaient noirs et remplis de haine, à d'autres ils étaient rouges et déchaînés par la colère. Tous deux souhaitaient dominer l'autre par ruse, par stratagème ou par force merveilleuse ! Geomagog réfléchit et repoussa Corineus qui était appuyé sur sa poitrine puis le tira de nouveau vers lui : il lui brisa quatre côtes dans le dos. Il le blessa avec malveillance mais ne s'en soucia point. Il y avait peu de chance que Corineus ne soit vaincu. Toutefois, celui-ci se demanda ce qu'il pouvait faire, il réunit tout son courage, étendit les bras et étreignit Geomagog si bien qu'il lui fit éclater le dos. Il l'empoigna par la ceinture et le souleva avec fermeté. Le rocher était très haut à l'endroit de la falaise où ils combattaient. Corineus le jeta et le précipita avec force au pied du rocher si bien que les os du géant se disloquèrent et que le démon se brisa en morceaux avant de toucher le sol : ainsi cette créature si forte alla en Enfer ! Maintenant, et à jamais, cette falaise porte le même nom partout, à savoir le "Saut de Geomagog" . C'est lors de cette assemblée que ces géants trouvèrent la mort. [966]

Toute cette contrée était maintenant entre les mains de Brutus. Lorsque les troyens eurent pansé leurs plaies, ils retrouvèrent de joyeuses pensées. Ils construisirent des maisons et furent en sécurité. Ils bâtirent des villes, labourèrent la terre, semèrent du blé, fauchèrent les prés. Ils cultivèrent tout ce qu'ils jugeaient bon. Car tout ce qu'ils voyaient leur appartenait. Ce pays s'appelait "Albion" lorsque Brutus y débarqua. Puis Brutus désira qu'il n'en soit plus ainsi et que le pays soit baptisé d'après son propre nom. Il s'appelait Brutus, il nomma ce pays "Bretagne" et les Troyens, qui l'avaient choisi comme seigneur, furent appelés "Bretons" d'après Brutus. Le nom est resté ; dans certaines régions il se maintient solidement. Brutus donna à Corineus, son cher champion, une part de ses terres et la lui remit entre les mains. Le seigneur s'appelait Corineus et la région Corinee. Par la suite, à cause des peuples qui s'y établirent, ils l'appelèrent "Cornouailles" par un choix insensé. Ensuite, ils appelèrent leur propre langue troyenne le "breton". Mais les Anglais l'ont modifiée par la suite, après l'arrivée de Gurmund dans ce pays. Gurmund chassa les Bretons ; son peuple portait le nom de "Saxon", il venait d'une extrémité de la Germanie qui se nommait "Angle". D'Angle, arrivèrent les Anglais qui appelèrent ce pays "Angleterre". Les Anglais triomphèrent des Bretons et les écrasèrent si bien que jamais, depuis, ils ne se relevèrent ni ne surent quelle sage conduite suivre. [993]

Brutus eut la Bretagne et Corineus la Cornouailles. Brutus garda avec lui tous ses amis - ceux qui avaient constitué son armée. Il les fixa près de lui car ils lui étaient très chers. Corineus appela à lui tous ses hommes d'exception et les fixa tous où ils le souhaitaient. La population crût et prospéra car chacun avait ce qu'il désirait. En quelues années, les habitants furent si nombreux qu'il y avait une multitude de personnes particulièrement aimables. [1001]

Brutus réfléchit et observa ce peuple. ll contempla les belles et grandes montagnes, les prairies qui étaient très vastes, les rivières et les animaux sauvages, les poissons, les oiseaux, les pâturages, les magnifiques forêts. Il contempla la forêt et comment elle s'épanouissait, les céréales et comment elles poussaient Il vit tout ceci dans le pays qui lui était si cher. Puis il pensa à Troie où ses parents étaient maltraités. il arpenta tout ce territoire (=la G.Bretagne), examina toute la région. Il trouva un lieu charmant au bord d'une rivière où il commença à ériger un puissant château fort qui comprenait des chambres et des grand'salles et qui était constitué de hauts murs de pierre. Une fois la forteresse achevée, elle était très vaste et extrêmement bien bâtie. Brutus lui donna un nom, il l'appela d'un nom glorieux - la Nouvelle Troie - pour commémorer son lignage, ceux dont il descendait. Par conséquent, les gens donnèrent ce nom au château pendant longtemps et l'appelèrent "Trinovant". De nombreuses années plus tard, régna un descendant de Brutus qui était un noble roi. Il s'appelait Lud et aimait beaucoup ce château. Le roi habita cette forteresse de très nombreuses années. Il fit clamer à tout son peuple qu'ils avaient ordre de l'appeler Kaerlud, d'après le nom de leur roi. Plus tard vint une autre domination et de nouveaux usages si bien que les hommes appelèrent le château "Lundin" dans tout le pays. Puis vinrent les Anglais qui le nommèrent "Lundene" et ensuite les Français qui le conquirent par la force et qui, suivant l'usage de leur pays, l'appelèrent "Lundres". Voici donc ce qu'il advint à cette forteresse depuis sa construction. Ainsi cette île est-elle passée de main en main si bien que tous les châteaux qui furent des oeuvres de Brutus et tous les bons noms qui existaient du temps de Brutus sont très modifiés à cause du changement de la population. [1036] Lorsque Brutus eut terminé ce noble château qui se nommait "Nouvelle Troie", il fit venir s'y établir un grand nombre de ses gens. Il leur remit cette forteresse et les installa au mieux. Il leur dicta des lois qui étaient bonnes. Il ordonna que la fraternité soit la règle entre eux, que chacun respecte le droit de l'autre, de jour comme de nuit ; celui qui ne le ferait pas serait puni et s'il agissait vraiment mal, alors il serait pendu. Ces bonnes menaces les effrayèrent aussi ils devinrent équitables et aimèrent les conseils. [1047]

Brutus eut ce territoire entre les mains pendant vingt-quatre ans. D'Ignogen, sa royale épouse, il eut trois beaux fils. A la mort de leur père, ils se rassemblèrent, l'enterrèrent dans la place forte de la Nouvelle Troie que leur père avait bâtie avec beaucoup de joie. Ensuite les trois frères se réunirent. Dans l'harmonie et l'amour, ils se partagèrent ce pays. Le frère aîné, qui s'appelait Locrin, était le plus sage, le plus avisé et le plus fort. Il savait ce qu'il voulait. Il reçut le sud du pays qui fut nommé "Locres" d'après lui. Le second s'appelait Camber, c'était le cadet. La terre qu'il reçut en partage se nommait la "Cambrie" : c'est la contrée sauvage que les Gallois aiment. Plus tard, elle s'appela "Pays de Galles" à cause de la reine Galoes ; à cause du duc Gualun, les habitants se nomment les "Gallois". Le troisième frère portait le nom d'Albanac. Plus tard, Humber le tua. Albanac eut pour part l'extrêmité nord, que notre peuple appelle maintenant l'"Ecosse", mais que Albanac, à son époque, appela "Albanie". [1066]

 

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Résumé : Albanac est attaqué par le roi des Huns, Humber, et meurt. Locrin et Camber se précipitent au secours de leur frère et tuent Humber. Locrin découvre une très belle jeune fille, Astrid, dans un des navires des Huns et souhaite l'épouser. Cette décision entraîne la fureur de Corineus car Locrin était fiancé à sa fille Gwendoleine. Locrin se voit obligé de prendre Gwendoleine pour femme mais installe secrètement Astrid dans une maison souterraine. A la mort de Corineus, Locrin répudie sa femme. Celle-ci rassemble une armée ; ses soldats tuent Locrin et Gwendoleine devient reine. Elle fait noyer Astrid et sa fille. Madan, le fils de Locrin et Gwendoleine, règne quarante ans. Ses fils, Membriz et Malin se vouent une haine féroce : une guerre éclate entre eux et Malin est tué. Membriz règne alors seul vingt ans. Il est dévoré par des loups, juste punition pour un mauvais roi qui détestait son peuple. Son fils, Ebrauc, est le premier à partir piller sur le continent. Il fonde la ville de York. Il a vingt fils et trente filles. Son fils aîné, Brutus Vert-Escu, puis son petit-fils, Leil, et son arrière petit-fils, Ruhhudibras, deviennent ensuite rois. Bladud établit un temple et des thermes (à Bath ?) puis, tel Icare, essaye de voler et s'écrase sur un temple à Londres. [1067-1447]

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Bladud eut ce royaume entre les mains durant vingt ans après son père Ruhhudibras qui était le fils de Leil. Bladud avait un fils qui s'appelait Leir. Après le règne de son père, il fut à la tête de ce noble pays toute sa vie durant, c'est-à-dire soixante ans. Il bâtit une noble forteresse grâce à son art averti et lui donna son propre nom. La ville fut baptisée Kaer-Leir, elle était chère au roi. Nous l'appelons Leirchestre dans notre langue. Il y a bien longtemps, dans les temps anciens, c'était une ville très noble. Et, par la suite, elle connut une grande calamité car elle fut entièrement détruite à cause de la cruauté de ses habitants. Leir gouverna ce pays pendant soixante années entières. Le roi avait eu trois filles de sa noble reine mais aucun fils - c'est pourquoi il était désolé. Son royaume ne pouvait être repris que par ses fils. La fille aînée s'appelait Gornoille, la deuxième Regau et la troisième Cordoille. C'était la plus jeune et la plus belle des trois. Son père l'aimait autant que sa propre vie. [1466]

Le roi vieillit, sa force diminua et il se demanda ce qu'il pourrait faire de son royaume après sa mort. Il se dit à lui-même une chose qui était néfaste : "Je vais diviser mon domaine royal entre toutes mes filles, leur donner mon royaume et partager entre mes enfants. Mais tout d'abord, je veux savoir laquelle m'aime le plus et celle-là aura la meilleure part de mon noble territoire". Voilà ce que le roi se dit et il agit en conséquence. Il appela Gornoille, son excellente fille. Elle sortit de sa chambre et se rendit auprès de son père. Le vieux roi parla ainsi, depuis son trône : "Dis-moi la vérité, Gornoille. Tu es très chère à mon coeur. A quelle point m'aimes-tu ? Dans quelle mesure me trouves-tu digne de gouverner un royaume ?". Gornoille était très circonspecte, comme le sont les femmes en tous lieux, et mentit à son père le roi. "Cher père adoré, de même que j'espère la miséricorde de Dieu, de même qu'Apollin m'apporte son aide, car toute ma foi est en lui ! Je t'aime, toi seul, plus que le monde tout entier. Et je vais même te dire davantage : tu m'es plus cher que ma propre vie ; mes paroles sont sincères, tu peux vraiment me croire". Le roi Leir crut le mensonge de sa fille et le vieux souverain fit cette réponse : "Je te le dis, Gornoille, chère fille bien-aimée, ta récompense sera belle pour tes compliments. Je suis très affaibli à cause de mon grand âge et tu m'aimes beaucoup, plus que tout sur terre ! Je vais partager mon noble domaine en trois. Ta part sera la meilleure. Tu es ma chère fille, tu auras pour seigneur le meilleur des comtes que je puisse trouver dans mon royaume". [1498]

Ensuite, le vieux roi parla avec sa deuxième fille. "Ma chère Regau, quel conseil peux tu me donner ? Précise, devant mon assemblée, l'étendue de ton amour pour moi". Elle répondit alors, en des termes prudents, "rien de ce qui existe m'est aussi cher qu'un seul de tes membres, pas même ma propre vie". Mais elle ne dit pas plus la vérité que sa soeur. Son père crut tout son mensonge. Alors le roi répondit - sa fille le réjouissait -, "je remets entre tes mains le tiers de mes terres. Tu choisiras un seigneur, celui qui te plaira le plus". Le souverain ne voulait toujours pas renoncer à sa folie. [1510]

Il donna l'ordre de faire venir sa fille Cordoille devant lui. C'était la plus jeune de toutes, la plus éprise de vérité. Le roi l'aimait plus que les deux autres. Cordoille entendit les mensonges que ses soeurs dirent au roi, elle se jura de ne pas mentir, de dire la vérité à son père que cela lui soit plaisant ou odieux. Alors, le vieux roi parla ; il manquait de discernement ! "Je veux t'entendre dire, Cordoille, - aussi qu'Apollin te vienne en aide ! - à quel point tu es attachée à ma vie". Alors, Cordoille répondit à son père bien-aimé non pas en parlant bas mais d'une voix forte, avec entrain et en riant. "Tu m'es cher parce que tu es mon père, et tu m'aimes parce que je suis ta fille. J'ai pour toi un amour sincère car nous sommes très proches. Et comme je crois en la miséricorde, je vais t'en dire davantage. Tu ne vaux que par ce que tu possèdes et l'amour de tes hommes dépend de ce que tu as : celui qui possède peu est rapidement méprisé. Ainsi parla la jeune Cordoille qui, ensuite, s'assit et ne bougea plus. Alors le roi se mit en colère car ces remarques ne lui plaisaient pas. Il estima que c'était par mépris qu'elle le trouvait si indigne, qu'elle ne l'estimait pas comme ses deux soeurs qui avaient, toutes les deux, dit des mensonges. Le roi devint aussi sombre qu'une étoffe noire. Sa peau et son visage se modifièrent car il était excessivement meurtri ; il était hébété de colère si bien qu'il tomba en défaillance. Au bout d'un long moment, il se releva. La jeune fille était effrayée. Puis les paroles (du roi) éclatèrent - elles étaient malfaisantes ! "Ecoute, Cordoille. Je vais te signifier mon intention. Tu étais ma fille préférée, maintenant tu m'es odieuse. Tu n'auras jamais une part de mes terres mais je vais partager mon royaume entre mes filles, tu seras misérable et vivras dans le besoin. Jamais, il ne me vint à l'esprit que tu m'humilierais de la sorte. Par conséquent, je pense que tu vas mourir. Vas-t-en hors de ma vue ! Tes soeurs auront mon royaume, telle est ma volonté. Le duc de Cornouailles aura Gornoille et le roi d'Ecosse, la belle Regau. Je leur donne tous les biens que je possède". Et le vieux souverain fit ce qu'il avait décidé. [1549]

La jeune fille avait souvent été triste mais jamais autant qu'à ce moment. Elle était éplorée à cause du courroux de son père. Elle alla dans sa chambre où, affligée, elle resta longuement assise car elle ne voulait pas mentir à son père bien-aimé. La jeune fille ressentit de la honte car elle évita son père et prit la meilleure décision : elle demeura dans sa chambre, supporta sa tristesse et pleura beaucoup. Il en alla ainsi pendant un temps. [1557]

Il y avait en France un roi riche, très hardi, du nom d'Aganippus, c'était le chef des guerriers. C'était un jeune roi mais il n'avait pas de reine. Il envoya un message dans notre pays pour le roi Leir, le salua avec chaleur et lui demanda d'accéder à son désir : lui donner Cordoille qu'il souhaitait épouser et pour laquelle il ferait ce qu'elle désirait le plus. Des voyageurs, en effet, avaient parlé, devant le roi, de la jeune fille, de sa très grande beauté, de sa grandeur de caractère, de sa patience, de ses bonnes manières. Il n'y avait pas de femme plus gracieuse dans le royaume de Leir. Le roi Aganippus s'adressa donc au roi Leir. Celui-ci se demanda ce qu'il pouvait faire. Il fit écrire une lettre qu'il fit bien rédiger. Il la fit parvenir par ses messagers en France. Voici ce que disait la lettre du roi, son contenu fut fort connu : "Le roi de G.Bretagne, qui se nome Leir, salue Aganippus, le souverain de France. Sois honoré pour ta bienveillance et ton aimable message dans lequel tu me salues. Mais je te fais savoir, par l'intermédiaire de cette missive, que j'ai partagé mon noble territoire en deux. Je l'ai donné à mes deux filles, qui me sont très chères. J'ai une troisième fille mais je me soucie peu de l'endroit où elle vit car elle m'a outragé et humilié ; à cause de mon âge, elle m'a courroucé. Elle a déchaîné ma colère. Elle s'en repentira ! De toutes les terres, de tous les sujets que j'ai acquis ou que je peux encore acquérir, je te le dis en vérité, elle n'aura rien. Mais si tu veux la prendre, car c'est une jeune fille gracieuse, je te l'accorderai et te l'enverrai par bateau sans rien d'autre que ses seuls vêtements. De moi, elle n'aura rien de plus. Si tu la reçois, j'agirai quand même de la sorte. Je t'ai donné mes raisons. Je te souhaite de bien te porter". [1594]

Cette lettre arriva en France pour le noble roi. Il la fit lire : il aimait les lettres. Alors le souverain pensa que c'était par malveillance que le roi Leir, le père de la jeune fille, ne voulait pas la lui accorder. Aussi, il désira encore plus follement la jeune fille et il dit à ses hommes, lui qui était un roi diligent, "Je suis suffisamment riche, je ne désire rien de plus. Le roi Leir ne m'empêchera jamais d'avoir sa fille : je l'obtiendrai comme noble reine. Que son père garde tout son territoire, son argent et son or. Je ne demande aucun trésor, j'en ai en quantité suffisante, si ce n'est cette jeune fille Cordoille ; alors j'aurai tout ce que je désire". Il renvoya une lettre dans notre pays et demanda au roi Leir, par écrit, de lui envoyer sa gracieuse fille, qu'il accueillerait et recevrait avec beaucoup d'honneur. Alors le vieux roi prit sa noble fille et la laissa partir sur les flots avec ses seuls vêtements. Son père se montra dur envers elle ! Aganippus, le roi français, accueillit cette toute jeune fille - tout son peuple fut enchanté - et il l'épousa. Et ainsi, elle demeura en ce lieu ; elle était aimée du peuple. [1615]

Le roi Leir, son père, vivait dans ce pays ci. Il avait donné tout son noble royaume à ses deux filles. Il donna Gornoille au roi d'Ecosse, qui s'appelait Maglaunus et qui était extrêmement puissant, et sa fille Regau au duc de Cornouailles. Peu après, il arriva que le roi écossais et le duc s'entretinrent ensemble lors d'une entrevue secrète. Ils décidèrent de diriger eux-mêmes tout ce pays, de subvenir aux besoins du roi Leir tant qu'il vivrait, jours et nuits, de lui fournir quarante chevaliers particuliers, des faucons et chiens de meute pour qu'il puisse chevaucher dans tout le territoire et vivre heureux aussi longtemps qu'il serait en vie. Ils discutèrent ainsi et, par la suite, revinrent sur le sujet. Le roi Leir l'entendit et ne connut ensuite que des malheurs. [1631]

Puis le roi Leir se mit en route pour l'Ecosse où vivaient Maglaune, son gendre, et sa fille aînée. Le roi fut accueilli avec grande civilité. Il avait à son service quarante chevaliers particuliers, des chevaux, des chiens de chasse et tout ce qui convenait à son rang. Puis il arriva, peu après, que Gornoille se demanda ce qu'elle pouvait faire : la situation de son père lui déplaisait. Elle s'en plaint à Maglaune, son seigneur et lui dit, dans le lit où ils reposaient ensemble : "Dis moi, seigneur, toi qui m'es le plus cher des hommes, il me semble que mon père n'a plus son entendement, il ne peut pas agir avec dignité. Il a perdu son esprit. Il me semble que le vieil homme va bientôt être sénile. Il entretient ici quarante chevaliers jours et nuits. Il a ici ses comtes et tous leurs serviteurs, des chiens et des faucons : par conséquent, nous subissons des pertes. Ils ne rapportent rien et dépensent sans cesse. Tous les bienfaits que nous leur octroyons, ils les acceptent avec joie et nous ne recevons qu'ingratitude en échange. Leur comportement est insultant, ils frappent nos hommes. Mon père a trop d'hommes oisifs. Renvoyons en le quart, trente lui suffisent pour le servir à table. Nous avons nous-mêmes des cuisiniers pour s'affairer à la cuisine. Nos propres serveurs et échansons sont en quantité suffisante. Laissons partir une partie de cette nombreuse troupe où bon lui semble. Tout comme j'espère à jamais la miséricorde, je ne supporterai pas cet état de choses plus longtemps". Maglaune entendit ce que son épouse disait et lui répondit en de nobles paroles : "Dame, tu es grandement dans l'erreur. N'as-tu pas suffisamment de richesses ? Mais laisse ton père vivre heureux, il n'a plus très longtemps à vivre ; car si des rois étrangers apprenaient que nous l'avons traité de la sorte, ils nous blâmeraient. Laissons le diriger ses gens à son gré. Voilà mon avis car il ne tardera pas à mourir. De plus nous avons entre nos mains la moitié de son royaume". Alors Gornoille répondit : "Seigneur, ne fais rien. Laisse moi tout prendre en main et je vais les renvoyer". [1670]

Et, suivant son plan, elle fit porter sa décision aux logis des chevaliers. Elle ordonna à un grand nombre de comtes et de serviteurs, qui étaient venus avec le roi Leir, de partir car ils ne seraient plus entretenus. Le roi Leir apprit cette résolution, par conséquent il entra dans une grande colère. Alors, le souverain se répandit en lamentations et prononça ces paroles pleines de tristesse : "Malheur à celui qui détient un territoire avec honneur et qui le confie à son enfant alors qu'il est encore capable de le gouverner ! Car il arrive souvent qu'il le regrette par la suite. Maintenant, je vais partir d'ici pour aller directement en Cornouailles. Je vais demander conseil à ma fille Regau que j'ai donnée au duc Hemeri avec mon royaume". [1683]

Le roi se mit en route pour l'extrémité sud, chez sa fille Regau, car de bons conseils lui faisaient défaut. Lorsqu'il arriva en Cornouailles, il fut bien accueilli si bien qu'il y séjourna avec toute sa suite pendant six mois. Puis Regau dit à son époux, le duc Hemeri : "Seigneur, écoute moi. Je te le dis en toute honnêteté, nous avons été malavisés de recevoir mon père avec trente chevaliers. Cela ne me plaît pas. Renvoyons vingt chevaliers, une dizaine est bien suffisante, car ils boivent et mangent tous et ne rapportent rien de bien". Alors le duc Hemeri trahit son vieux père et dit : "Tant que je serai en vie, il n'aura que cinq (chevaliers) ; avec ce nombre, il aura une suite suffisante car il ne fait rien. Et, s'il veut s'en aller, renvoyons le immédiatement". [1697]

Ils firent ce qu'ils avaient dit : ils lui retirèrent ses chevaliers et toute sa noble suite. Ils avaient choisi de ne lui laisser que cinq chevaliers. Le roi Leir vit ceci. Il regretta fort d'être vivant ! Son esprit se troubla en lui, il se lamenta grandement et prononça ces mots avec tristesse : "Hélas ! Prospérité, prospérité ! Combien d'hommes n'as-tu pas déçus ! Au moment où l'on te fait le plus confiance, alors tu nous trahis ! Il y a peu de temps - moins de deux ans - j'étais un roi puissant et entretenais mes chevaliers. La vie me réservait de me retrouver sans rien sur mon siège, dépouillé de mes possessions. Maudite soit ma vie ! J'étais chez Gornoille, mon excellente fille, je vivais parmi son peuple, avec trente chevaliers. Telle pourrait être ma situation aujourd'hui encore. Mais je suis parti de là, je pensais agir pour le mieux, mais j'ai reçu pire traitement. Je vais retourner en Ecosse chez ma fille si belle, implorer sa clémence - elle ne me respectera plus - et lui demander de m'accueillir avec mes cinq chevaliers. J'habiterai là et ne supporterai ce malheur que quelque temps car je ne vais pas vivre longtemps". [1718]

Le roi Leir partit pour le nord où vivait sa fille. Elle l'hébergea, lui et ses chevaliers, trois nuits entières. Le quatrième jour, elle jura, par toute la puissance des cieux, qu'il ne devait pas avoir plus d'un chevalier chez elle et que, s'il refusait, il pouvait aller où bon lui semblait. Leir avait souvent été triste mais jamais autant qu'à ce moment. Alors le vieux roi déclara, son coeur était peiné : "Hélas, mort ! hélas, mort ! toi qui ne veux pas me condamner ! Cordoille a dit vrai - car c'est clair maintenant - ma plus jeune fille, elle m'était très chère mais ensuite elle me fut des plus odieuses car elle me dit la plus grande vérité : celui qui possède peu n'est pas considéré, il est détesté. Je ne valais pas plus que ce que je possédais. Cette jeune femme parla vrai, une grande sagesse l'habite. Lorsque je détenais mon royaume, mes sujets m'aimaient. Mes comtes se jetaient à mes pieds, à cause de mes terres et de mes biens. Maintenant, je suis un homme misérable aussi plus personne ne m'aime. Mais ma fille m'a dit la vérité car maintenant je la crois tout à fait et ses deux soeurs mentirent lorsqu'elles me dirent qu'elles m'aimaient tant, plus que leur propre vie. Et Cordoille, ma fille, dit la vérité lorsqu'elle affirma qu'elle m'aimait loyalement, comme on doit aimer un père. Que pouvais-je demander de plus de ma chère fille ? Je vais partir, traverser la mer pour entendre Cordoille me dire quelle est sa décision. J'ai été outragé par ses paroles de vérité, par conséquent, je suis rempli de honte car, maintenant, je dois aller implorer celle que j'ai méprisée auparavant. Elle ne pourra pas faire pire que de m'interdire son pays". [1746]

Leir alla jusqu'à la mer en compagnie d'un seul serviteur. Il prit place dans un bateau, personne ne le reconnut. Ils voguèrent sur les flots, et peu de temps après atteignirent un port. Le roi Leir prit la route - il n'avait qu'un serviteur. Il s'enquit de la reine afin de pouvoir l'approcher. Des gens lui indiquèrent où la reine du pays se trouvait. Le roi Leir entra dans un champ et s'assit par terre pour se reposer. Il envoya à la reine Cordoille son écuyer, qui était un bon serviteur. Celui-ci dit avec grande discrétion : "Je te salue, gracieuse reine. Je suis le serviteur de ton père et ce dernier est venu ici car on lui a prit tout son royaume. Tes deux soeurs l'ont trahi. Il débarque dans ce pays par besoin ; aide-le maintenant, car tu le peux - c'est ton père - et c'est ton devoir". [1760]

La reine Cordoille resta longtemps assise sans bouger. Elle devint toute rouge sur son banc, comme si elle avait bu du vin ; et le jeune écuyer s'assit à ses pieds ; peu après les choses allèrent pour le mieux pour lui. Puis les paroles (de la reine) éclatèrent et ce qu'elle dit était bienveillant : "Apollin, Seigneur, je te remercie que mon père soit venu à moi. J'entends de précieuses nouvelles : mon père est en vie. De moi, il obtiendra réparation à moins que je ne meure d'ici là. Ecoute-moi, maintenant, cher serviteur, et reçois mes instructions. Je vais te confier un coffret bien rempli, les pièces y sont en sécurité. Il contient une bonne centaine de livres. Voici un bon cheval fort pour porter ce trésor jusqu'à l'endroit où se trouve mon cher père. Et dis-lui que je lui adresse de bons souhaits. Qu'il se hâte d'aller dans une belle ville, qu'il trouve refuge dans un riche château. Achète-lui tout d'abord ce qu'il souhaite le plus : à manger et à boire, de beaux habits, des chiens, des faucons et des chevaux de valeur ; entretiens dans sa maison quarante chevaliers nobles et fortunés, vêtus de riches atours. Fais-lui un bon lit, qu'il prenne souvent un bain et qu'il se fasse souvent faire une petite saignée. Lorsque tu voudras plus d'argent, viens me le demander ; je lui en enverrai en abondance d'ici même. Cependant, il ne doit jamais rien raconter de son ancien pays aux chevaliers, aux serviteurs ou à aucun comte non plus. Dans quarante jours, alors qu'il fasse rapidement savoir à mon cher époux que Leir est dans ses terres, qu'il a traversé la mer pour voir ses territoires et j'agirai comme si je ne savais rien, j'irai le rejoindre en compagnie de mon époux, le roi. Je me réjouirai de leur rencontre inattendue ! Tout le monde doit penser que (Leir) vient d'arriver. Envoie ainsi un message dans ce sens à mon seigneur, le roi. Et reçois cet argent et veille à bien faire. Et si tu procèdes ainsi, ce sera pour ton avantage". [1796]

Le serviteur reçut l'argent et retourna auprès de son seigneur, le roi Leir, et lui donna la nouvelle à l'endroit où il était allongé dans le champ, où il se reposait sur le sol. Le vieux roi se sentit rapidement réconforté et prononça ces mots justes : "Après le Mal vient le Bien. Bienheureux celui qui peut en profiter !". [1802]

Ils se rendirent dans une noble ville comme l'avait demandé la reine et ils suivirent toutes ses instructions. Au bout de quarante jours, le roi Leir prit ses plus chers chevaliers et salua Aganippus qui était son gendre bien-aimé. Il lui fit dire par ses messagers qu'il était venu dans son pays pour parler avec sa fille qui lui était très chère. Aganippus était heureux que Leir soit venu. Il alla à sa rencontre, accompagné de ses comtes et de la reine Cordoille. Alors le souhait de Leir fut exaucé : ils furent réunis, s'embrassèrent à maintes reprises. Ils se rendirent au château. La joie régnait à la cour. Il y avait des sonneries de trompette, mêlées à des airs de pipeaux. Les salles de banquet étaient entièrement recouvertes de riches tentures. Tous les tréteaux étaient décorés d'or. Chaque homme portait (des bagues en or) à la main. Les guerriers chantaient accompagnés de vièles et de harpes. Le roi envoya quelqu'un aux remparts proclamer d'une voix forte que le roi Leir était arrivé dans le pays. "Maintenant, Aganippus, qui règne sur nous tous, ordonne que tous obéissent au roi Leir qui sera le seigneur de ce pays aussi longtemps qu'il souhaitera vivre ici. Et Aganippus, notre roi, sera son homme-lige. Que celui qui veut vivre, respecte cet accord. Quiconque le violera sera rapidement puni ; et il demande à tous ses hommes d'observer ce pacte". Alors le noble peuple répondit : "Nous ferons, dans toutes circonstances, ce que le roi désire !". [1831]

Tout au long de cette année là, ils agirent ainsi dans une grande concorde, une grande harmonie. Au bout de cette année, le roi Leir souhaita rentrer chez lui et il demanda au roi la permission de retourner dans son pays. Le roi Aganippus lui fit la réponse suivante : "Tu ne te rendras jamais là-bas sans une grande armée mais je vais te prêter certains de mes hommes, cinq cents navires chargés de chevaliers ainsi que tout ce qui leur sera utile pour cette expédition. Et ta fille Cordoille, qui est la reine de mon pays, partira avec toi accompagnée d'une armée nombreuse. Et pars pour le pays où tu fus roi et si tu rencontres quelqu'un qui veut se dresser contre toi, te voler de ton droit et de ton royaume, défends-toi avec courage, reduis-les à néant, conquiers tout le pays et remets le dans les mains de Cordoille afin qu'elle l'ait tout entier après ta mort". Aganippus prononça ces paroles et le roi Leir agit en conséquence : il fit exactement comme son ami lui avait conseillé. [1850]

Il arriva dans notre pays avec sa fille bien-aimée. Il fit la paix avec les meilleurs, ceux qui acceptèrent de se soumettre, et il tua tous ceux qui le combattirent. Il conquit de ses propres mains tout ce royaume qu'il donna à Cordoille, qui était reine de France. Et il en fut ainsi pour un temps. Le roi Leir vécut encore trois ans sur cette terre puis la fin de sa vie arriva et le roi reposa, mort. Sa fille le plaça dans le temple de Janus à Leicester comme le rapporte le livre . Et Cordoille conserva ce pays avec fermeté. Elle fut reine cinq années entières. [1862]

Pendant ce temps le roi de France mourut et Cordoille apprit qu'elle était devenue veuve. Lorsque le roi d'Ecosse apprit qu'Aganippus était mort et le roi Leir décédé, il envoya un messager qui traversa la G.Bretagne jusqu'en Cornouailles et il ordonna au puissant duc de dévaster le sud tandis qu'il irait conquérir le pays par le nord car c'était un grand déshonneur, et de plus un grand tort qu'une reine soit roi dans ce pays, et que leurs fils, enfants des soeurs aînées, qui étaient de plus haut rang qu'elle, soient évincés alors qu'ils devraient avoir cette dignité. "Nous n'allons plus le supporter, nous voulons posséder tout ce pays". Ils commencèrent la guerre, les malheurs suivirent vite et les fils des soeurs de la reine assemblèrent une armée. Leurs noms étaient les suivants : Morgan et Cunedagius. A maintes reprises, ils conduisirent les troupes, combattirent, eurent le dessus puis le dessous jusqu'à ce que, finalement, survint ce qu'ils souhaitaient le plus : ils écrasèrent les Bretons et capturèrent Cordoille. Ils la mirent en prison, dans une chambre de torture. Ils provoquèrent leur tante plus qu'ils n'auraient dû ; elle devint si furieuse qu'elle s'exécra elle-même, s'empara d'un long couteau et mit fin à ses jours. Alors tout le royaume fut entre les mains de Morgan et de Cunedagius. [1887] __________________________________________________________________________________________

Résumé : Morgan et Cunedagius se partagent le royaume de G.Bretagne. Au bout de deux ans, Morgan attaque son frère mais est tué. Cunedagius est ensuite roi trente-trois ans. Son fils, Riwald, lui succède. Au cours de son règne, une pluie de sang se déverse sur le royaume pendant trois jours et des insectes dévorent toutes les récoltes. Les rois suivants ne règnent que quelques semaines chacun : Gurgustius, Sisillius, Lago, Marc. Gorbodiago est au pouvoir cinq ans. Ses fils, Fereus et Poreus se vouent une véritable haine. Fereus se réfugie sept ans en France puis retourne en G.Bretagne où il est tué par son frère. Leur mère, la reine Judon, tue alors Poreus dans son sommeil. Le royaume ne connaît que guerres, rapines et ravages. Quatre grands seigneurs se partagent le pays. Le plus noble d'entre eux, Cloten, reçoit la Cornouailles. Son fils, Donwallo Molinus, réussit à réunifier le royaume de G.Bretagne. [1888-2117]

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Alors Dunwale posséda tout ce pays. Par la suite, il fut un grand roi. Sa renommée s'étendait loin. De nombreux exemples le prouvent dans les livres. Ce fut le premier homme à porter une couronne d'or en G.Bretagne depuis l'arrivée des Bretons. Il restaura la paix et le calme et instaura de nombreuses bonnes lois qui restèrent en vigueur longtemps après. Il rédigea un décret qu'il confirma par serment stipulant que chaque paysan poussant sa charrue devait connaître la paix tout comme le roi lui même. Tout voyageur, qui aurait commis un meurtre ou un vol et qui se serait réfugié dans une ville, devait être protégé. Alors, et à jamais, il devait être traité avec indulgence, devait pouvoir garder son logis, conserver ses biens et si quelqu'un venait à le blesser, ce dernier serait puni : le roi pardonnait ainsi toute faute passée. Le roi promulgua de nombreuses lois qui existent encore dans notre pays ; toutes les lois furent bonnes en ce temps là . Pendant quarante années, il gouverna ce pays qui vécut dans la félicité sous son règne. Ensuite, le roi mourut et son peuple en fut bien malheureux ! Ses comtes se rassemblèrent et le mirent en terre ; ils le firent richement reposer dans la cité de Londres ; ils le déposèrent à l'intérieur d'un temple somptueusement décoré d'or. [2139]

Le roi avait, par sa femme, deux fils vivants. L'aîné s'appelait Belin, le cadet Brennus. Ces frères firent la paix, conseillés en cela par des hommes sages. Belin donna à son cher frère une partie de ses terres, au-delà de l'Humber, au nord, en direction de la mer - territoire à détenir avec honneur - afin qu'il soit satisfait. Par conséquent, il devint son homme et dut lui prêter hommage. Belin possédait le sud du pays, la Cornouailles et le Pays de Galles qu'il gouvernait avec justice. Ils détinrent ainsi ce pays pendant cinq ans et une grande affection existait entre eux si bien que chacun aimait l'autre à jamais comme son frère. Mais Brennus avait des hommes au coeur mauvais qui souillèrent sa noblesse. Ils lui conseillaient, chaque jour, des actes maléfiques comme de rompre son alliance avec son frère. [2154]

Il y avait un chevalier dans sa suite qui était très actif parmi le groupe d'hommes qui fomentait cet acte funeste et celui-ci s'adressa ainsi à Brennus : "Ecoute-moi, seigneur, le plus cher de tous les êtres, pourquoi supportes-tu que Belin, qui est ton propre frère, possède une si grande étendue de ce pays et que tu en aies si peu ? N'avez-vous pas tous les deux le même père, tous les deux la même mère ? N'êtes-vous pas tous les deux d'une seule et même famille ? Tout le monde le sait. Actuellement, ce grand territoire est entre les mains de Belin et tu es son homme et son chevalier. Ceci n'est pas normal, c'est injuste. Es-tu donc né d'une concubine que tu souhaites être anéanti ? Ou bien tu es un chevalier sans audace, puisque tu ne portes aucun intérêt aux terres, ou bien tu penses bientôt mourir et quitter tes hommes. Crois cette vérité, crois ce serment car tout ton peuple est furieux ! Ecoute le conseil de tes serviteurs et ils t'aideront. Il nous semble impossible que tu ne triomphes pas sur lui. Tu es un bien meilleur chevalier au combat et dans la bataille. Tu es bien plus valeureux et, de surcroît, bien plus hardi. Tu as triomphé de Cheflon et lui as pris l'Ecosse. C'était le roi de Moray et il combattit vaillamment contre toi avant que tu en viennes à bout et, ensuite, tu le tuas ainsi que toute l'armée qu'il avait amenée dans cette région. Mais je crois bien que nous te sommes odieux parce que tu ne dévoiles pas tes pensées à tes chevaliers. Mais, quel que soit le préjudice, nous ne te ferons jamais défaut, jamais de notre vivant. Aussi suis notre conseil, prends avec toi douze de tes sages, de tes hommes les plus avisés et pars dès ce soir pour la Norvège, pour le palais du roi Alfing. Il t'accueillera avec plaisir ; salue le roi de ce pays ainsi que tout son peuple. Le roi a une fille qui lui est très chère. Demande la pour toi même, pour en faire ta reine. Dès qu'il t'aura vu, chevalier si superbe, il te la donnera sans hésiter. Ensuite, demande au roi qu'il te prête une armée que tu puisses conduire dans ton pays et ainsi donner du courage à ton peuple. Ordonne à chaque chevalier que tu pourras obtenir là, contre de l'argent et de l'or, de venir avec toi dans notre pays ; pendant ce temps, nous prendrons soin de ton royaume. Tu accompliras tout ceci afin que Belin, qui est ton propre frère, n'en sache rien. Mais pars rapidement et reviens promptement, tel est notre conseil. Lorsque tu reviendras, nous serons tous prêts avec notre grande armée pour traverser le pays et te venger de Belin qui t'a insulté". [2197]

Ainsi parla Malgod, qui était un fieffé traître. Les autres le conseillèrent de la même façon : la calamité s'était entièrement emparée d'eux ! Lorsque Brennus eut entendu le conseil de ses hommes, son esprit se réjouit : la proposition lui semblait très bonne. Et il leur fit la réponse suivante : "Je vais agir selon votre conseil". [2202]

Il fit s'apprêter ses chevaliers, partit de nuit et voyagea si longtemps qu'il arriva au palais du roi Alfing. Il salua le roi, tous ses hommes, et le roi lui répondit très courtoisement. Alors Brennus parla et fit part de ce qu'il implorait. Il demanda la fille du roi pour en faire sa reine ; le roi lui accorda tout ce qu'il désirait : or et trésors, biens et forces armées. Alors Brennus se sentit très résolu. Son coeur débordait de joie. Il épousa la jeune fille et la prit dans son lit. Il séjourna dans ce pays sept nuits qui lui semblèrent sept années avant de repartir pour se battre contre son frère. Ils étaient insensés ceux qui le conseillèrent de la sorte ! [2215]

Brennus était en Norvège et Belin ici, dans ce pays. Belin eut ouï-dire, par des paroles exactes, du mariage de son frère et de la raison pour laquelle il s'était rendu en Norvège. Belin médita sur un tel acte et prononça ces paroles - elles étaient exactes ! - : "Malheur au frère qui trahit l'autre ! Où êtes-vous mes chevaliers, où êtes-vous mes guerriers, où êtes-vous mes chers hommes ? Nous allons partir à l'instant". Ils progressèrent jusqu'au (North)Humberland où il y avait des châteaux forts. Ils s'emparèrent de tous les châteaux et fortifièrent les murs. Il fit sonner les trompettes et se rendit maître de toutes les villes qui étaient sur le territoire de son frère et que celui-ci détenait. Il mit à l'intérieur des vivres et des soldats en quantité suffisante pour que les hommes puissent contrecarrer la puissance de Brennus. Ses chevaliers et lui-même gagnèrent la mer, au bord de laquelle ils s'installèrent, et qu'ils surveillèrent activement. [2232]

Brennus était en Norvège et ne savait rien de tout cela. Il croyait que son frère n'était pas au courant de ses agissements. Il prit congé d'Alfing qui était roi de Norvège et qui lui fit cette réponse : "Qu'à jamais tu fasses bon voyage ainsi que ma fille Delgan qui m'est si chère !". Alors la jeune reine comprit qu'elle devait partir. Elle était éprise d'un homme qu'elle avait beaucoup aimé : c'était le roi du Danemark ; il était très cher à son coeur. C'était un très bon chevalier, il s'appelait Godlac. La reine Delgan envoya alors au Danemark des lettres secrètes : elle avertit Godlac, qui était son bien-aimé. Elle envoya (ces lettres) pour qu'il les lise et lui dit que Brennus, un roi de G.Bretagne, l'avait épousée et l'avait menée dans son lit contre son gré. C'est pourquoi elle était inquiète et il voulait l'emmener dans son pays. Il ne lui restait que trois jours avant son départ : "Le moment où j'aurai à partir d'ici peut arriver bientôt ; puisses-tu connaître bonheur et paix, je ne pourrai jamais plus m'entretenir avec toi et je t'envoie mon anneau d'or en hommage". Lorsque Godlac vit cela, il fut profondément malheureux. Sans rien dire, il tomba en pamoison sur son trône. Des hommes aspergèrent son visage de l'eau froide d'un puits. Lorsque le roi fut revenu à lui, il fit preuve d'un grand abattement. Il dit aussitôt : "Où sont mes chevaliers ? Gagnons rapidement la mer, mes bons guerriers". [2258]

Le roi Godlac se rendit rapidement jusqu'à la mer accompagné d'hommes de valeur. Là, ils trouvèrent des navires qui constituèrent une grande flotte. Ils progressèrent avec le courant en direction du port où se trouvait Brennus. Lorsque ce dernier fut en pleine mer, il rencontra ses adversaires. Les bateaux se lancèrent les uns contre les autres si bien qu'ils se fracassèrent, proue contre proue. Les moins solides sombrèrent. De nombreuses poitrines furent transpercées par de larges lances ! Les heaumes résonnèrent ! Les guerriers s'effondrèrent ! Le malheur était partout ! Brennus s'enfuit rapidement, Godlac le poursuivit et pourchassa de nombreux navires . Il vit une embarcation qui voguait et dont la voilure était en soie. Il cria à ses guerriers : "En avant, vauriens ! c'est le bateau de la reine qui avance là devant nous. Tous, droit dessus, et si vous parvenez à le capturer, je vous aimerai à tout jamais tant que je serai en vie". Ils s'approchèrent du bateau avec force et s'emparèrent de la reine. Godlac tua les marins, prit tout le trésor puis ramena la reine Delgan vers le Danemark. Il avait dans l'idée de l'avoir pour son propre bénéfice mais il en alla autrement. Godlac allait de l'avant. Son coeur était léger. Il avait l'intention de prendre Delgan comme reine du Danemark. Mais un grand obstacle, qui lui fut détestable, se dressa : à l'est, se leva une tempête épouvantable ; les cieux s'assombrirent, le vent devint contraire et la mer se déchaîna. Les vagues s'élevaient comme des maisons en feu. Les cordes rompaient, le malheur était partout ! Les bateaux sombraient : là, cinquante-trois embarcations allèrent au fond. Dans la mer démontée, les voiles se retournaient. Godlac avait un bon bateau ; il était inquiet. Il se demanda ce qu'il pouvait faire. Il saisit une grande hache de combat, très bien aiguisée. Il trancha le mât en deux, à mi-hauteur. Il laissa les vagues emporter la voile et le mât. Puis Godlac prononça les paroles suivantes, grande était sa colère, : "Que chaque homme vaillant apporte son aide afin que nous vivions, que nous touchions terre - quelle que soit cette terre !". Ils progressèrent avec le mauvais temps, sans savoir dans quelle direction ils allaient. Après cinq jours de traversée, ils débarquèrent dans notre pays. [2299]

Les chevaliers du roi qui surveillaient la mer surgirent et s'emparèrent du roi Godlac et de la reine Delgan. Ils leur parlèrent avec méchanceté : "Vous allez tous mourir maintenant ! Mais si vous voulez bien nous dire d'où vous venez et ce que vous cherchez, alors vous pourrez vivre". Godlac répondit par de judicieuses paroles : "Nous sommes des navigateurs harassés et nous allons dire la vérité : aucun de ces hommes ne sait dans quel pays il est arrivé, nous ne connaissons pas ce rivage que nous avons recherché, ne connaissons pas ce pays, ce peuple ni qui en est le seigneur. Nous ne savons pas non plus si nous ne parlons pas avec nos ennemis. Mais je vous prie, messieurs, conduisez-nous auprès de votre roi et je lui parlerai de nos joies et de nos peines". Et les chevaliers conduisirent Godlac et la reine, leurs biens et ses compagnons au monarque. Ils lui dirent qu'il était en G.Bretagne, dans le royaume de Belin. [2315]

Dès qu'il fut auprès du roi, il lui adressa judicieusement la parole : "Je te salue roi Belin ! Brennus est ton frère et je me nomme Godlac. J'étais le seigneur d'un peuple, le roi du Danemark. Cette femme s'appelle Delgan. Brennus s'est rendu en Norvège, chez le roi Alfing. Celui-ci lui a donné Delgan qui, auparavant, était ma bien-aimée. Des messagers arrivèrent entre temps ; ils me dirent avec exactitude quand Brennus s'en irait et emménerait ma bien-aimée. Je suis alors parti à sa rencontre avec quarante bons navires et avec autant de vaillants chevaliers que les bateaux pouvaient en contenir. Et je vais te parler d'une chose extraordinaire : il avait sept cents bateaux ! J'ai livré bataille et Brennus s'est enfui. J'ai vaincu ses hommes et en ai tué un très grand nombre. Et là, je me suis emparé de Delgan, celle qui était auparavent ma bien-aimée. Et je te dis la vérité : ton frère est vivant car il a mis le cap sur la côte et est bien arrivé au port. Puis j'ai vu le bateau de la reine qui avançait avec le courant, je l'ai poursuivi et l'ai gagné dans la bataille. Alors je fus heureux sur terre ! Lorsque je fus en pleine mer, le vent contraire se leva contre moi. Le temps était si mauvais que la mer se déchaîna et me conduisit jusqu'à ce pays-ci, dans ton territoire ; accorde-moi ta clémence car tu as tout pouvoir sur moi". Le roi les fit ligoter avec des liens très solides dans un château fort où il les fit bien garder. [2340]

Quatre semaines seulement après ces événements, Brennus arriva en Ecosse avec quatre cents bateaux. Des hommes étaient voués au malheur ! Il envoya son messager à son frère Belin et lui enjoignit de rapidement lui donner sa reine ainsi que le roi Godlac qui avait tué ses hommes. "Et s'il refuse, il lui arrivera le pire ! Je me rendrai dans son pays et tuerai tout ce que je trouverai par le combat ou par le feu. Je tiendrai parole à moins qu'il ne me donne ce que je lui demande, qu'il quitte mon territoire, qu'il retourne dans son royaume, qu'il me rende mes villes, mes bonnes forteresses, mes châteaux et mes tours qu'il détient injustement". Ce messager alla voir le roi Belin et lui fit part de la sommation de son frère Brennus ; Brennus lui refusa tout ce qu'il demandait et dit qu'il ne s'y plierait jamais tant qu'il pourrait monter à cheval. Le messager s'en retourna le dire à Brennus. Ce dernier entra dans une grande colère, convoqua ses troupes, arma ses soldats comme pour le combat, rassembla ses chevaliers comme pour une guerre. De son côté, Belin se précipita vers lui. [2362] La colère grondait dans la forêt de Kalatere où ils se rencontrèrent et se saluèrent avec malveillance. Ils se firent face, s'approchèrent rapidement et combattirent férocement. Il y eut des morts par milliers ! Le roi Belin se battit bien, les Bretons également. C'était les plus vaillants, l'honneur fut pour eux. Brennus se désengagea et battit en retraite avec ses hommes jusqu'à la mer dans une grande détresse. Belin les poursuivit en les terrassant : il en renversa soixante mille ! Brennus trouva un bateau amarré près de la berge. Il y pénétra avec ses douze hommes : parmi tous ses hommes, il n'en sauva pas plus ! Il traversa la mer jusqu'en France et les blessés allèrent dans la forêt. [2377]

Lorsque tout ceci fut terminé et que Brennus se fut enfui au loin, Belin tint un conseil avec ses comtes à York. Il demanda à ses hommes fortunés de bien le conseiller et de lui dire ce qu'il devrait faire de l'homme qui se trouvait être le roi Godlac et qu'il retenait prisonnier. Car Godlac lui envoya un message par un homme sage : s'il voulait bien le libérer de ses liens odieux, lui et ses hommes deviendraient ses vassaux, il lui donnerait tout l'or qu'il possédait au Danemark et chaque année, il lui enverrait trois mille livres. D'ici là, il lui trouverait des otages comme caution, à condition qu'il le laisse partir, lui et ses compagnons, et qu'il puisse emmener sa bien-aimée au Danemark. Le roi Belin accepta les propositions faites par Godlac et le laissa partir libre accompagné de tous ses compagnons. Belin avait obtenu avec honneur les otages, les bons présents et l'hommage. Et Godlac emmena la très belle femme qu'il avait acquise à haut prix ; il se disait qu'elle serait à elle. [2396]

Belin détint ce royaume de bien nombreuses années ; il mena tout son peuple sans oppression, établit une paix bénéfique. Ses hommes la respectèrent bien. En ce temps là, il y avait de très bonnes lois dans ce pays et tout être vivant révérait le roi. Belin avait alors la G.Bretagne toute entière entre les mains. Il parcourut tout le pays et instaura des lois. Il contempla les forêts, les étendues sauvages, les prairies, les landes, les hautes montagnes, les bourgs et les villes. Et il observa tout avec attention. Le roi se demanda ce qu'il pouvait faire. Il entreprit la construction d'une voie large et très imposante, belle et très longue d'un bout à l'autre de son royaume. Et le roi et son peuple l'appelèrent "Fosse". Elle s'étend de la sortie de Totnes jusqu'au Caithness. Totnes est en Cornouailles et le Caithness, en Ecosse. Il réalisa une autre voie très pratique de Southampton à Saint Davids. Ensuite, il fit la troisième qui partageait le pays en deux . Lorsque ces routes furent achevées, alors le roi y établit une régulation : celui qui ne respecterait pas la paix sur les voies, serait condamné à mort par le souverain. Mais quiconque viendrait à y rencontrer quelqu'un d'autre devait le saluer aimablement. Ces voies, que j'ai nommées, étaient celles de ce roi. [2418]

Brennus, qui était le frère de ce roi, était en France. La colère dévorait son coeur et la honte son esprit à cause de la perte de son royaume et de sa reine qu'il aimait. Et il ressentait une très grande honte à être déshonoré de la sorte. Il vivait en France avec ses douze compagnons. Il servait le roi et faisait tout pour le satisfaire ; tous les Français aimaient beaucoup Brennus car celui-ci avait acquis une grande fortune qu'il distribuait avec libéralité. Il n'était pas cupide mais donnait facilement. Dans ce pays, il fut un homme très vaillant et ses actions furent nobles aussi il connut souvent la joie ; c'est pourquoi il était des plus heureux. Alors qu'(en ce royaume) il était renommé, connu en tous lieux et que le roi, tout comme tout son peuple, l'aimait, il rassembla ses compagnons et pria le souverain de cette nation de l'aider, avec son bon peuple, à regagner son territoire des mains de son frère. Le roi le lui promit et tint parole. [2435]

Alors (Brennus) prit congé, se rendit chez le duc Seguin qui était le seigneur de la Bourgogne et de la Bretagne, celle qui est de l'autre côté de la mer . Il salua le duc avec civilité lorsqu'il lui demanda sa protection. Il lui dit qu'il voulait le servir, l'avoir comme maître, s'incliner devant lui avec dévotion et le considérer comme son seigneur. C'est pourquoi le duc fut content et l'accueillit avec bienveillance. Brennus était un prince très accompli - son sort était des plus favorables ! Brennus s'y connaissait en chiens de chasse et en faucons. Il savait faire résonner la harpe sous ses doigts. A cause de son habileté manuelle, les seigneurs de la cour l'aimaient et son seigneur le traitait comme s'il était son propre fils. Le duc avait une fille qui lui était très chère mais il n'avait pas de fils et il en était désolé. Le roi observa Brennus qui avait un corps bien fait et il lui dit avec sincérité : "Brennus, tu es séduisant, tu es bien né, tu es un très bon chevalier et tu me plais. Tu es venu par les flots, tu es fils de roi, tu m'es très agréable et je t'aime beaucoup. Tout ce que je t'ai promis, je le ferai. Je vais te donner ma fille qui m'est très chère et, à ma mort, tu auras tout mon royaume. Car tous mes hommes sont d'accord pour qu'il en soit ainsi et que tu reçoives cela". Alors, Brennus répondit, usant de mots humbles : "Je te remercie, ainsi que tous tes gens, pour le grand honneur que vous m'accordez". Tout ceci eut lieu comme le duc l'avait décidé : la joie régnait à la cour ! Alors Brennus épousa cette jeune fille avec grande noblesse. Il vécut à la cour du duc. Au bout d'un an, le duc mourut et Brennus eut son duché. Les gens tenaient à lui comme à leur propre vie car il maintenait une très bonne paix et il était bon avec ses hommes. Il détenait un très grand territoire, avait une femme très bonne qu'il aimait autant que sa propre vie. [2472]

Au bout de quelques années, Brennus pensa à son frère Belin qui s'était emparé de ses terres. Il envoya ses messagers par toute la Bourgogne. Les guerriers étaient si nombreux qu'on ne pouvait les compter. Il se rendit en Normandie, où il embarqua, et arriva sans difficulté dans ce pays (= la Grande Betagne). Brennus et ses hommes débarquèrent. Des messagers arrivèrent auprès de Belin et lui dirent la vérité, à savoir que Brennus, son frère, voulait reprendre son royaume et était arrivé dans le pays, accompagné d'une troupe innombrable. Belin convoqua ses hommes, d'un bout à l'autre du pays, et ordonna à tous les guerriers qui vivaient sur cette île de venir l'aider à repousser les étrangers. La troupe était prête et ils partirent. Les deux armées se firent face. [2487]

A cette époque, la vieille reine vivait encore, une femme sage et courageuse. Elle s'appela Tonuenne. Elle avait donné naissance à Belin (et à Brennus. Cette vieille reine était très avisée) et elle le montra bien. Elle enfila une tunique qui était toute déchirée ; elle releva le bas presque jusqu'à ses genoux et marcha pieds nus. Elle fit tout cela pour le bien. Elle se rendit à pied jusqu'à l'armée qui avait débarqué dans ce pays ; elle demanda à voir Brennus, où il était dans la troupe, où il s'armait comme pour aller se battre. Tous ses hommes mettaient leur cuirasse. En attendant, les hommes la guidèrent tant et si bien qu'elle arriva auprès de son fils. Elle courut jusqu'à lui, le prit dans ses bras, l'enlaça et l'embrassa de nombreuses fois. "Ah ! Que veux-tu Brennus ? Quel malheur échafaudes-tu ? Si tu tues ton frère, tu ne pourras jamais plus en espérer d'autre. Vous n'êtes que deux, vous êtes tous les deux mes fils. Pense à ton honneur, pense à ta mère, pense à mon exhortation, tu es mon enfant bien-aimé. Vois ici les tétins que tu as sucés de tes lèvres. Regarde ici la femme qui t'a mis au monde. Regarde ici ces entrailles dans lesquelles tu as séjourné si longtemps. Regarde ici ce même corps. Ne m'inflige pas le déshonneur de devoir me poignarder à cause de tes actions. Il y a maintenat sept ans, tu étais dans ce pays et tu rompis l'alliance qui te liait à ton frère. Tu étais devenu son homme et il t'aimait comme son fils. Tu lui avais juré de ne pas le trahir. Tu as tort et il a raison. C'est pour toi un grand malheur. Et tu es parti sur la mer, sans prendre congé, jusque chez le roi Alfing, tu as épousé sa jeune fille. Ainsi tu voulais revenir dans ce pays, avec une armée, te déshonorer et combattre ton frère, si le roi du Danemark ne t'avait pas gêné. Par la suite, tu es venu et tu as essuyé un revers, aussi tu as retraversé la mer et maintenant te voilà revenu et prospère. Actuellement, tu es à la tête d'un pays et il va nous arriver le pire. Aidé par des hommes étrangers, tu veux tuer ceux de ta race. Aucun chevalier ne devrait avoir recours à des pillages lorsqu'il a assujetti de pauvres gens ni faire le mal dans son pays natal. Mais Brennus, cher fils, reviens sur tes pensées impitoyables, pose à terre ta cuirasse, ton bouclier rouge, ta longue lance, ta puissante épée. Crois ta mère et aime ton frère". Des larmes coulaient le long de ses joues. Brennus le vit, son coeur en fut ému. Il laissa glisser sa lance qui tomba au sol. Il jeta son riche bouclier au loin, dans le champ, et ôta sa cotte de mailles. [2535]

Brennus et sa mère avancèrent pacifiquement dans un large champ et Belin vint à leur rencontre. Alors les deux frères, l'un comme l'autre, pleurèrent. Puis la mère parla d'une douce voix : "Vous êtes mes fils bien-aimés, allez ensemble, soyez réconciliés et toujours heureux. Embrassez et étreignez-vous comme deux vrais parents. Vous êtes, tous les deux, de vaillants chevaliers. Je fus jadis reine. Il n'est pas déplacé que votre mère vous donne des ordres". Alors, ils s'embrassèrent - eux qui étaient fils de roi - et, devant les deux armées, se réconcilièrent. Les trompettes retentirent, les troupes se réjouirent. Des hommes chantèrent, les sons de pipeaux se mêlèrent. L'allégresse était telle qu'elle ne pouvait être plus grande ! [2549]

Ainsi Brennus fit la paix avec son frère. Puis ils invitèrent leurs chers hommes à se rendre à Londres - sous peine d'une amende de quarante livres - pour une assemblée présidée par le roi Belin. Tous ces gens se réunirent donc à Londres. Il y avait le roi Belin et tout son peuple, les Bretons, les Ecossais et de nombreux comtes glorieux. Il y avait le duc de Bourgogne, qui s'appelait Brennus. Les deux frères étaient heureux, tout comme les deux armées venues de régions diverses. Les rois consultèrent leurs riches hommes qui leur conseillèrent de se rendre en France avec leurs troupes. Il y avait en France, en ce temps là, des lois et des coutumes car il y avait quatre rois. Belin dit à Brennus : "Partons rapidement pour la France et conquérons la par la force". [2565]

Il soufflèrent dans leurs trompettes, assemblèrent leurs forces, allèrent jusqu'à la mer qu'ils traversèrent sans ennui. Ils arrivèrent au port avec neuf cents bateaux. Ils pénétrèrent dans le pays et maltraitèrent les habitants. Les quatre rois apprirent que le roi Belin était arrivé, ainsi que le duc Brennus, à la tête d'une armée innombrable pour conquérir la France. Les rois se réunirent et jurèrent qu'ils vivraient, ou reposeraient morts, tous ensemble et que chacun devait considérer les autres comme ses frères. Ils le jurèrent en prêtant serment et ils tinrent parole. Ils rassemblèrent leurs troupes qui étaient très puissantes et progressèrent rapidement vers Belin. Brennus, et son armée, se trouvait devant Belin. [2579]

Les rois, et leurs troupes, engagèrent le combat. Les armées combattirent férocement ; les Ecossais et les Bretons luttaient côte à côte. Leur seigneur, Belin, se plaça à leur tête et Brennus se posta sur le côté avec ses gens de Bourgogne. Les coups pleuvaient de part et d'autre ! les heaumes résonnaient ! les larges lances se brisaient ! les boucliers vibraient ! du sang rouge coulait ! des guerriers s'écroulaient ! il y avait plus d'un grincement de dents ! la dévastation était partout ! Les collines et les vallées étaient jonchées de morts. Belin souleva son heaume et appela Brennus : "Vois, frère bien-aimé, combien les Français sont brisés tandis que nos forces sont encore entières. Approchons, que le massacre soit funeste, perçons les de nos pointes et lames !". Brennus était très vaillant et il approuva totalement. Ils tuèrent tous ceux qui s'approchaient et terrassèrent les quatre rois. Tous ceux qui étaient riches s'enfuirent se réfugier dans les châteaux ; (les Bretons) les poursuivirent tout en les harcelant de leurs lances et de leurs épées. Il ne pouvait y avoir de répit que s'ils demandaient la paix car (les Bretons) prenaient le château d'assaut et tuaient l'homme et ses gens. Ainsi, ils s'emparèrent de la France. [2602]

La même année, Belin devint empereur associé à son frère Brennus car ils avaient conquis la France par la force ainsi que tous les francs-fiefs qui ont une frontière avec la France. Après s'être emparé d'un grand territoire, les deux frères se concertèrent et décidèrent de réunir en une assemblée tous ceux qui obéissaient à leurs lois et ceux de tous les pays qui leur appartenaient. Sur l'avis de tous, ils décidèrent de se rendre à Rome pour venger, sur le peuple, Remus le juste, que son frère Romulus avait tué de nombreuses années auparavant car ces gens étaient toujours là. Les rois agirent comme ils avaient décidé. [2616]

Ils rassemblèrent leurs troupes sur le territoire français. Lorsque tout le monde fut arrivé, ils se mirent rapidement en marche car il y avait une multitude immense et innombrable qui n'aurait jamais pu être maintenue dans un seul royaume. Ils passèrent par le Montgieu avec leur grande armée. Ensuite, ils poursuivirent d'un pas décidé par ce que les hommes appellent le mont Cenis. Ils prirent Turin, Ivrée et toutes les villes de Lombardie, Verceil et Pavie, Crémone, Milan, Plaisance et Bologne. Ils traversèrent la rivière Taro puis se dirigèrent vers le mont Bardon. Ils conquirent toute la Toscagne. A Salome, ils tuèrent plusieurs milliers de gens. Ainsi, ils se rapprochèrent de Rome ; il leur sembla qu'ils arrivaient trop tard ! . [2627]

Et les habitants de Rome étaient très effrayés car ils avaient reçu de terribles informations au sujet du roi Belin. Tous les magistrats qui vivaient à Rome et tous les hommes opulents qui gouvernaient la ville de Rome avaient choisi deux comtes, cette même année, qui devaient protéger le territoire, guider le peuple, prendre le commandement de l'armée et la mener où elle était nécessaire. Je vais te donner leurs noms : le premier s'appelait Gabius, l'autre Prosenna. Ces comtes étaient hardis, vaillants et valeureux ; tout le peuple romain suivait leurs recommendations. Ces hommes se rendirent à Rome, auprès des hommes sages . Ils leur demandèrent des conseils de première urgence : "Devraient-ils mobiliser des troupes pour combattre Belin ou parler avec lui et ensuite lui demander la paix ?". Il y avait à Rome des hommes au jugement avisé et ils pensèrent duper Belin par leurs ruses astucieuses. Les comtes décidèrent de suivre leur conseil, leur suggestion, de ne pas se battre, de ne pas faire partir une armée : "Nous irons vers eux pacifiquement, nous nous entendrons avec eux. Nous remettrons entre leurs mains tout ce territoire romain et les honorerons, dans ce pays, comme un homme honore son seigneur. Nous leur donnerons de l'argent et de l'or, leur remettrons tout ce pays. Nous leur donnerons autant de trésors qu'ils pourront en garder, nos enfants comme otages s'ils le veulent - le fils de chaque baron qui vit dans cette ville. Ils seront sélectionnés, de haut rang, nobles et au nombre de vingt-quatre. Et chaque années (nous donnerons) mille livres d'or. Les rois sont puissants et viennent de terres lointaines. Ils ont une armée innombrable comme jamais il n'en exista auparavant. Les rois sont jeunes, d'une grande avidité. Dès qu'ils entendront ces paroles, ils accepteront car il se peut qu'ils ne nous demandent rien d'autre que d'implorer leur pitié. Et si nous parvenons à ce qu'ils acceptent tout cela, qu'ils quittent notre pays et regagnent le leur, alors nous nous remettrons à vivre selon notre désir. Car il vaut mieux que nous perdions nos chers enfants plutôt que de suivre le conseil de tous, mourir et voir toute la ville de Rome dévastée par les flammes et toutes les terres qui s'étendent autour de Rome, si riches pour l'instant, totalement ravagées. Car si Tervagant - le dieu de notre contrée - le veut, nous allons les duper et les tuer si bien qu'ils ne retourneront jamais sains et saufs dans leur pays". Dans la grand'salle, ils dirent : "Nous adhérons à ce plan". [2673]

Les comtes se préparèrent, revêtirent de très beaux vêtements et prirent avec eux autant de chevaliers qu'il leur sembla bon. Ils bondirent sur leurs splendides destriers qui étaient revêtus de magnifiques tapis de selle. Chacun d'entre eux prit une coupe d'or rouge dans la main. Ils marchèrent quatre jours durant jusqu'au lieu où Belin se trouvait avec sa troupe et son frère Brennus. Ils demandèrent aux seigneurs où étaient les rois. Les hommes leur indiquèrent les champs où se dressaient les tentes des rois. Ils avancèrent rapidement jusqu'à cet emplacement. Ils furent grandement étonnés de voir tant de gens venus de partout. Ils virent le roi Belin sortir de la tente aussi ils mirent pied à terre et s'agenouillèrent avec affabilité devant le roi. Ils se prosternèrent (et dirent) : "Seigneur, (accorde nous) ta grâce car tu es le souverain ! nous te livrons Rome, tout le royaume et toutes les terres qui s'étendent autour de Rome ainsi que toutes les richesses que nous avons accumulées et autant de trésors qu tes hommes pourront garder. Et nous jurerons de ne pas te tromper par notre puissant dieu qui porte le nom de Dagon. Nous deviendrons tes hommes, nous célèbrerons ton honneur de toutes nos forces, jour et nuit. Et nous te livrerons vingt-quatre fils d'hommes riches de notre royaume qui seront tous triés sur le volet et très bien nés. Nous quitterons ce pays pour te venir en aide où que tu sois car tu es notre seigneur. Nous avons été envoyés pour proposer cet accord et nous implorons ta pitié maintenant et à jamais". [2704]

Le roi était silencieux et les traîtres mentaient. Il estima qu'ils avaient dit la vérité mais leurs pensées étaient toute-autre : ils voulaient tuer le roi Belin et son frère. Puis (Belin) brisa le silence et prononça des paroles bienveillantes : "Vous me faites une bonne promesse ; si vous la tenez, tout ira pour le mieux à votre égard. J'accepte un tel accord. Vous dépendrez de moi et m'aurez comme maître ; vous détiendrez librement votre contrée et nous serons amis. Dans sept jours, aujourd'hui, apportez-moi, ici-même, de l'or, des biens précieux, des présents et vos otages. Et que viennent prêter serment, devant moi, les plus grands de Rome - ils en seront bien aise. Et qu'ils deviennent mes hommes et célèbrent mon honneur. Si vous ne le faites pas, je vous tuerai tous. Mais retournez chez vous au galop, regardez bien ce lieu où je vous attends ; si vos paroles sont loyales, revenez dans sept jours et si vos paroles sont malhonnêtes, restez à Rome et je viendrai à vous et vous apporterai peines et tourments". [2723]

Ces fourbes repartirent à Rome à cheval ; ils rassemblèrent leurs cadeaux, tous les otages et les apportèrent au roi Belin au jour convenu. Le souverain les reçut civilement et leur fit des promesses d'amitié. Puis ils lui donnèrent les otages et devinrent ses hommes. Fort de cet accord, (le roi) se retira et les traîtres, bientôt, regagnèrent Rome. [2730]

Belin et Brennus, d'un commun accord, décidèrent, après concertation et discussion, de traverser la Lombardie, de se rendre en Germanie et de conquérir ce pays. Les Germains étaient au courant de leur venue et rassemblèrent contre eux une armée très puissante venue de tout le territoire que l'empereur avait en son pouvoir. Les Romains remarquèrent rapidement que Belin et Brennus étaient tous les deux partis. Ils apprêtèrent deux cents hardis cavaliers et les envoyèrent promptement à leur poursuite. Ils dépêchèrent par ailleurs d'autres cavaliers - dix mille chevaliers, tous de renom - pour arriver avant et aider l'empereur qui allait soutenir le combat contre le roi Belin. Les troupes romaines chevauchaient derrière Belin. Elles estimèrent être le plus proche de lui là où les montagnes étaient les plus imposantes et elles décochèrent des flèches par le passage le plus étroit pour tuer leur seigneur Belin et son frère également. Ils oublièrent leurs otages et la paix à laquelle ils aspiraient, leurs serments et leur promesse - c'est pourquoi ils connurent le malheur ! Belin et son frère étaient tous les deux au courant de la félonie qui leur arrivait de Rome. Alors ils eurent grand peur de l'empereur germanique : ils tinrent conseil car ils étaient en difficulté. Ils décidèrent que Brennus et son armée devaient faire marche arrière pour livrer bataille aux Romains et les écraser si possible. Belin passerait par delà les montagnes avec sa puissante armée pour se battre contre l'empereur, se lancer dans une bataille contre la troupe des Germains et essayer de vaincre. Le premier des deux frères qui gagnerait son combat devrait rapidement venir à l'aide de l'autre. [2762]

Les Bourguignons firent marche arrière avec Brennus. Les Français et les Poitevins lui jurèrent fidélité et lui prêtèrent serment. Ceux du Maine et les Tourangeaux le servaient loyalement, les Normands et les Flamands l'aidaient librement, les Lorains l'assistaient avec force et les Gascons, qui ne voulaient pas faire la paix, ainsi que les peuples de nombreuses contrées, progressèrent avec Brennus en direction des Romains qui les poursuivaient. Brennus et sa troupe se trouvèrent face à eux. Dès que les Romains virent Brennus qui avançait vers eux, ceux-ci cherchèrent à fuir. (Les Bretons) les poursuivirent et en terrassèrent beaucoup. Un très grand nombre d'entre eux s'enfuirent et repartirent en direction de Rome. Et le puissant Brennus les poursuivit sans relâche. Il marcha sur Rome avec sa puissante armée. [2777]

Et Belin, le noble roi, était en Germanie. Il avait des forces en quantité suffisante, nombreuses et considérables : des Bretons et Gallois, Ecossais et Danois. Il y avait le roi Godlac qui était utile en cas de difficulté. Lorsque les dix mille chevaliers qui étaient venus de Rome pour aider l'empereur, apprirent que le puissant Brennus marchait sur Rome et qu'il avait tué certains de leurs hommes et que d'autres avaient été repoussés, ils décidèrent de quitter ce lieu et de regagner Rome avant que Brennus n'y parvienne. Belin apprit comment son frère Brennus s'était hâté ainsi que tout ce qu'il avait fait. Un autre messager arriva qui lui raconta immédiatement que deux mille chevaliers, qui participaient à la bataille en Germanie, se rendraient bientôt à Rome et avaient choisi de se déplacer de nuit. Belin était très avisé et la prudence l'habitait. Il avait percé le flanc d'un grand nombre de Germains et il en détenait beaucoup de vivants qui le suivaient, enchaînés. Il avait capturé, au cours de la bataille, deux hommes sages qui connaissaient les lois du pays et la langue des habitants. Le roi Belin leur parla et s'adressa à eux de la sorte : "Ecoutez chevaliers, ce que je vais vous apprendre. Je vous retiens tous les deux prisonniers. Si vous suivez mon conseil, je vous libérerai, vous habillerai de beaux vêtements et ferai de vous des hommes riches. Venez avec moi et je deviendrai votre ami si - vous qui connaissez ce pays - me conduisez jusqu'au lieu, bien connu de vous, par où les Romains vont passer. Nous les surprendrons, les attaquerons et écraserons nos ennemis puis nous rejoindrons Brennus, poursuivrons notre chemin, après concertation, et assiégerons Rome. Et je vous demande ceci instamment, pour notre bien à tous". Les chevaliers étaient réfléchis et d'une très grande prudence ; ils acceptèrent tout ce que Belin leur réclamait. Ils leur montrèrent le chemin, les menèrent jusqu'au Montgieu où ils passèrent par une vallée encadrée par des montagnes où ceux qui étaient voués au malheur devaient déboucher ! [2816]

Belin se tenait parfaitement immobile près des collines. Puis les Romains arrivèrent. Belin bondit sur eux par devant et par derrière. Les chevaliers étaient désarmés lorsque le malheur s'abattit sur eux ! Ils pensaient être en sécurité lorsque Belin les attaqua. (Les Bretons) ne prirent aucun chevalier vivant mais les tuèrent tous car Belin n'avait aucun chevalier qui ne soit bon guerrier ni aucun écuyer qui ne se batte comme un comte, ni même un seul jeune serviteur qui ne se démène avec furie ! La bataille débuta à minuit et dura jusqu'à l'aube. Et, par conséquent, toute la journée durant, ils parcoururent les montagnes et tuèrent tous ceux qui s'étaient éloignés en rampant pendant la nuit. [2828]

Le lendemain, Belin fit sonner ses trompettes et rassembla sa troupe : il leur ordonna de repartir, de poursuivre dans la même direction, vers l'endroit où se trouvait Rome, de marcher dans les traces de son frère Brennus qui était devant eux. Brennus fut mis au courant et attendit son frère. Ils poursuivirent ensemble et atteignirent la ville de Rome. [2834]

Avec leur armée, ils assiégèrent la cité. La population, à l'intérieur, leur résista avec bravoure. Belin et Brennus les assaillirent de tous côtés et les autres leur décochèrent des flèches acérées. Plus d'une fois, ceux-ci firent couler du plomb bouillant sur la tête (des Bretons), jettèrent des troncs d'arbres, des pierres et des flèches incandescentes. Ils défendirent très bien les murs de Rome si bien que (les Bretons), en dépit de toutes les techniques qu'ils connaissaient et de tous les assauts de leurs armées, ne parvinrent pas à vaincre la puissance des remparts de Rome. Mais ils perdirent plusieurs milliers de leurs hommes valeureux, qu'ils éloignèrent des murs. Ils étaient très affligés. [2846]

Les rois se demandèrent ce qu'ils pouvaient faire et se dirent : "Faisons venir rapidement les vingt-quatre enfants que nous avons en otages, dressons une potence. Qu'ils soient pendus, qu'ils paient pour nos échecs sur nos ennemis ! Ceux-ci vont devoir subir une attaque qui leur sera terrible !". La potence fut érigée, ils hissèrent les otages et les pendirent devant leurs parents : leurs pères furent très affligés lorsqu'ils virent leurs enfants pendus. Ils déclarèrent ouvertement, et en firent le serment (il ne pouvait en découler que le pire) que jamais, morts ou vivants, ils ne feraient la paix. Car c'était les plus riches, les plus nobles et les plus sages, de tous ceux qui habitaient Rome, qui, de leurs propres yeux, virent que des hommes pendaient leurs enfants à de grands arbres. [2862]

Les comtes, qui auraient dû les défendre, étaient très loin : Gabius et Prosenna s'étaient rendus en Lombardie, à l'intérieur du pays, à la recherche d'hommes qui pourraient aider leurs soldats contre Belin et Brennus. Puis un homme entra en courant dans la ville de Rome, il était envoyé par les deux comtes. Il apporta des lettres qui disaient, ce qui était vrai, que les comtes allaient arriver cette nuit même avec dix mille chevaliers, que d'autre part une immense armée de fantassins suivrait et tuerait le roi Belin ainsi que son frère Brennus. "Faites moi confiance ; dès que le soir sera tombé, faites sortir les chevaliers et engagez le combat avant minuit. Je vous l'assure, Gabius et Prosenna arriveront avec leurs hommes qui vous vengeront dignement de vos ennemis !". Dès la fin de la journée, ils ouvrirent donc les portes, firent sortir les chevaliers et se lancèrent dans une grande bataille. Ils combattirent ainsi toute la nuit jusqu'à l'aube. Alors on vit approcher une armée innombrable : Gabius et Prosenna arrivaient de Lombardie avec de nombreux renforts. Ils se dirigèrent vers Brennus qui les combattit âprement. Belin se rua sur les Romains et les affronta férocement. La bataille fut colossale. Le malheur se répandit, des Bretons s'écroulaient. (Les forces de) Belin et Brennus étaient touchées et les Romains les couvrirent d'invectives : "Que cherchiez-vous ici, vauriens, avec ces rois bretons ? Pensiez-vous conquérir Rome par vos ruses, pensiez-vous combattre et anéantir notre peuple et ainsi devenir riches et posséder tout Rome ? Vous allez boire votre propre sang. Vous allez connaître le malheur ! Vous êtes les tortionnaires de nos enfants par conséquent vous allez périr ! Notre peuple vous écrasera de la façon la plus effroyable". [2897]

Belin et Brennus se retirèrent de la bataille dans un grand fossé qu'il avaient fait creuser pour que leurs hommes puissent y demeurer à l'aise. A l'abri, ils discutèrent, conversèrent là dedans un petit moment, cela ne dura pas plus d'une minute ; ils se parlèrent ainsi entre eux : "Si nous partons d'ici, ils nous poursuivront tous et si nous parvenions à rejoindre notre terre, nous aurions le coeur meurtri et ceux de notre race nous feraient des reproches à jamais. Aussi réattaquons les de nos épées car tous seront écrasés, vengeons nos hommes ! Nous préférons, en effet, tomber ici avec honneur plutôt que de partir d'ici sains et saufs au mépris de nos amis". Pendant qu'ils parlaient ainsi et prononçaient ces mots, les Romains crurent que Belin voulait se retirer et ils se dirent entre eux, dans la ville de Rome : "Maintenant, ils veulent s'en aller, ils ne veulent plus se battre". Mais Belin et son frère pensaient tout autrement. Ils depêchèrent, en dehors de Rome, quatre mille vaillants chevaliers jusqu'à un grand château pour protéger le roi Belin et son frère Brennus et combattre avec bravoure. Et les autres, de Rome, devaient les suivre, tuer tous ceux qui se trouvaient entre eux et se venger de leurs pertes. Les chevaliers étaient en marche loin de Rome. Alors Belin, ainsi que son frère Brennus, ordonna : "Descendez de vos chevaux, avancez à pied, sciez vos longues épées, rendez les courtes et solides, taillez tous la petite extrêmité de vos boucliers et nous allons, devant vous, vivre ou mourir ! Et que chaque homme de valeur s'enhardisse, car ici tous les pauvres deviendront riches. Faites sonner vos trompettes, rassemblez vos troupes et formons, avec nos compagnons, cinquante bataillons, et dans chaque bataillon un vaillant seigneur encouragera (ses hommes) et veillera à ce qu'ils restent ensemble. Précipitons nous car nous allons tous combattre au mieux". [2935]

Ils firent sonner leurs trompettes de façon à ce que les Romains puissent entendre puis se mirent en route, braves chevaliers ! Lorsque les Romains virent Belin et son frère, alors ils s'adressèrent d'une voix forte à la population : "Maintenant nos ennemis vont fuir, maintenant nous allons les attaquer". Avec les hommes en première ligne, Prosenna sortit. Gabius le suivit avec cinq mille chevaliers qu'encombraient les nombreuses armes. Les (Bretons) étaient lestes, leurs armes étaient légères. Ils s'affrontèrent et combattirent avec haine. Les Romains étaient tous à cheval, les autres à pied ; ils se précipitèrent contre eux et pourfendirent tous leurs chevaux. Ils tuèrent Gabius et capturèrent Prosenna. Des Romains, ils n'en firent qu'à leur guise : ils tuèrent tous ceux qui résistaient. Ils éventrèrent les murs de Rome de tous côtés, pénétrèrent à l'intérieur et s'emparèrent de la ville. Ils conquirent Rome, cette cité riche et fortifiée ; ils trouvèrent là beaucoup d'or et des trésors innombrables. Ils firent sauter les serrures et s'emparèrent des bijoux, palliums et pourpres confectionnés dans les Pouilles ainsi que de richesses de toutes sortes. De nombreux hommes pauvres devinrent riches du jour au lendemain. Pendant sept nuits chaque chevalier reçut de l'argent, de l'or et des terres à volonté. [2961]

Les rois firent faire de bonnes choses : la construction de grand'salles, la restauration des remparts qui étaient en ruine à cause de cette bataille intense. Ils firent grimper (des hommes) sur une hauteur et ils annoncèrent à la population que les rois voulaient leur parler et établir la paix : personne ne devait être insensé au point de faire couler le sang, ou de réclamer les biens d'un autre, à moins que celui-ci ne veuille les donner. "Et que tous les fugitifs qui s'étaient enfuis de Rome et qui voulaient revenir, qui aspiraient à la paix de ces rois et qui deviendraient leurs hommes - comme nous l'avons déjà fait savoir - reviennent avec de bonnes intentions et vivent ici toute leur vie et aient les mêmes lois que celles qui existaient du temps de leurs aînés. Et Belin, notre grand roi, remet (Rome) à Brennus qui demeurera ici et sera votre empereur tandis que (Belin) s'en ira et prendra congé de vous et d'ici se rendra en G.Bretagne". Il y eut beaucoup de pleurs lorsque Belin partit de là, mais ils se consolèrent vite avec les richesses de Rome. Brennus resta là en tant que roi de Lombardie et Belin s'en retourna dans son royaume. (Brennus) fit faire des travaux royaux sur ses châteaux, fit rebâtir toutes les grand'salles, renforcer tous les murs, construire des chambres, ériger des tours et ainsi gouverna ce beau pays avec dignité. Brennus dirigea Rome pendant quinze années entières puis sa vie toucha à sa fin. Les Romains s'en réjouirent. Ils s'emparèrent de leur territoire, reprirent en main la ville et grande fut leur joie après la mort de Brennus. [2989]

Et Belin, dans son pays, établit de solides lois ; de très bonnes lois existaient en son temps. Belin se rendit au pays de Galles et édifia un château. Il le bâtit majestueux sur la rivière Usk. Grâce à cette rivière, le roi trouva son nom : il lui était cher, il le nomma Kaer-Usk. Plus tard, il s'appela Kaer-Lion et je vais vous dire pourquoi. [2996]

De nombreuses années après la mort de Belin, (les Romains) se dirent entre eux : "Autrefois, il nous a causé de grands torts. Maintenant, le roi est enterré, prenons notre revanche sur les Bretons, envahissons leur pays et causons leur tourments et soucis". Ils envoyèrent, depuis le territoire romain, quatre companies que nous appelons "ferden" (=armées) et que l'on nommait "légions" en ce temps là. Dans chaque légion, il y avait beaucoup de combattants : six mille six cent soixante compagnons ! Ils arrivèrent par la mer, ils s'y entendaient bien en art de la guerre. Dans notre pays, ils n'apportèrent que désolation à la population tandis qu'ils ne connaissaient pas de perte dans notre territoire. Ils passaient chaque hiver dans le pays de Galles. Ils s'emparèrent de Kaer-Usk et y restèrent jusqu'à l'arrivée de nouvelles troupes de leur pays. Précisément à cause de ces légions, ils appelèrent Kaer-Usk, "Kaer-Legiun". Par la suite, d'autres personnes arrivèrent et l'appelèrent "Kaerliun". Maintenant, je vous ai expliqué ce qui s'est passé pour Kaer-Liun dans le Glamorgan(shire) . [3014]

Revenons à Belin, ce roi bienheureux. Une fois ce château achevé, et après l'avoir baptisé Kair-Usk, une fois le château fort et beau, il s'en alla et se rendit à Londres, la ville qu'il aimait beaucoup. Il y commença une tour, la plus fortifiée de toute la ville et, avec beaucoup d'habileté, installa une porte dans le bas. Les gens l'appelèrent "Bellingsgate". Aujourd'hui, et à jamais, elle porte ce nom. Le roi Belin vécut très heureux et tout son peuple l'aimait grandement. A son époque, il y avait de la nourriture en telle abondance qu'il y avait profusion. Il y eut des millier de morts, parmi la population, à cause des beuveries. Le roi vécut longtemps puis la fin de sa vie arriva. Il mourut à Londres. Son peuple en fut affligé, la tristesse apparut dans leur vie avec la mort du roi. Ils allèrent voir son trésor et prirent une grande quantité d'or. Ils firent un tombeau d'or et de pierres précieuses. Ils placèrent le roi à l'intérieur - lui qui était leur seigneur Belin. Ils le hissèrent jusqu'au sommet de la tour pour que les gens puissent le contempler de tout le pays. Ils firent cela par grand amour car il était leur cher seigneur. Ainsi s'en alla le roi Belin. [3036]

 

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Résumé : Le fils de Belin, Gurguint, succède à son père. Il envahit le Danemark dont le roi, Godlac, devient son homme. Sur le chemin du retour, les Bretons rencontrent des naufragés espagnols qui errent depuis sept ans sur les flots. Le roi les envoie peupler l'Irlande, toujours déserte depuis le déluge. Le règne du roi suivant, Guencelin, est dominé par la figure de la reine Marcie qui est à l'origine d'un traité de lois. A partir du roi suivant, Sillius, sont présentés des rois d'ordre secondaire et commence une interminable liste de souverains se succédant à la tête du royaume de G.Bretagne et qui n'ont droit qu'à quelques vers soit parce qu'ils n'ont régné que très peu de temps soit parce que leur règne n'a pas eu grand intérêt. Lawamon s'attarde, toutefois, un peu sur certains monarques pour insister sur un défaut prononcé du souverain en question. Se trouvent ainsi regroupés cinq des sept péchés capitaux avec Morpidus (colère et orgueil), Argal (avarice), Cherin (gourmandise), Aeldolf (luxure). Le roi Lud met fin à cette très longue liste de "rois maudits". [3036-3523]

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(Heli) était un homme d'une grande bravoure. Il eut trois fils énergiques. Le premier se nommait Lud, c'était un homme très vaillant, le cadet Cassibelaune et le benjamin Nennius. Après le roi Heli, son fils Lud posséda ce pays très longtemps. C'était un roi très brave, d'une hardiesse sans limite ; il fut très puissant car il aimait écouter les conseils. Il se rendit dans tout le royaume et fortifia chaque ville. Le roi Lud bâtit des forteresses, mais c'est Londres qu'il préférait entre tous. A l'époque où le roi Lud détenait ce pays, Londres s'appelait Trinovant mais il n'y avait aucune fortification à part la tour qu'avait construite le roi Belin, comme ce livre l'a relaté précédemment. Le roi Lud fit élever les remparts tout autour de la ville de Londres qui subsistent toujours, et ceci pour longtemps encore. Il fit construire des grand'salles qui, en outre, étaient de dimensions imposantes. Il ordonna à chaque homme riche de partager ses richesses en deux et d'utiliser une des deux moitiés pour se construire une belle maison. Et il expulsa de la ville tous les malfaiteurs. Il améliora la ville et l'embellit. Il fixa le nom de la ville : il lui donna son propre nom, la baptisa Kaerlud et le fit savoir partout. Il fit tout ceci pour que, plus tard, une fois mort, plus d'un homme puisse juger ses oeuvres. Plus tard, des étrangers arrivèrent dans notre pays et appelèrent la ville "Lundin" selon leur usage. Puis vinrent les Saxons et ils la rebaptisèrent "Lundene". Ce nom subsista longtemps dans ce pays. Puis arrivèrent les Normands et leurs méfaits. Ils nommèrent (la ville) "Lundres". Ils exterminèrent ce peuple (=les Bretons). Ainsi en alla t-il de ce pays car des peuples étrangers le conquirent et furent chassés de là par la suite. Puis d'autres étrangers s'en saisirent plus tard. Ils retirèrent aux nobles villes leurs anciens noms, à leur gré, et ils les changèrent si bien qu'aucune ville ici, dans cette G.Bretagne, ne porte l'ancien nom que les gens lui avait tout d'abord donné. Ainsi en alla t-il de ce pays jusqu'à la mort de ce roi : le roi Lud mourut et fut enterré à Londres. Il y avait des comtes très vaillants, ils enterrèrent le roi près d'une porte que les gens appelaient, en breton, "Port-Lud". Puis arrivèrent les Anglais qui étaient vraiment intrépides et qui l'appelèrent "Ludes-Gate" et le nom resta ainsi très longtemps. [3561]

Il y avait alors deux enfants, les fils du roi Lud. L'aîné s'appelait Androgeus, l'autre Tennancius. Les enfants étaient petits lorsque leur père décéda. Alors régna Cassibelaune , le frère de leur père, qui se déclara roi et s'occupa bien de ces enfants, les nourrit avec affection par amour pour son frère. Ce Cassibelaune fut roi de notre pays. La population l'aimait car ses lois étaient bonnes. Il instaura de sages coutumes dans ce pays et il fut un très bon roi et un bon chevalier en toutes choses. Les enfants acquirent de l'autorité si bien qu'ils furent capables de diriger un domaine. Le roi leur donna deux bons comtés. Androgeus était son préféré et il lui donna Londres ainsi que tout le Kent car il voulait lui faire plaisir. Et il invita Tennancius à se rendre en Cornouailles et les deux frères à détenir ces comtés en toute liberté, à la condition qu'ils reconnaissent le roi comme leur maître car il était leur seigneur et celui de tout ce royaume. Tant qu'ils s'accordèrent, et leurs hommes aussi, ce pays alla très bien. Ils le gouvernèrent dans la paix mais ensuite ils se querellèrent et (leur dispute) déboucha sur le pire car des Romains débarquèrent dans notre pays, y levèrent tribut en argent ou en or. Ils n'avaient jamais osé, auparavant, venir ici demander à un roi de ce pays de payer tribut à Rome. Cela se passa à l'époque, que l'on peut citer avec certitude, où Jules César arriva en France avec une armée considérable en provenance de Rome. [3589]

Cet ennemi était déchaîné, il conquit toutes les terres sur lesquelles il posa les yeux, décida d'obtenir, par la force ou la ruse, toute la terre et d'avoir le monde entre les mains. Il ne parvint pas à assujettir le monde entier mais conquit le tiers de la surface terrestre. Il détint entre ses propres mains cinquante-cinq royaumes sans compter le domaine qui auparavant se trouvait à Rome. C'était un chevalier aventureux, connu dans le monde entier. C'était l'homme le plus avisé de toute la terre. Il conçut le calendrier qui agence les mois et l'année. Il promulgua de nombreuses lois toujours en application à Rome. Quel dommage qu'un tel homme soit condamné à l'enfer ! [3601]

César quitta Rome avec une armée d'hommes braves. Il traversa la Lombardie et passa par le Montgieu ; il conquit la Lorraine, la Gascogne, le Poitou, la Normandie et la Bretagne, Louvain et la Germanie. Après avoir conquis la Gascogne, il retourna en Bourgogne, se rendit dans les Flandres et prépara sa flotte. C'était à une saison où le jour était clair et où le soleil brillait beaucoup. Et César traversa les Flandres, scruta la côte. Le temps était d'une grande douceur et il aperçut notre pays. César posa des questions et eut la conversation suivante avec ses hommes : "Quelle est cette île que je vois de mes yeux au loin, par delà la mer ? Elle me semble belle". Un homme sage répondit ainsi et s'adressa à l'empereur : "C'est une grande île qui regorge de bonnes choses et dont Brutus s'empara en premier. Il y a des hommes vaillants. Le pays que vous contemplez s'appelle G.Bretagne". Alors Jules César, qui était habile et très prudent, dit : "Je sais bien qui était Brutus, mes livres me l'ont appris. Nous descendons de la même famille, comme les livres le prouvent. Nos ancêtres étaient à Troie où ils connurent le malheur. Dans la grande bataille, il y eut plusieurs milliers de morts. Lorsqu'ils furent vaincus, alors ils errèrent longtemps et prirent la route à la recherche d'une terre où ils pourraient vivre. Brutus débarqua donc là et y passa sa vie. C'est de là que venaient les rois, à la bravoure exceptionnelle, Belin et Brennus qui conquirent Rome. Ils détruisirent Rome, cette noble ville. Ils s'emparèrent, dans le territoire romain, de beaucoup d'argent et or. Ils firent pendre leurs otages, firent mourir leurs hommes. Voilà ce que firent Belin et son frère, mais maintenant c'est une autre chose. Je m'appelle Jules César c'est pourquoi mon coeur est triste de voir que mes ancêtres m'ont humilié avant même que je ne sois né. Mais, maintenant, je vais envoyer un message dans ce pays pour savoir, des plus grands, s'ils acceptent de se soumettre à moi et de me payer tribut. Car s'ils demandent la paix, je ne les attaquerai pas. Trouvez moi deux hommes avisés qui savent bien manier les mots". [3639]

Il leur remit aussitôt une lettre qui était bien rédigée. Il salua Cassibelaune, roi de G.Bretagne. Voici ce que disait la lettre que le messager apporta dûment : "Je suis Jules César. Je suis arrivé ici depuis Rome. Si tu aspires à la paix, je ne me battrai pas avec toi. Fais moi alors rapidement parvenir le tribut de ton pays et, quant à toi, deviens mon homme et reconnais en moi ton empereur car tout ce que je vois de mes yeux m'appartient". [3647]

Cassibelaune vit la lettre et à cause d'elle entra dans une grande colère : il était hors de lui car ce message lui était odieux. Il fit écrire une lettre dans une grande fureur. Il l'envoya au roi César sans l'accompagner de salutations. La lettre arriva à l'empereur. Ces mots y étaient écrits : "Il nous paraît étrange, César - toi qui es si habile et si prudent - que tu te considères comme l'empereur de tous les êtres vivants. Tu arrives de Rome, les mots que tu emploies sont très violents, tu demandes un tribut de notre pays mais tu ne pourras pas t'en glorifier. Quant à toi, tu es bien avide ! Tes hommes sont cupides. Tu veux mettre la main sur la terre entière ! Nous vivons dans une île située au bout du monde que Brutus conquit, nous y habitons et la détiendrons librement contre tous les rois du monde. Et nous ne t'enverrons jamais de tribut de notre pays. Car si tu étais aussi sage que je le pensais, alors tu comprendrais que nous sommes libres dans notre pays et aussi prestigieux que ton peuple à Rome. Car nos ancêtres s'enfuirent de Troie et nous descendons de la même famille : tes ancêtres et les nôtres combattaient ensemble à Troie. Si tu veux me croire - toi seul peux nous croire - avec les Bretons, toi et tes compagnons, connaîtront un grand malheur si, par hasard, tu viens ici. Car nos ancêtres, Belin et Brennus, étaient rois conjointement dans notre pays. Ils conquirent Rome par la force, le territoire que tu gouvernes nous revient donc de droit, c'est pourquoi tu devrais me payer tribut car tu détiens illicitement ton territoire. Tu vas connaître le malheur car tu voudrais être mon maître alors que c'est toi qui devrais te soumettre à moi". [3677]

César vit ce message et le contempla avec colère. Il était déchaîné et jeta la lettre par terre : "Où êtes-vous mes chevaliers qui combattez si bien ? Que l'on apprête mes navires car nous allons embarquer dès maintenant, nous rendre en G.Bretagne, nous emparer du royaume de ce souverain, brûler ce dernier vivant, et conquérir tout ce pays !" [3684]

Ils fabriquèrent soixante bateaux d'une taille imposante. Ils étaient tous neufs, solides et sûrs. Il y avait tant de plus petits bateaux que personne n'en savait le nombre ! Puis le temps devint superbe, ils quittèrent le rivage et partirent pour notre pays. Ils virèrent au port dans la Tamise, là où ce fleuve et la mer confluent. [3691]

Le roi de ce pays apprit rapidement la nouvelle et fit savoir, dans tout le royaume, que César était arrivé et il précisa l'endroit où celui-ci avait débarqué. Le roi Cassibelaune était prudent en toutes choses ; il était bien au courant de la venue (des Romains) et avait occupé le port de Douvres. C'est là que se trouvait le roi de notre pays avec sa troupe. Puis parvinrent des nouvelles qui lui étaient douloureuses : Jules César était arrivé. Les soldats qui étaient avec le roi Cassibelaune étaient nombreux. Il avait un intendant qui était l'homme le plus sage de toute la terre. Celui-ci s'appelait Belan et distribuait les richesses. C'était un chevalier très empressé pour conseiller un roi. C'est lui, après le roi, qui gouvernait ce pays et le peuple lui obéissait. Le roi avait avec lui les deux fils de son frère. L'aîné s'appelait Androgeus, le plus jeune Tennancius. Tous les deux étaient devant lui (=le roi), comtes très valeureux ! Nennius était le frère du roi, il n'en avait pas d'autre ; il quitta Canterbury avec sa vaillante troupe. Androgeus quitta Londres avec le peuple de Kent et Tennancius, la Cornouailles - ses soldats étaient hardis ! Le roi Aeridius marcha à la tête de ses Ecossais et Britael, roi du Pays de Galles du nord, vint par nécéssité. Et Guaertaet le hardi arriva avec ses Gallois du sud. De Galway vint Aessel le bon et de Moray arrivèrent de nombreux vaillants archers. De tout ce royaume, ils vinrent à l'aide, se rendirent auprès de Cassibelaune, le roi de ce pays. Et tous ces chevaliers recommandèrent au roi d'obtenir sa liberté par la force et celui-ci jura de la main qu'il le ferait et qu'il combattrait César qui lui demandait ici un tribut. Ils partirent et l'armée se mit en marche. Ils gagnèrent la mer et trouvèrent César. Jules César était au courant de leur arrivée. Il s'adressa ainsi à ses chevaliers : "Soyez prêts à vous battre car Cassibelaune vient d'arriver avec une armée". [3726]

Ils engagèrent le combat avec leurs longues lances, des hâches, des épées et avec la pointe de leurs lances acérées ! Ils frappaient avec force ! Les heaumes résonnaient ! ils combattaient férocement ! des têtes tombaient ! Et César, l'empereur, était d'une bravoure sans limite. Il tira sa longue épée et tua de nombreux hommes. Il se démena pendant la bataille au point qu'il était tout en sueur. Il tua, sans l'aide de quiconque, tous ceux qui étaient à sa portée. Il réalisa un grand exploit : cet ennemi tua une centaine d'hommes vaillants de son épée. Androgeus le vit et appela son père et les deux comtes s'approchèrent ensemble. Avec une troupe très nombreuse, ensemble ils firent front. Ils virent comment Jules César se battait tel un sanglier et ils s'approchèrent de lui en frappant sans merci. Ils renversèrent un grand nombre de leurs ennemis. Puis Nennius vit où Jules César combattait et il se rua, sa terrible épée à la main. Il frappa (César) sur le heaume si bien que l'épée l'entailla. Beaucoup de chevaliers furent étonnés qu'il osât s'approcher tellement l'empereur était fameux ! Jules César ne dit rien mais il tira son épée et porta un tel coup sur le heaume de Nennius que ce casque céda et que la tête saigna. Mais il ne blémit pas car c'était un chevalier très courageux et César, sans reprendre son souffle, brandit son glaive. Nennius leva son bouclier pour se protéger. César frappa violemment et l'épée s'incrusta dans le bouclier ; César la tira à lui mais l'épée était solidement plantée. César tenait l'épée et Nennius le bouclier et ils tirèrent ainsi longtemps mais il (=César) ne parvint pas à retirer l'épée. Androgeus vit ce qu'il advenait de César et Nennius et il avança vers eux pour aider Nennius. Lorsque César vit que l'incident lui était contraire, il abandonna le glaive. Alors il n'eut plus rien dans les mains et il se tourna rapidement pour fuir. Nennius alla dans le champ, retourna son bouclier et retira le glaive. Alors le comte se déchaîna : il mit à terre de nombreux Romains avec cette épée. Il fut le fléau de plus d'un et la honte de beaucoup d'entre eux. Tout ce qu'il toucha, que ce fut chair ou os, tomba au sol, blessé par cette épée. La bataille dura toute la journée jusqu'à la tombée de la nuit. [3770]

L'empereur César quitta le combat avec tous les Romains par nuit noire. Ils allèrent installer leur camp au bord de la mer. Ils laissèrent derrière eux deux mille chevaliers couchés sous les boucliers et qui reposaient morts sur le champ de bataille. César alla au lit, ses hommes étaient terrifiés. Trois mille chevaliers le réveillèrent dans la nuit portant heaumes, cottes de maille et des épées d'acier. Jules César était rusé et très prudent. Il se rendit compte de sa grande perte et il en craignait une plus grande. Il se leva, au milieu de la nuit, convoqua ses chevaliers et leur dit qu'il allait partir, fuir ce pays, se rendre en Flandre et demeurer là jusqu'à ce qu'il trouve son heure pour revenir. Ils gagnèrent les bateaux pendant la nuit. Les vents leur furent favorables et ils débarquèrent en Flandre. [3786]

Le lendemain, lorsqu'il fit jour, le roi et ses compagnons se préparèrent et partirent au combat. Les Romains avaient quitté leur pays aussi ils ne trouvèrent aucun homme de César. Alors, les Bretons se réjouirent : grande fut, bien entendu, leur allégresse mais peu après ils furent désolés. Et le roi était sans réconfort possible car son frère Nennius ne pouvait trouver de remède à sa blessure à la tête, infligée de la main même de César. Aucune médication ne pouvait lui permettre de vivre. Il n'y avait pas d'autre issue que la mort de Nennius. Celui-ci fut enterré à la porte nord de Londres. Le roi prit du marbre et le fit incruster d'or - d'or et de pierres précieuses. Il y déposa son frère. Les Bretons enterrèrent Nennius avec magnificence. Maintenant, vous allez entendre quelque chose de merveilleux : le roi prit l'épée même que Nennius avait enlevée à Jules César et la déposa auprès de son frère - bien qu'elle ait été la cause de son malheur - Le glaive d'acier était très large, très long et plusieurs sortes de lettres étaient tracées dessus : sur la garde était gravé que l'épée, à Rome, s'appelait "Crocea Mors" ; l'épée se nommait ainsi car elle avait une grande force. L'empereur avait menacé chaque contrée avec elle car il n'y avait jamais eu d'homme qui ait vu le jour qui - si frappé une fois par cette même épée et laissant échapper une goutte de sang de son corps - ne soit mort rapidement, aussi vaillant fut-il. [3815]

César était en Flandre avec son armée. La nouvelle arriva en France qu'il était allé (en G.Bretagne) et comment il avait été refoulé hors de ce pays avec ses hommes. Les Français s'en réjouirent beaucoup car ils éprouvaient de la colère envers César et furent ravis de son humiliation. Chaque Français courageux s'était dit et en avait fait part à son compagnon : "Que celui qui s'incline devant César - que les Bretons ont vaincu et chassé de leur pays - ne soit jamais heureux, aujourd'hui et jusqu'à la fin de ses jours. Nous n'obéirons jamais (à César) ni ne le prendrons comme seigneur mais nous allons gagner notre liberté par les armes. Car nous ne sommes pas plus timorés que les Bretons qui l'ont chassé et tué ses chevaliers". César entendit dire que les Français s'entretenaient ainsi et qu'ils proféraient des menaces en se vantant avec suffisance. Il se rendit en France avec sa nombreuse troupe comme s'il ne savait rien de leurs mauvaises intentions à son égard. Il envoya chercher, dans toute la France, ses hommes libres et leur demanda de venir à lui comme ils le devaient vis à vis de leur seigneur. Ils vinrent tous et tous l'embrassèrent, le saluèrent et dissimulèrent leur colère. César était très habile et prudent dans ses pensées. Il fit apporter beaucoup d'or et des trésors en abondance. Tout d'abord, il offrit des cadeaux en or rouge aux plus grands seigneurs qui l'entouraient. Il donna à chaque chevalier un cadeau étincelant ; il triompha d'eux avec ses présents si bien que même le meilleur fut conquis et ils lui promirent librement ce qu'ils devaient. Alors ceux qui auparavant étaient ses pires ennemis devinrent ses amis. Où est l'être que les hommes ne peuvent gagner par de l'argent, à qui ils ne peuvent faire oublier toute inimitié, et s'en faire un ami - alors qu'ils étaient ennemis - par amour des richesses ? [3847]

César parla alors, il était habile et très prudent, "Ecoutez, mes hommes de France, mes chevaliers libres ; je vais demander à Rome, à mes hommes de valeur, qu'ils m'envoient immédiatement cinq cents chevaliers car maintenant je vais aller en G.Bretagne ; vous allez m'accompagner avec grand déploiement de forces et je vais conquérir ce pays et vous en profiterez : vous deviendrez prospères à cause de votre grand honneur. Tous vos fugitifs pourront revenir, assurés de mon amitié car je distribuerai des présents et les pauvres deviendront riches. Vous serez libres et bénéficierez de mon amitié". Alors l'assistance répondit d'une voix forte : "Avec toi nous voulons vivre et avec toi nous voulons mourir. Nous te rendrons victorieux par force et ruse. Nous allons nous rendre en ta compagnie, avec force armée, par delà la mer en G.Bretagne, au royaume de Cassibelaune. Nous le combattrons, vengerons tes chevaliers, conquerrons tout le pays que nous remettrons entre tes mains". Mais ils durent donner plus - avant que ceci ne se réalise - car tous connurent le malheur avant que cela ne devienne réalité. [3867]

Lorsque César eut fait tout cela, eut distribué son trésor et par la suite eut obtenu (leur) amitié par ses richesses, alors il se rendit dans Boulogne, à l'endroit qu'il jugea le plus favorable. Il donna l'ordre d'ériger une magnifique tour. Celle-ci était puissante et très haute, elle se dressait tout près de la mer. L'empereur lui donna un nom, l'appela "Otheres" (Ordre) et séjourna longtemps dans cette puissante tour. César resta treize mois dans Ordre et y fit venir tout son or, tout son trésor. Jamais il n'y eut tour construite avec meilleur savoir-faire que celle d'Ordre. Six cents chevaliers pouvaient s'asseoir au rez-de-chaussée tandis qu'il suffisait d'une cape de chevalier pour couvrir le sommet. [3880]

Lorsque la tour fut terminée, alors César eut d'autant moins de soucis. Il se rendit en France et établit ses places fortes. Pour chacune d'entre elle, il nomma un intendant, puissant et noble, qui devait lever les impôts et, tous les ans, se rendre à la tour d'Ordre avec l'argent. Puis il fit construire six cents immenses navires et les plaça dans le port. Lorsque les travaux furent achevés, ainsi que tous les autres préparatifs, alors l'empereur déclara qu'il allait partir pour la G.Bretagne et que de son vivant, il ne renoncerait pas. Il mit à l'eau six cents bons navires et pas un homme ne pouvait savoir le nombre de bateaux qui suivaient. Ils progressèrent jusqu'à la Tamise. [3893]

Alors Jules César réfléchit - mais là, il fut trop imprudent. Il décida de remonter la Tamise, en ramant longtemps, jusqu'à Londres où il débarquerait, combattrait les Bretons et tout le pays serait en sa possession. Mais le sort en décida autrement car un obstacle survint rapidement. Des marins, en effet, dirent aux Bretons que l'empereur César remonterait ainsi la Tamise, en direction de Londres, et attaquerait les habitants. Alors, les Bretons se méfièrent et réfléchirent avec intelligence. Ils prirent de longs pieux de bois - solides et droits qu'ils ferrèrent solidement et ils les placèrent dans les flots de la Tamise. Il y en avait cinq mille ; ils étaient fermement ancrés dans le sol. Les extrêmités supérieures étaient coiffées d'attaches en fer pour les retenir dans le port et ainsi se dressaient-ils entièrement couverts par les flots. Puis Jules César arriva qui ne se doutait de rien. Le vent les poussait fortement, les timoniers chantaient, le temps leur était favorable. Ils pensaient avancer rapidement, ils filaient vers le port ; les bateaux commencèrent à sombrer, les coques s'éventrèrent, l'eau pénétra à l'interieur, les voiles se déchirèrent, les hommes se noyèrent et les Romains furent projetés par delà les vagues. Cent-cinquante bateaux furent détruits. Peu après arriva Jules César, il était accablé. Ils allèrent au lof et mirent pied à terre. Et ceux qui arrivèrent après firent aussitôt attention et ils eurent la chance, pour la plupart d'entre eux, d'atteindre le rivage. [3921]

Ils dressèrent leurs tentes sur tous les champs aux alentours et amèrement, pleurèrent leurs amis qui s'étaient noyés. Alors, le roi, Cassibelaune, sut que l'empereur César était à Londres avec ses troupes. Le roi Cassibelaune déclara alors : "Hélas, Nennius, mon frère. Que ne t'ai-je vivant, que n'ai-je l'épée Crocea Mors que tu gagnas au combat, que ne te vois-je à côté de moi chevaucher en sûreté avec, de l'autre côté, Androgeus et son frère Tennancius ! Nous pourrions alors avancer sans danger et engager le combat contre l'empereur. Mais nous allons nous mettre en route quand même et écraser ses hommes". Le roi des Bretons, Cassibelaune, était bon chevalier en toutes choses. Il réunit une armée considérable et marcha vers l'empereur. Il s'adressa ainsi à sa troupe et dit affectueusement : "Pensez au roi Belin et à Brennus, son frère, comment ils remportèrent Rome avec leur puissante armée, conquirent tous les royaumes qui s'étendent autour de Rome et ainsi gouvernèrent de très nombreux hivers, demeurèrent là toute leur vie. Et je vous le dis, chevaliers, Rome vous revient de droit. Maintenant c'est Jules César qui la possède, lui qui est venu ici deux fois, qui détient votre terre, qui veut vous chasser de votre pays et qui vous chassera dès qu'il sera au pouvoir. Si vous perdez ce pays, vous serez méprisés en tous lieux. Aussi ne vous ménagez pas, car nous sommes de hardis Bretons. César est dans notre pays et il campe là au bord de la mer. Bravement, avançons vers lui comme ses pires ennemis, soumettons l'empereur et toute son armée romaine et délivrons notre pays de ce peuple romain". Alors la troupe répondit : "Avançons rapidement car César est voué à la mort ainsi que tout son peuple de Rome". [3953]

Ils se mirent en route et progressèrent rapidement jusqu'au lieu où se trouvaient les Romains. Ils se ruèrent sur eux avec grande vigueur. Ils combattirent avec acharnement, terrassèrent des Romains : ce n'est pas dix hommes de César qui jonchaient le sol, ni des dizaines mais des vingtaines de milliers. Ils se battirent ainsi toute la journée. Il y avait de nombreux morts, si bien que lorsque la nuit tomba, César ne pouvait plus combattre. Il était tellement abattu qu'il décida alors de s'enfuir dans la nuit avec ses chevaliers. Jules César se rendit compte de son échec, il fit sonner ses trompettes et rassembla ses troupes, puis fit proclamer d'une voix forte et fit savoir à chacun qu'ils devaient venir à leurs tentes, préparer leur stratégie ainsi qu'astiquer leurs armes : le lendemain, ils se rendraient au combat. Ceux qui travaillaient dans les parages, entendirent ces paroles. Ils se rendirent directement auprès de Cassibelaune et lui dirent que César allait demeurer là, pour l'instant, et que le lendemain, il se battrait avec tous ses chevaliers et écraserait les Bretons ou bien se ferait tuer. Car il l'avait fait proclamer et savoir à toute son armée. Mais hélas, hélas, Cassibelaune ne se méfia pas lorsqu'il pensa agir pour le mieux - ce qui ne fut pas le cas. Il se retira à l'écart et y installa son campement. Et toute cette nuit là, ses chevaliers préparèrent leurs flèches et leurs boucliers. Les hommes furent trompés car Jules César était conscient de sa situation critique. Vers minuit, il avertit tous ses chevaliers qui gagnèrent leurs bateaux et s'éloignèrent rapidement. Le temps leur fut très favorable et le courant les porta. Ils transportaient dans leurs navires à la fois les vivants et les morts, beaucoup de malheureux hommes souffrant de grande blessure, de nombreux chevaliers morts de l'armée de César. Ainsi voguèrent-ils sur les flots jusqu'à la tour d'Ordre. Là se trouvait Jules César, accablé de tristesse et de soucis. [3988]

Le lendemain, lorsqu'il fit jour, il fut aussitôt découvert, et ce fut immédiatement rapporté au roi Cassibelaune, que l'empereur César avait quitté notre pays, comment il était parti et avait fui avec le courant si bien qu'il ne restait aucun Romain. Alors, le roi fut désolé et parla ainsi : "Maudits, maudits soyez-vous mauvais conseils ! Vous êtes la cause de la mort de nombreux chevaliers ! Hélas, je ne me suis pas rendu compte que César voulait partir ! L'homme qui prononça cet adage dit bien la vérité : "Si tu crois tous les hommes, tu agiras rarement bien !" c'est ainsi que j'ai vraiment cru véridiques les paroles qui me furent dites, hier soir, par un homme perfide et empressé, à savoir que César vainquerait aujourd'hui la G.Bretagne ou qu'avec son épée, il resterait à jamais ici déchiqueté, tout comme ses compagnons qui vinrent avec lui. Mais ceci me fut raconté pour me tromper. Hélas, hélas ! il est parti au loin ! et pourtant, je suis heureux car nous allons pouvoir habiter ce pays toute notre vie avant qu'il ne fasse une nouvelle tentative car il se souviendra à jamais de ce qu'il lui advint ici : à l'heure actuelle, dix mille de ses compagnons gisent en ce lieu, sans compter ses nobles navires qui sombrèrent dans la mer. Mais je rends grâce à mes dieux pour l'honneur que j'ai connu : j'ai chassé deux fois l'empereur et toute son armée de Romains. Et maintenant, je vais aller à Londres, la ville que j'aime tant, pour rendre hommage à mes dieux et les honorer grandement". [4015]

Le roi fit sonner ses trompettes, rassembler ses soldats auxquels il ordonna de rentrer chez eux, de se réjouir avec leurs hommes, d'étriller leurs destriers, de préparer leurs vêtements et dans trois semaines, jour pour jour, de se rendre tous - comtes et barons, chevaliers et écuyers - à Londres, avec femme et enfants, pour des réjouissances. Tout le bon peuple de G.Bretagne retint la date et arriva à Londres en grande pompe, comme s'il s'était agi de Rome. Le roi commença la cérémonie suivant les lois païennes qui existaient à cette époque. Dix mille hommes, les plus nobles de G.Bretagne, étaient rassemblés dans le temple devant leur idole qui leur semblait puissante : elle s'appelait Apollin et ils la tenaient pour une grande divinité. Chaque homme portait un flambeau allumé à la main, chacun de ces hommes braves était vêtu d'or tandis que le roi avait sa couronne sur le haut de la tête. Il y avait un beau feu devant l'autel. Le roi y jeta de riches offrandes, et tous les plus grands seigneurs firent de même. Puis ils offrirent de grands trèsors et remercièrent Apollin, leur dieu pour l'immense honneur qu'il leur avait accordé. [4037]

Lorsque le culte fut terminé, alors ils allèrent manger. A ce sujet, je vais te raconter des choses prodigieuses. Il y avait deux cents cuisiniers dans la cuisine de ce roi, personne ne pouvait donner le nombre de serveurs. Pour le repas, on tua douze mille bons boeufs, trois mille cerfs et autant de biches. En ce qui concerne les volailles, aucun homme ne put les compter ! Et toute la richesse, tout l'or qui se trouvaient dans le royaume de ce roi furent entièrement réunis à ce repas. Jamais il ne fut raconté, sans mentir, depuis la création du monde, qu'une telle accumulation de présents se soient trouvée en un même endroit, ni qu'une telle quantité de chaque chose ait été donnée ou reçue ! La journée et la lumière furent radieuses et le soleil éblouissant. La bière coulait à flot pour les guerriers et le vin avait enivré les personnes nobles. Ils allèrent dans les champs pour se divertir avec leurs flèches et leurs boucliers. Certains choisirent de chevaucher, d'autres se mirent à courir ou encore à jouer. [4055]

Une échauffourée ne tarda pas à se produire. Certains faisaient une partie sur un échiquier , d'autres aiguillonaient leurs coursiers. Il y avait deux hommes - tous les deux étaient prétentieux. Le premier s'appelait Herigal, le second Evelin . Herigal était de la famille du roi. Le malheur survint ce même jour ! Evelin était un vaillant chevalier, Androgeus était son oncle. Ces deux chevaliers commencèrent à se harceler avec des boucliers : tout d'abord, ils jouèrent et ensuite en vinrent à se battre. Herigal frappa Evelin fort méchamment sur le menton. Ils commencèrent à se disputer et des chevaliers s'approchèrent à cheval. Evelin était fou de rage, il heurtait et frappait Herigal sur les côtes avec sa hampe si bien que celle-ci se cassa en deux. Alors le chevalier Herigal dit : "Evelin, ceci est très douloureux, tu me frappes sur le dos mais tu vas le payer cruellement car maintenant ta hampe est en morceaux ; tu vas connaître une grande infortune". Evelin déplorait ce qui lui était arrivé : son adversaire voulait le tuer, la situation lui semblait fort délicate. Il se demanda ce qu'il pouvait faire. Il n'avait rien dans la main si ce n'est un petit bouclier. Il vit un homme de bon rang qui se tenait à côté et qui était venu à cet endroit pour voir le jeu des chevaliers. Le jeune homme tenait une épée d'acier dans la main. Evelin s'empara de l'épée tout en jetant des regards menaçants ; il la tira du fourreau et son attaque fut facile : il se rua sur Herigal et le frappa cruellement si bien que les protubérances, le nez de ce dernier se détachèrent. Puis il le refrappa et lui arracha la main. Il lui asséna des coups pour la troisième fois et le scinda en deux. Ainsi prit fin le jeu : Herigal gisait mort. Evelin quitta les lieux, il avait son épée à la main. Il ne rencontra personne suffisamment hardi pour oser porter la main sur lui. Il passa devant toute l'assemblée et s'enfuit jusqu'à la demeure d'Androgeus. Le roi l'apprit, très vite on lui raconta comment cela était arrivé et que Herigal gisait mort. [4088]

Le roi choisit trois hommes âgés et les envoya voir Androgeus. Il lui ordonnèrent d'amener son parent au roi pour qu'il subisse le jugement du roi à cause du meurtre qu'il avait commis et, s'il refusait, il le bannirait. Alors Androgeus répondit et parla ainsi en s'adressant au roi : "Je ne le livrerai pas afin que, jamais, d'une façon ou d'une autre, des hommes ne fassent disparaître Evelin, soit en le transperçant, soit en le pendant. Mais j'ai un franc-fief que je détiens librement et j'ai ma haute cour de justice par autorité du roi. S'il se trouve un chevalier qui demande réparation, à propros d'Evelin, qu'il vienne à ma cour et justice sera faite. Je vous le dis, en vérité, il n'y a pas d'autre possibilité". Ces paroles furent aussitôt rapportées à Cassibelaune. Le roi entra dans une grande colère comme s'il perdait la raison et Cassibelaune et déclara au sujet de (son neveu) : "Hors de ma vue, Androgeus et ses compagnons ! et si je l'attrape, où que ce soit, il sera tué sur le champ". [4105]

Androgeus rassembla immédiatement ses chevaliers et quitta Londres aussitôt, il se rendit dans le Kent jusqu'à un de ses châteaux qu'il pourvut largement en nourriture et armes. Le roi s'empara de Londres et des terres à son profit. Ensuite, il se dirigea vers le Kent avec sa puissante armée, sa troupe, et le feu, ravagèrent grandement la contrée. Androgeus choisit deux chevaliers, les envoya auprès du roi et les chevaliers s'adressèrent ainsi au roi : "Majesté, Androgeus aspire à ta paix. Androgeus est ton homme, il fera tout ce que tu demandes à condition que tu lui accordes ta paix et que tu acceptes qu'il se réconcilie avec toi et que fasses cesser tes incendies avec lesquels tu détruis son territoire. Souviens-toi qu'il est le fils de Lud, qu'il descend de ton frère et que son père posséda tout le pays qui est maintenant entre tes mains. Tout lui semblera parfait si tu acceptes sa (demande de) réconciliation. Mais il ne te livrera jamais Evelin sous la menace pour que tu puisses soit le transpercer, soit le pendre". [4122]

Lorsque le roi entendit ces paroles, alors il fut vraiment en colère et le roi Cassibelaune parla ainsi : "Où êtes-vous mes guerriers, mes nobles hommes ? Assouvissez ma colère contre Androgeus ! Je vais brûler son territoire et lui serai funeste !". Androgeus l'apprit et répondit de la sorte : "Autrefois, il fut rapporté, dans un récit qui disait la vérité, que beaucoup d'hommes font le mal contre leur gré ; c'est ce que je dois faire aujourd'hui par nécessité absolue. Qu'un être accepte que les hommes l'anéantissent, voilà ce que j'appelle la bêtise alors qu'il pourrait, avec un peu d'habileté, se défendre par le combat. Tout chevalier peut mal agir avant de recevoir le pire. Et puisque j'ai encore un bouclier et une lance, je vais m'adresser à l'empereur, saluer Jules César, me plaindre à lui du préjudice (qui m'est causé) et le prier de me conseiller car j'en ai besoin". [4137]

Le puissant chevalier Androgeus écrivit une lettre bien rédigée, choisit un bon envoyé qu'il dépêcha à Ordre, auprès de l'empereur César et de toute son armée romaine. La lettre disait ceci : "Je te salue ainsi que ton armée, toi César Empereur ! Tu t'appelles Jules César. Moi, Androgeus, ton propre homme, je viens me plaindre du préjudice (que j'ai subi). Ceci n'est pas une fourberie, car la parole que je te donne, je la défendrai avec ma propre vie ! et si tu crois que ceci n'est que mensonge, je vais prêter serment par mon puissant Seigneur Apollin, qui est cher à mon coeur. Car il est souvent arrivé, dans de nombreux pays, qu'après s'être grandement haïs, de nobles hommes sympathisent, et qu'après beaucoup de basse infamie, ils agissent avec honneur. Tu as été vaincu deux fois, nous avons tué et capturé tes hommes et t'avons chassé de G.Bretagne, après un combat acharné. Tu nous as laissé plusieurs milliers de guerriers ! Ce ne fut pas grâce à notre roi Cassibelaune, mais à cause de moi et de mes bons soldats car je conduisais la troupe londonienne ainsi que tous les hommes du Kent, de bons guerriers, ainsi que de nombreux Bretons de surcroît - qui étaient hardis au combat. Ensuite, nous t'avons battu et avons tué ou fait prisonnier tes gens. Maintenant, Cassibelaune et ses hommes sont atteints d'un tel emportement qu'ils veulent me chasser de G.Bretagne par la violence, me bannir du pays, loin de cette terre. Ils ont dévasté tout mon territoire, m'ont dépossédé de Londres et pensent me tuer, moi et tous mes guerriers. Si tu veux bien écouter cette lettre, elle te dévoilera ma culpabilité. [4166]

Lorsque tu es parti d'ici, il y a peu de temps, alors le roi fut content comme jamais auparavant de toute sa vie. Mais d'un autre côté, il était irrité car il ne se doutait pas que tu allais partir. Néanmoins, il déclara devant toute sa cour : "Maintenant César a fui au loin ; il a été chassé deux fois, il est venu deux fois en G.Bretagne où il a connu des tourments. Nous ne le reverrons jamais plus venir ici car ses meilleurs chevaliers ont été tués pendant notre bataille et maintenant nous allons fêter leur extermination. Tous mes Bretons vont venir à Londres, remplis d'une grande fierté, pour louer notre Seigneur Apollin et tous les autres dieux pour la gloire que je connais maintenant". Tous les Bretons se rendirent donc à Londres - chevaliers et humble peuple avec femmes et enfants - avec tout l'honneur qui leur revenait. Lorsque nous arrivâmes ainsi à Londres, nous commençâmes à rendre grâce à notre Seigneur Apollin ainsi qu'à tous les dieux avec lui. Depuis la création de ce monde, il ne fut jamais fait mention, où que ce soit, qu'en un lieu autant de nourriture fut proposée pour un repas, ni qu'autant de bon breuvage fut distribué aux gens. La joie était grande. Alors ils commencèrent à jouer, certains à pied - portant belle tenue - d'autres à cheval - richement vêtus. Puis il y eut deux hommes qui s'emparèrent de leurs boucliers. Ils avancèrent sous leurs targes et commencèrent à se battre violemment. L'un était le fils de ma soeur, cet homme s'appelait Evelin. L'autre, Herigal, était haut placé à la cour, il était de la famille du roi. C'était le fils de sa demi-soeur. De toute la cour, c'était un de ses préférés. Herigal frappa Evelin fort méchamment sur le menton et Evelin se mit en colère contre lui et se défendit. Il porta un tel coup dans le côté d'Herigal que ce dernier trouva le choc fort douloureux. Alors Herigal dit - et il le jura tout haut - qu'Evelin devait mourir le jour même. Evelin fut très effrayé par la mort qui lui était promise et il frappa sur le bouclier d'Herigal si bien que sa hampe se brisa en deux. Evelin avait souvent été en difficulté mais jamais autant qu'à ce moment ! Il se protégea avec son bouclier, il n'avait rien d'autre sous la main. Herigal l'assaillit avec une très grande force. Evelin aperçut un homme passer devant lui qui tenait dans la main droite une épée d'acier. Evelin se précipita sur lui et s'empara brusquement de l'arme. En toute hâte, il tira l'épée et tua Herigal. [4210]

Le roi Cassibelaune apprit qu'Herigal avait été tué et qu'Evelin s'était enfui. Il m'envoya son message sans aucune salutation. Il m'ordonna de lui amener mon parent Evelin, de le lui amener rapidement pour qu'il endure la peine décrétée par sa cour car il lui ferait une des deux choses suivantes : soit il le tranpercerait, soit il le pendrait. Et si je refusais, je devais fuir son royaume car s'il parvenait à m'attraper, il me transpercerait ou me pendrait. J'ai sollicité la paix du roi et voulais me réconcilier avec lui, lui rendre justice à ma (propre) cour parce que, de tous ses comtes, j'étais le plus éminent. Mais jamais je ne lui livrerai Evelin pour qu'il soit executé. Et, très vite, il me bannit de son entourage. Il m'a dépossédé de Londres et a tué mes chevaliers. Néanmoins, j'ai avec moi cinq mille deux cents hommes et j'ai encore en ma possesion vingt châteaux forts ; et moi-même j'habite dans le Kent avec mes vaillants guerriers, le roi me combat et ne veut pas m'accorder sa paix. Maintenant, tu as entendu mon malheur, seigneur Jules César, en des paroles véridiques, ainsi que te le dit cette lettre. Dans ce message, j'ai précisé que je voulais devenir ton homme et te prendre comme maître, comme seigneur principal à condition que tu m'aides dans cette grande difficulté et me débarasses du roi Cassibelaune. Je vais te garantir ma parole en jurant, par mon puissant dieu, que j'y serai fidèle, comme je le dis dans ma lettre. Et viens vite en G.Bretagne. Je te livrerai le pays ; à cause de moi, tu le quittas et grâce à moi tu l'obtiendras". [4237]

César écouta (la lecture de) cette lettre qu'Androgeus lui avait envoyée. Alors l'empereur César répondit : "Je ne le croirai pas, même avec le serment de tout le peuple, à moins qu'il ne m'envoie immédiatement, à Ordre, son noble fils Cenan et trente autres otages qui soient tous sélectionnés et bien nés. S'il fait ceci, j'écouterai sa prière et viendrai l'aider avec force troupes". [4245]

César adressa cette réponse par écrit à Androgeus. Androgeus envoya aussitôt son fils Cenan, et trente autres otages, qu'il dépêcha à Ordre. Et César l'estimable se rendit au bord de la mer et, avec tous ses hommes, vogua vers la Bretagne. Dès que l'aube pointa, il débarqua à Douvres. Androgeus apprit la nouvelle et, sans tarder, alla jusqu'à ce lieu et Androgeus dit ces paroles : "Tu es le bienvenu César. Tu m'es très cher et je te livre ce pays". Ils parlèrent ensemble et conversèrent cordialement. Pendant ce temps, le roi Cassibelaune avait levé une forte armée dans tout le royaume. Il voulait aller à Londres et assiéger un château que le puissant Androgeus détenait encore. Lorsque l'armée fut entièrement assemblée, un homme arriva en courant et s'adressa immédiatement de la sorte à Cassibelaune : "Je te salue, notre roi. Je t'apporte des nouvelles des Romains que tu détestes profondément. Tes ennemis mortels sont tous à Douvres où Androgeus s'entretient avec César. Ces mots que je dis ici sont la vérité ; songe de quelles façons tu peux défendre ton peuple". Alors le roi Cassibelaune fut très attristé, il fit rapidement sonner ses trompettes et fit connaître les dernières nouvelles à ses chevaliers, à savoir que l'empereur César venait de débarquer avec sa troupe romaine et qu'il s'était emparé du port de Douvres. Alors le roi Cassibelaune dit : "Nous devons quitter Londres et marcher sur Douvres. Rassemblez vos troupes et partons rapidement". [4275]

Le roi se mit en marche avec une armée innombrable, alla jusqu'à Douvres pour son grand désavantage ! Jules César - qui était habile et très prudent - apprit que Cassibelaune avançait rapidement vers eux. Alors, César se réjouit de cette bonne nouvelle. Il quitta Douvres en longeant la mer, se rendit dans une grande vallée et sournoisement cacha sa troupe. Et Androgeus, prenant une autre direction, se rendit dans un lieu désert, dans une grande forêt. Alors parla Androgeus qui s'entretint de la sorte avec ses hommes : "Qu'aucun chevalier ne soit assez fou, ou aucun soldat assez écervelé, pour prononcer un mot qui porte plus loin que le bout de sa lance ou pour s'écarter du chemin de ses compagnons car nous allons avancer sans bruit, tous ensemble, bien regroupés et écraser nos ennemis. Et si un soldat a la possibilité d'attraper le roi, qu'il s'en empare en le laissant sain et sauf, sans lui porter aucune blessure car il est mon seigneur et mon parent, et je ne le tuerai pas. Mais nous abattrons tous ses hommes et nous nous consacrerons à la bataille et non pas au butin. Abattez ces êtres féroces et ne touchez pas au butin". César donna les mêmes instructions à ses chers chevaliers. César avait comme compagnons trois mille cavaliers - chevaliers sélectionnés et guerriers valeureux - et Androgeus avait avec lui dix mille cavaliers. [4299]

Pendant qu'ils se tenaient ainsi immobiles et faisaient connaître leur intention, le roi, Cassibelaune, arriva à cheval avec une armée innombrable et une foule immense et il se trouva entre (les deux armées) et là ils essuyèrent un dur revers ! César était devant lui et Androgeus derrière mais Androgeus bougea le premier et sortit de la forêt et tous ceux qu'il conduisait criaient fort. Ils soufflaient dans leurs trompettes, encourageaient leurs hommes et s'approchaient des autres de tous côtés. Le roi Cassibelaune entendit ceci : il entendit le grand bruit, le terrible vacarme. Il dit aussitôt : "A vos armes, chevaliers". Le roi ressentait une grande tristesse. Il pensait que c'était César ; mais César, suivant son stratagème, était à l'avant, silencieux, et il entendit bien les cris de la troupe d'Androgeus. César se tint tout prêt comme s'il allait bondir en avant. Et le roi Cassibelaune n'en savait rien mais il arma ses chevaliers et les prépara pour la bataille. Ils n'étaient qu'à moitié prêts lorsqu'Androgeus arriva et se précipita sur eux avec une force maléfique. Les chevaliers qui étaient équipés commencèrent à se battre et Androgeus les affronta en déployant une puissance considérable. Au premier assaut, il tua quatre mille hommes. L'armée en fut privée d'autant et les soldats voulurent s'enfuir. César se dirigea vers leur avant-garde et l'attaqua. Il tua de nombreux, d'innombrables hommes. Alors le roi de G.Bretagne, Cassibelaune, s'enfuit. Il avait souvent connu l'adversité mais jamais autant qu'à ce moment ! César était devant lui, Androgeus derrière et, de chaque côté, le poursuivaient pour lui porter des coups funestes. [4330]

Le roi Cassibelaune réfléchit ; il vit à côté de lui une grande colline près de la lisière d'un bois. Il s'y rendit et une grande partie de la troupe s'enfuit avec le roi, gravit la colline avec grande désolation. Néanmoins, quinze mille hommes se regroupèrent à cet endroit. La colline était très haute, des noisetiers y poussaient. Il y avait tout autour de la colline de nombreux blocs de pierre. Ils se mirent à abattre les arbres et à les coucher devant eux. Ils commencèrent à se défendre en lançant contre leurs ennemis des troncs d'arbres, des pierres ou des pointes d'acier. Le roi bâtit sur la colline un château fort et, en une nuit, l'ouvrage fut achevé car se mirent à la tâche les écuyers, les barons et le roi travailla très dur de ses propres mains pour sauver sa vie. Lorsque l'ouvrage fut érigé, leur situation s'améliora. Jules César les assiégea. Sur la colline, se trouvait le roi Cassibelaune. Il y connut beaucoup de souffrances. Il n'y avait ni alcool, ni vin nouveau. Pendant trois jours et trois nuits, aucun chevalier n'eut à manger. Ils étaient dans une très mauvaise situation car le roi les avait fourvoyés en refusant de se réconcilier avec son parent Androgeus. C'est pourquoi, il se trouvait maintenant sur la colline. La faim le tiraillait. Le roi était en position délicate, il ne prenait aucune décision car il ne savait pas ce qui pourrait l'aider d'un côté ou de l'autre. Toute la journée il vit devant lui ses ennemis implacables, tous éminents - l'empereur César et toute l'armée romaine, tout le peuple romain - pour son déplaisir. Toute la journée, ils crièrent ainsi à Cassibelaune : "Maintenant, tu vas trembler pour tes actions passées, tu te réjouis fort de nous avoir écrasés lors de ton combat et d'avoir abattu ceux de notre race. Maintenant ton jour de malheur est arrivé car tu vas connaître la mort avec la faim, la haine et l'humiliation". [4365]

Alors le roi Cassibelaune fut en grande peine et prit conseil car il était dans une situation critique. Il choisit un chevalier avisé et l'envoya aussitôt auprès de la troupe là où se trouvaient ses ennemis. (Le chevalier) salua Androgeus avec des paroles de paix, le pria de se souvenir qu'il était son parent, d'autant plus qu'il était en difficulté, car il était le fils de son frère. "Car je n'ai pas agi envers toi avec une telle malveillance que je doive par conséquent subir la mort ; il s'agit d'une très grande injustice lorsqu'un bon chevalier tue un de ses estimables parents, alors qu'il n'est pas coupable. Tu dois m'indiquer ce que je dois faire dans ma grande adversité, me réconcilier avec l'empereur et avec l'armée romaine et, ensuite, je parlerai avec toi et accepterai ta paix ; ensemble nous vivrons, ensemble nous mourrons. Pense à mon triste état et réconcilie moi avec le peuple romain car si je péris ici, rapidement il t'arrivera le pire car bientôt ils te paraîtront odieux ceux qui concourent à ma mort". [4382]

Androgeus répondit alors et s'adressa ainsi au chevalier : "Depuis combien de temps, en ce royaume terrestre, la colère de mon oncle s'est-elle ainsi adoucie et un homme si impitoyable a t-il reconnu ce qui est juste ? Il y a moins de cinq jours, il voulait me chasser et me priver de la vie. Pour cela, il utilisa toute sa puissance ; il me déposséda de mes biens et tout ce qui m'était cher lui semblait des plus exécrables. Le roi agit avec déraison, en adoptant une telle humeur car il combattit César, l'empereur romain, et triompha de lui par deux fois, il tua et fit prisonniers ses hommes. le roi n'y parvint pas seul mais c'est nous qui avons tout fait. J'étais présent dans la bataille avec tous mes chevaliers, à maintes reprises dans la mélée. Mais si je n'avais pas été là avec mes bons chevaliers, notre roi aurait été capturé et tous ses Bretons tués. Mais nous combattîmes avec acharnement devant le roi et refoulâmes l'empereur et son armée romaine. Le roi ne le fit pas seul, c'est nous qui fîmes tout. Lorsque nous eûmes accompli ceci, et après avoir remporté beaucoup d'honneur, alors le roi devint d'humeur arrogante, bien qu'il ne l'eût pas bouté seul. Depuis, on vient me dire que mon oncle a réfléchi. Il recherche ma clémence avec des paroles apaisantes, car sa fureur s'est émoussée. Maintenant, il a recours à de bonnes paroles aussi je vais me raviser. Au mal, je vais opposer le bien et je vais atténuer son tourment et le réconcilier avec César. D'ici la fin de ce jour, je l'aiderai si j'en ai la possibilité". [4409]

Androgeus était si bon que, sans attendre, il se mit pieds nus, tout comme ses meilleurs chevaliers, qui avaient participé au combat à ses côtés. Ils se rendirent auprès de l'empereur à l'endroit où il était parmi ses soldats. Ils tombèrent à ses pieds, s'étreignirent et méditèrent. Androgeus, en vrai chevalier, parla alors doucement : "Seigneur César, (accorde nous) ta bienveillance maintenant et à jamais. Laisse moi t'expliquer : je sollicite ta clémence et ta paix. Tu as vaincu mon oncle ; au cours de la bataille, il prit la fuite, il se trouve sur cette colline et il te demande de lui accorder la vie sauve ; tu as vaincu Cassibelaune, tu as tué un grand nombre de ses hommes et tu détiens le roi et tout son royaume. Fais lui grâce de sa vie et accepte qu'il s'entretienne avec toi. Avant ces événements, c'était un roi libre. Tu t'es maintenant vengé de lui, laisse le devenir ton propre homme et qu'il t'envoie, de G.Bretagne, un tribut annuel, des trésors et une grande quantité de richesse. La gloire te revient". [4426]

César entendit ces paroles, il se méfia de ce discours. Il se tenait à l'écart et ne voulait pas écouter. Il semblait en colère à cause des mots qu'il entendait. Androgeus était habile et prudent. Il s'approcha de l'empereur et le salua en des termes élogieux. Ainsi parla Androgeus : "Ecoute moi, jusqu'au bout, César. Ne sois pas malveillant avec moi. J'ai respecté notre accord et tout ce que je t'avais promis en présence de nos chevaliers. Je m'étais engagé à remettre entre tes mains toute la G.Bretagne ; c'est ce que j'ai fait : tu l'as reçue toute entière. Mais je ne t'ai jamais promis de tuer Cassibelaune, mon oncle. Je n'ai pas le droit de lui ôter la vie car je suis de sa famille et son homme. Jamais, il ne connaîtra la mort tant que je pourrai le libérer. Accorde la vie sauve à mon oncle et laisse le se réconcilier avec toi. Il deviendra ton homme et chaque année t'enverra trois mille livres ; et je te le jure sur mon épée, si tu refuses tu connaîtras le pire, tu ne quitteras jamais la G.Bretagne sain et sauf". [4445]

Alors l'empereur prit peur, ainsi que sa troupe romaine. Il aurait préféré, plutôt que tout ce territoire, tout cet argent, tout cet or, être dans Ordre, dans son bon château fort. Car, à ce moment là, l'empereur César était très inquiet ; il pensait qu'Androgeus voulait le trahir. César était habile et prudent - et il le prouva bien. César s'adressa ainsi au comte Androgeus : "Androgeus, mon cher homme, je vais faire tout ce que tu désires, je vais suivre ton conseil car tu m'as aidé lorsque j'étais en difficulté ; je n'ai jamais trouvé homme plus loyal d'ici au Latran". [4455]

Cette décision fut rapportée sans tarder à Cassibelaune. Alors il fut heureux comme il ne l'avait jamais été de sa vie. Le roi Cassibelaune sortit (du château) et descendit de la colline. Il était d'humeur joyeuse. Mais César agit bien, avec beaucoup de grandeur ; il fit nourrir, habiller et laver (le roi) avant qu'il ne se présente devant lui. Ils firent la paix qui fut bien respectée, ils conclurent leur accord devant leurs vassaux. Cassibelaune devint l'homme de César et, chaque année, devait lui faire parvenir trois mille livres. Ils prêtèrent serment. Ils ne revinrent jamais sur leur parole car ceux qui s'engagèrent étaient des hommes loyaux, et, par conséquent, respectèrent (leurs promesses). Néanmoins, César fut le premier homme à asservir ce pays depuis que Noé et ses fils avaient quitté l'arche. Lorsque tout ceci fut terminé, les armées se séparèrent. [4472] L'empereur et ses compagnons séjournèrent (dans le pays) tout l'hiver en bonne amitié, pacifiquement, et avec une allégresse extraordinaire. Vers l'été, il traversa la mer et emmena avec lui Androgeus qui était son compagnon le plus cher. Et Androgeus gouverna tout ce qu'il voulait. C'est pourquoi les affaires intérieures de Rome furent sous l'autorité d'Androgeus. Il ne revint jamais ici et aucun de ses compagnons non plus mais après son départ, ne vécut que sept ans. [4480]

Lorsque l'heure de la mort de Cassibelaune, qui était le roi de notre pays, sonna, il s'éteignit à York. La reine était morte avant le roi. Celui-ci n'avait pas d'héritier. Les Bretons étaient désolés. Tennancius, qui était Duc de Cornouailles, apprit que son oncle était mort, avait quitté sa haute fonction, que son frère Androgeus était parti avec César et qu'un grand nombre de ses parents l'avait suivi. Tennancius se demanda ce qu'il pouvait faire et comment il pouvait s'y prendre pour obtenir ce royaume que son père Lud avait gouverné dans le passé. Tennancius fit venir ses messagers et les envoya en G.Bretagne pour inviter les Bretons à se soumettre à lui - cela vaudrait d'autant mieux pour eux - à le nommer roi sans engager de bataille, à lui remettre tout le territoire que son père Lud détenait et il les aimerait toute sa vie. Et s'ils étaient d'accord, il accepterait le royaume autrement il les écraserait par la force. [4498]

Les Bretons se rendirent à Londres pour une grande assemblée. Il leur sembla que la meilleure solution était de faire ce que leur demandait Tennancius. Ils le firent venir et le proclamèrent roi ; il y eut alors en G.Bretagne de nombreuses réjouissances. Il gouverna notre pays vingt-deux ans puis vint le jour de sa mort. Il est enterré à Londres. [4505]

Son peuple fut désolé. Ce roi avait un fils qui s'appelait Kinbelin. Il était allé à Rome avec son oncle. L'empereur Auguste l'avait armé chevalier. C'était un très grand privilège, car depuis que César était mort et avait quitté son peuple, Auguste n'avait jamais abandonné ceux de la famille d'Androgeus qui, à l'instar de Kinbelin, combattaient et protégeaient les possessions et ainsi défendaient le peuple romain des nations étrangères. Les Bretons, qui étaient très préoccupés, apprirent que Kinbelin, le hardi, habitait à Rome - lui qui était le fils de Tennancius et qui descendait du roi Lud. Sans attendre, ils choisirent deux chevaliers et les dépêchèrent à Rome où ils annoncèrent à Kinbelin que son père était mort et le prièrent de quitter discrètement ce royaume. Peu après, il arriva ici-même. Les Bretons l'accueillirent et le proclamèrent roi. [4520]

A l'époque de Kinbelin - qui était roi de G.Bretagne - vint sur terre le fils d'une vierge qui fut mis au monde à Bethlehem par la meilleure de toutes les jeunes filles. Il se nomme Jésus-Christ, par le Saint Esprit, Joie de tout l'univers et Seigneur des anges ! Père dans les cieux et sauveur de l'humanité. Fils de la sainte Vierge, il porte en lui-même le saint Esprit. Il donne son esprit à ceux qu'il aime comme il le fit pour Pierre qui était un pauvre pêcheur et dont il fit le plus grand des hommes. [4531]

Kinbelin, le roi de G.Bretagne, était un homme bon en toutes choses. Il vécut ici vingt-deux ans. A son époque, vivait dans notre pays un homme dont la vie fut parsemée de prodiges. Il s'appelait Teilesin. (Les Bretons) le tenaient pour un prophète à cause de ses connaissances pleines de sagesse. Ils croyaient tout ce que Teilesin leur disait. Il leur parla de plus d'un miracle qui se révélèrent vrais. Chaque année, il leur prédit ce qui allait arriver. Le roi envoya douze sages chevaliers à sa recherche, lui donnant ordre de venir à sa cour et lui interdisant de faire quoi ce que soit d'autre. Les chevaliers le conduisirent, sans tarder, devant le souverain. Dès que le roi le rencontra, il le salua aimablement : "Par ma tête et mon menton, tu es le bienvenu Teilesin ! Ta santé me tient plus à coeur que mille livres !". Alors Teilesin répondit et dit à Kinbelin : "Si je peux prospérer, tu en profiteras !". Kinbelin s'en réjouit et répondit ainsi à Teilesin : "Il vient d'arriver, dans notre pays, des prodiges étranges qui proviennent de Bethlehem, dans la contrée de Jérusalem. Un petit enfant est né dans cette région. La peur est grande et forte. Il y a des signes dans les étoiles, la lune et le soleil : l'effroi est sur l'humanité ! Ceci est bien connu et les écrits me sont parvenus. Je voudrais apprendre de toi, tu es mon cher ami, ce que ce signe désigne, ce qu'il va devenir. Les peuples de toutes les nations en ont très peur". Teilesin répondit et dit les paroles suivantes à Kinbelin : "Il y a longtemps, on raconta - ce qui se confirme aujourd'hui - qu'un enfant des plus nobles naîtrait, qu'il serait appelé "Sauveur", qu'il aiderait ses amis et qu'il libérerait son peuple bien-aimé de leurs liens odieux, qu'il ferait sortir de l'Enfer Adam, Noé, Abraham, Sadoc, Samuel, Syméon l'ancien, Joseph, Benjamin, et tous ses frères, Joël, Elisée, Asor, Naas, Isaac et son frère, ainsi que de nombreux autres, plusieurs centaines de milliers qui avaient été jetés en enfer. C'est pour cette raison qu'il est ici sur terre". Teilesin prononça ces paroles qui disaient la vérité. [4570]

 

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Résumé : Le fils aîné de Kinbelin, Arviragus, devient roi à son tour. L'empereur romain Claude débarque en G.Bretagne, détruit la ville de Portchester puis assiège Winchester. Les Bretons capitulent, Arviragus se soumet à l'empereur et devient son vassal. En contrepartie, il épouse la fille de Claude, Genuis. A la mort de Claude, Arviragus refuse de continuer à payer tout tribut. Les hommes de Vespasien arrivent à Douvres, mais Genuis intervient pour éviter la guerre. Aux Romains vient s'ajouter le problème supplémentaire des Pictes.

Le roi breton Lucius, et tout son peuple, se convertit au christianisme. Par la suite, les guerres entre Romains, Bretons (et Pictes) sont continuelles. Les Romains construisent un premier mur en Ecosse.

Le roi Athionard envoie des navires de Bretons, puis de Bretonnes, pour peupler la petite Bretagne. La fille du roi, et toutes ses compagnes, font naufrage et sont interceptées par les pirates Melga et Wanis qui les tuent, violent ou vendent comme esclaves. Melga et Wanis décident d'envahir la G.Bretagne, les Romains construisent un second mur en Ecosse. Le Romain Febus chasse les deux pirates mais annonce aux Bretons que les légions ne viendront plus les aider. Melga et Wanis en profitent pour réattaquer l'île de Bretagne. Un nouvel appel à l'aide aux Romains reste sans effet. Le mauvais roi, Gratien, ayant été tué par deux manants bretons, un archevêque, Guencelin, réunit tous les hommes d'église de G.Bretagne et est ensuite envoyé en petite Bretagne pour demander de l'aide. Guencelin arrive à la cour du roi Aldroein. [4571-6344]

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Guencelin arriva au palais du roi ; celui-ci veilla à ce qu'il soit bien reçu. L'archevêque tomba aux pieds du roi et le pria de penser à Dieu : "Seigneur roi, Aldroein, que Dieu t'accorde sa grâce ! Souviens-toi que tu étais le fils de Conan, que tu descends des Bretons. Je suis venu pour parler avec toi et te demander de nous sauver la vie. Deux païens, Melga et Wanis, sont arrivés dans notre pays. Ils nous font beaucoup de mal. Ils détiennent tout le nord de notre terre et nous craignons fort qu'ils en obtiennent plus. Ils ne pensent qu'à commettre le mal, annihiler le christianisme et convertir au paganisme les grands et les humbles. Ton père emmena de G.Bretagne tous les bons chevaliers. L'estimable Maxime en conduisit plusieurs milliers à Rome et ceux qu'ils laissèrent derrière eux, sont maintenant morts de nos jours. C'est ainsi que la G.Bretagne est peu peuplée. Nous avons envoyé des messagers aux Romains les priant de venir. Et ils nous ont répondu, au travers de nos messagers, de faire de notre mieux car ils ne viendraient plus jamais et ils nous ordonnèrent d'essayer d'obtenir de l'aide. Ils ont précisé qu'ils nous abandonnaient maintenant et à jamais. Mais même si nous agissons bien, cela va mal car nous sommes désormais misérables ! A une époque, les Bretons étaient les meilleurs sur terre : ils remportaient tout ce qu'ils entreprenaient. Maintenant, ils sont vaincus, soit tués soit capturés ou alors, ils sont partis avec Maxime ou avec ton père Conan si bien qu'il n'en reste aucun de valeur. Mais tu es de notre famille, tu n'as rien à nous reprocher. Aide nous maintenant car tu le peux, sinon nous serons en très grand danger". [6372]

Telles furent les paroles de l'archevêque et le roi Aldroein les comprit bien. Le roi se mit à pousser d'amers soupirs, des larmes commencèrent à couler de ses yeux : tous les hommes de sa cour en furent témoins. Alors le roi répondit et il parla ainsi avec Guencelin : "Je vais vous aider avec grande force. Je vais te remettre deux mille chevaliers, qui sont les meilleurs de ceux qui vivent en Bretagne, ainsi que mon frère Constantin - je n'en connais pas de semblable. Je ne connais pas de meilleur chevalier, aussi loin que porte la lumière du jour, et il n'y a pas, à ma connaissance, de chevalier qui l'égale dans ce royaume terrestre". Alors le roi Aldroein appela son cher frère Constantin auquel il remit aussitôt les chevaliers. Constantin partit, accompagné de l'archevêque. Le roi en personne aurait aimé partir mais il se méfiait des Français. [6387]

L'aimable Constantin progressa avec toute son armée sans être inquiété. Ils débarquèrent à Totnes. Cet homme valeureux, qui était très courageux, arriva ici en compagnie de deux mille chevaliers comme aucun roi ne possédait. Ils entrèrent bientôt dans Londres et firent appel, dans tout le royaume, aux chevaliers et à tous les hommes braves pour qu'ils viennent à eux de toute urgence. Les Bretons entendirent cet appel là où ils se terraient. Ils se cachaient comme des blaireaux sous terre ou dans des troncs d'arbres, dans la forêt, ou des régions désertes, dans la lande ou des terres couvertes de fougères si bien que presque personne ne pouvait trouver de Breton, mis à part ceux qui étaient dans un château ou dans une ville solidement barricadée. Lorsqu'ils apprirent que Constantin était dans le pays, alors plusieurs milliers d'hommes quittèrent les montagnes. Ils sortirent des bois tels des chevreuils. Plusieurs centaines de milliers marchèrent en direction de Londres, ils prirent les routes et les sous-bois. Et les femmes valeureuses revêtirent des costumes d'hommes et rejoignirent l'armée. Lorsque le comte Constantin vit tout ce monde qui venait à lui, alors il fut heureux comme il ne l'avait jamais été. [6408]

Ils marchèrent deux nuits et un jour si bien qu'ils arrivèrent tout près de Melga et de Wanis. Ils engagèrent la bataille en se ruant de toute force et combattirent férocement. Ceux qui étaient voués au malheur tombèrent ! Avant la fin de la journée, Wanis et Melga avaient été tués ainsi que bon nombre de Pictes, d'innombrables Ecossais, des Danois et Norvégiens, des hommes de Galloways et des Irlandais. La bataille dura tant qu'il fit jour. Lorsque le soir tomba, alors le comte Constantin appela et ordonna que des guides aillent jusqu'aux rivières et des hommes énergiques jusqu'à la mer pour y dénicher (des ennemis). L'homme qui aurait dû voir du gibier, vit comment les femmes partirent à travers bois, champs, collines et vallons. Dès qu'elles trouvaient un fuyard qui faisait partie de la troupe de Melga, le roi païen, elles riaient à gorge déployée, le mettaient en pièces et priaient pour que son âme ne connaisse jamais la paix. Les femmes bretonnes en tuèrent ainsi plusieurs milliers et libérèrent ce royaume de Wanis et Melga. [6427]

Et le valeureux Constantin se rendit à Silchester où il rassembla tous ses comtes bretons. Tous les Bretons vinrent à l'assemblée, choisirent le noble Constantin et en firent le roi de G.Bretagne - grande était la joie qui régnait parmi les hommes. Ensuite, ils lui donnèrent une épouse, d'une beauté merveilleuse, de très haute naissance, la meilleure qui soit de toute la G.Bretagne. De sa noble femme, Constantin eut, dans ce pays, trois petits garçons. L'aîné avait presque le même nom que son père : le roi s'appelait Constantin et l'enfant Constance. Lorsque cet enfant fut grand et qu'il sut monter à cheval, alors son père en fit un moine suivant le conseil de mauvais hommes. L'enfant devint moine à Winchester. Après lui était né un autre (enfant), c'était le fils cadet. Il s'appelait Aurelius et son nom de famille était Ambrosius. Le dernier né était un enfant aux grandes qualités. Il s'appelait Uther, ses vertus étaient considérables. C'était le plus jeune frère mais il vécut plus longtemps que les autres. L'archevêque Guencelin, qui pensait toujours à Dieu, s'occupa des deux enfants, par amour pour le roi. Mais hélas ! Quel malheur que leur père ne puisse vivre plus longtemps ! Car il établit de bonnes lois sa vie durant. Mais il ne fut roi que douze années et ensuite il mourut. Ecoutez comment cela arriva. [6452]

Il avait à son service un Picte, un chevalier aimable et très vaillant. Il accompagnait le roi, et ses comtes, agissant comme s'il était son frère. Puis il devint très puissant contrairement à ses compagnons. C'est alors qu'il eut l'idée de trahir le grand Constantin. Il vint devant le roi, s'agenouilla et ce traite mentit ainsi devant son seigneur : "Seigneur roi, viens immédiatement pour parler avec ton chevalier Cadal et je vais te raconter des histoires étranges comme jamais tu n'en as entendu sur terre". Alors le roi Constantin se leva et sortit aussitôt avec lui. Mais hélas, quel malheur que les chevaliers de Constantin ne le savaient pas ! (Le roi et Cadal) s'éloignèrent tant qu'ils pénétrèrent dans un verger. Alors le traître dit : "Seigneur, reposons nous ici". Le traître s'assit comme s'il voulait dire un secret : il s'approcha du roi comme on le fait pour murmurer. Il s'empara d'un très long couteau et transperça le coeur du roi puis il prit la fuite. Le roi gisait mort et le félon s'enfuit. [6471]

La nouvelle de la mort du roi arriva à la cour. Une grande tristesse se répandit. Alors les Bretons furent préoccupés, ils ne savaient pas du tout qui pourrait être leur roi car les deux fils du souverain étaient tous les deux petits. Ambroise pouvait à peine monter à cheval et Uther, son frère, tétait toujours le sein de sa mère tandis que Constance, l'aîné, était à Winchester. Il portait un habit de moine comme ses compagnons. Aussi les habitants de ce pays se rendirent à Londres pour leur assemblée, pour désigner un roi, savoir quelle conduite suivre, comment le choisir, et lequel de ces enfants ils pourraient avoir comme roi. Puis ces gens choisirent à leur tête Aurélien-Ambroise comme roi. Vortigern , un homme habile et très prudent, apprit ce choix. Il se leva, au milieu des comtes, et fermement dénonça cette décision puis ajouta - c'était faux - "je vais vous donner le meilleur conseil qui soit. Attendons une semaine et revenons ici et vous pourrez juger de la vérité de mes paroles de vos propres yeux et vous approuverez votre attente. Repartons chez nous pour l'instant, maintenons librement la concorde et la paix dans notre pays". Toute l'assemblée agit selon la proposition de Vortigern. [6496]

Quant à ce dernier, il partit comme s'il voulait retourner dans ses terres puis suivit le chemin qui menait à Winchester. Vortigern était à la tête de la moitié du pays de Galles. Il avait, avec lui, quarante bons chevaliers. Il se rendit à Winchester où il trouva Constance. Il parla avec l'abbé qui dirigeait le monastère dans lequel Constance, le fils du roi de G.Bretagne, était moine. Il pénétra dans le monastère grâce à des paroles mielleuses. Il déclara qu'il voulait parler avec Constance. L'abbé lui donna son accord et le conduisit au parloir. Vortigern parla ainsi, à cet endroit, avec le moine : "Constance, écoute mon conseil car maintenant ton père est mort. Il y a ton frère Ambroise et le second Uther. Les anciens, les plus nobles du royaume, ont choisi Aurélien - son nom de famille est Ambroise. S'ils le peuvent, en toutes choses, ils feront de lui le roi. Quant à Uther, ton frère, il téte encore le sein de sa mère. Mais je me suis opposé à eux, et pense faire chuter (leur projet) car j'ai été le sénéchal de ce pays et suis un comte puissant, contrairement à mes compagnons. J'ai entre les mains la moitié du pays de Galles. J'ai plus de possessions tout seul que tous les autres ensemble. Je suis venu te voir car tu m'es le plus cher des hommes. Si tu me prêtes serment, je te débarasserai de ces vêtements. Si tu acceptes de multiplier mes terres, de me laisser te conseiller, de faire de moi ton sénéchal pour tout la G.bretagne, de suivre mon conseil pour tous tes actes et si tu me jures, main dans la main, que je la dirigerai toute entière alors je ferai de toi, en toutes choses, le roi de G.Bretagne". [6525]

Le moine était assis et ne bougeait pas. Ce discours lui plaisait. Alors le moine répondit avec grand contentement : "Sois remercié, Vortigern, d'être venu ici. Si jamais le jour vient où je serai roi, alors je remettrai entre tes mains mon pouvoir de décision tout entier ainsi que tout mon pays. Mes hommes acepteront tout ce que tu souhaiteras faire. Et je te jure de respecter ma parole". Ainsi parla le moine. Il regrettait amèrement qu'il n'en soit pas autrement, qu'il soit moine. Ces habits noirs lui étaient odieux à l'extrême. Vortigern était habile et prudent, il le prouvait en tous lieux. Il prit la cape d'un de ses chevaliers, en recouvrit le moine et fit sortir ce dernier de ce lieu. Il saisit aussitôt un écuyer, lui enfila les vêtements noirs et conversa avec le jeune homme comme s'il s'était agi du moine. Des religieux montaient, des religieux descendaient. Ils virent près du passage le jeune homme vêtu des habits du moine. La capuche lui tombait sur les yeux comme s'il cachait sa tonsure. Tous pensèrent qu'il s'agissait de leur frère qui était si tristement assis dans le parloir, dans la lumière du jour, parmi tous ces chevaliers. Ils allèrent voir leur abbé et le saluèrent par le nom de Dieu : "Seigneur, benedicite, nous venons te voir car les pensées de Vortigern nous semblent étranges dans notre parloir où il converse. Depuis le début de cette journée aucun moine ne peut y entrer sauf Constance, seul, ou tous ces chevaliers. Nous craignons qu'ils ne le conseillent mal". Alors l'abbé répondit : "Il n'en est rien, ils le conseillent bien. Ils le prient de respecter ses voeux car son père vient de mourir". [6555]

Vortigern resta là tandis que Constance s'éloignait à cheval. Vortigern se leva, quitta le monastère et, avec ses chevaliers, s'éloigna aussitôt. Les moines se précipitèrent immédiatement, ils pensaient trouver Constance. Lorsqu'ils virent les vêtements au pied des murs, alors tous pleurèrent leur frère. L'abbé bondit sur un cheval, galopa à la poursuite de Vortigern et bientôt rattrapa le comte. Ainsi parla l'abbé à Vortigern tout en chevauchant : "Dis moi, chevalier insensé ! Pourquoi commets-tu un tel méfait ? Tu nous prives de notre frère, laisse le et prends l'autre, prends l'enfant Ambroise et fais en un roi mais n'irrite pas saint Benoit, ne lui fais pas de tort !". Vortigern entendit (ces reproches) - il était habile et très prudent. Il fit rapidement demi-tour, saisit l'abbé et jura de la main qu'il le pendrait à moins qu'il ne lui promette de défaire immédiatement de ses voeux Constance, le fils du roi de ce pays qui, par besoin impérieux, devait être roi de cette nation. L'abbé n'osa pas refuser, il défit de ses voeux son frère et l'enfant remit à l'abbé vingt terres de labour. [6576]

Ensuite ils reprirent leur route en direction de Londres. Le puissant Vortigern interdit à ceux à son service de dire à quiconque ce qu'ils projetaient. Vortigern séjourna à Londres jusqu'au jour fixé pour la venue des chevaliers de ce pays à une assemblée. Ce jour là, ils arrivèrent en grand nombre. Ces guerriers sévères donnèrent leurs avis, débattirent, décidèrent de prendre Ambroise et de l'élever à (la dignité) de roi. Car Uther était trop petit - il tétait encore au sein - et Constance, l'aîné des trois était moine et il ne voulait, pour rien au monde, d'un moine comme roi. Vortigern, qui était habile et très prudent, entendit ces paroles. Il se leva d'un bond tel un lion. Aucun des Bretons ne savait ce que Vortigern avait fait. Il avait installé le précieux Constance dans une chambre, lui avait fait prendre un bon bain et l'avait bien vêtu puis l'avait caché avec douze chevaliers. Alors Vortigern parla ainsi - il était habile et prudent - "Ecoutez, seigneurs, ce que j'ai à dire sur les rois. Je suis allé à Winchester où j'ai agi vite. J'ai parlé avec l'abbé, qui est un homme bon et saint et lui ai parlé de la vacance qui existait dans cette nation, de par la mort de Constantin - qu'il déplorait - et du fait qu'il détenait le jeune Constance. Et je l'ai prié, au nom de Dieu, de défaire l'enfant de ses voeux car une telle nécessité l'appelait à être le roi du pays. Et l'abbé fut convaincu et fit tout ce que je lui avait demandé. Et j'ai ici ses moines, qui sont bons et importants qui vont témoigner devant vous. Regardez ! voilà ici l'enfant en question, faisons de lui un roi. J'ai ici la couronne qui convient ; et quiconque s'opposera à ce projet, le payera cher !". [6607]

Vortigern était très puissant, le plus grand homme de G.Bretagne. Jamais un homme fut assez courageux pour oser s'élever contre ses paroles. Dans la même ville, l'archevêque était mort. Et, sur son chemin, il ne rencontrait aucun évêque qui ne se détourne, aucun moine, aucun abbé qui, sur son passage, ne fasse accélérer son cheval car ils n'osaient pas, par peur de Dieu, commettre un méfait, c'est-à-dire prendre l'enfant moine et en faire le roi de G.Bretagne. Vortigern vit cela - c'était un familier du mal. Il se leva, saisit la couronne et en coiffa Constance - ce que ce dernier espérait. Il n'y eut personne pour célébrer une messe, personne pour bénir le roi : Vortigern fit tout, tout seul ! Le début fut déloyal, il en alla de même pour la fin : (Constance) renonça aux ordres, par conséquent il connut le malheur ! [6622]

Ainsi, Constance devint roi et Vortigern fut son sénéchal. Constance remit tout son royaume entre les mains de Vortigern et ce dernier fit tout, dans le pays, ainsi qu'il l'entendait. Puis Vortigern - c'était un familier du mal - découvrit que Constance ne connaissait rien à l'administration d'un royaume car il n'avait rien appris en dehors de ce qu'un moine doit faire dans un monastère. Vortigern s'en rendit compte, le Diable était tout près de lui ! Plus d'une fois, il se demanda ce qu'il pouvait faire, par quelle fourberie il pourrait contenter le roi. Tu vas maintenant entendre comment il s'en débarassa. Les meilleurs hommes de G.Bretagne étaient tous morts, les deux frères du roi étaient tout petits, l'archevêque Guencelin était mort depuis un moment et le roi de ce pays, en personne, ne connaissait rien à l'art de gouverner. Vortigern s'en rendit compte, alla voir le roi et salua son seigneur avec des paroles mielleuses : "Je te salue, Constance, maître de la G.Bretagne ! Je viens te voir à cause d'une grande difficulté, pour te parler de nouvelles qui viennent d'arriver dans le pays au sujet d'un grand danger. Maintenant, la force et les armes t'incombent pour défendre ton pays. Des marchands sont arrivés de pays étrangers, selon la coutume. Ils sont venus s'acquitter de la taxe sur leurs marchandises et m'ont dit, en engageant leur foi, que le roi de Norvège va bientôt venir ici, accompagné du roi du Danemark qui rassemble les Danois, du roi de Russie, le plus inquiétant des chevaliers, du roi de Gothland suivi d'une très grande armée et du roi frison : voilà pourquoi je suis inquiet. Ce sont de mauvaises nouvelles qui sont arrivées dans le pays. Voilà pourquoi je suis tourmenté car la seule bonne solution est d'envoyer chercher dans le pays, avec fermeté, des chevaliers capables, forts et compétents, de garnir les châteaux d'hommes hardis. Dans ces conditions, tu pourrais défendre ton royaume contre les étrangers et maintenir ton honneur avec force. Car il n'existe pas de royaume, de cette largeur et de cette longueur, qui ne soit rapidement vaincu si les guerriers sont en trop petit nombre". [6661]

Alors le roi répondit : "Vortigern, tu es le sénéchal de la G.Bretagne, tu la gouverneras à ta guise. Envoie chercher des chevaliers qui sont bons au combat, prends en main mes châteaux et mon royaume et agis selon ta volonté. Je ne dirai rien, à la seule condition que je sois appelé roi". Alors Vortigern se mit à rire - c'était un familier du mal - il n'avait jamais été aussi heureux de toute sa vie ! [6670]

Vortigern prit congé (du roi) et partit. Il prit en main tout le royaume et où qu'il aille, tous devinrent ses vassaux. Puis il rassembla ses messagers, les envoya en Ecosse et ordonna à trois cents Pictes, les meilleurs chevaliers qui soient, de venir à sa cour où il les accueilerait bien. Les chevaliers arrivèrent à sa cour peu après. Ainsi parla le traître : "Chevaliers, soyez les bienvenus. Je suis maître de tout ce royaume. Venez avec moi et je vous aimerai. Je vais vous présenter à notre roi. Vous recevrez de l'argent, de l'or, les meilleurs chevaux de ce pays, des vêtements et de belles épouses. J'exaucerai vos souhaits. Vous allez m'être chers car je déteste les Bretons. Je ferai tout cela, bruyamment ou sans bruit, si vous me prenez comme seigneur dans ce pays. Alors les chevaliers répondirent aussitôt : "Nous allons faire tout ce que tu désires". [6689]

Ils partirent pour (le palais) du roi Constance. Vortigern - c'était un familier du mal - se rendit auprès du roi à qui il fit part de ses actes, de ce qu'il avait fait. "J'ai avec moi des chevaliers Pictes qui vont s'installer à la cour. J'ai garni, au mieux, tous tes châteaux. Ces chevaliers étrangers seront notre avant-garde". Le roi donna des ordres selon les projets de Vortigern ; quel malheur que le souverain n'ait rien su des pensées, ni de la trahison, qui suivit peu après, (de Vortigern) ! [6698]

Les chevaliers furent traités avec grand honneur à la cour. Ils vécurent deux années entières auprès du roi et le sénéchal Vortigern était leur seigneur commun. Il répétait inlassablement que les Bretons étaient des incapables mais affirmait que les Pictes étaient de bons chevaliers. Les Bretons étaient toujours privés de biens tandis que les Pictes détenaient tout ce qu'ils voulaient : ils avaient à boire, à manger et connaissaient un grand bien-être. Vortigern leur accordait tout ce qu'ils souhaitaient : ils tenaient à lui comme à leur propre vie ! C'est pourquoi, ils se dirent tous, alors qu'ils étaient attablés, que Vortigern gouvernerait mieux ce royaume, en toutes choses, que trois rois du genre (de Constance) ! Vortigern donnait à ces hommes des trésors en grande quantité. Un jour, alors que Vortigern était dans ses appartements, celui-ci envoya ses deux chevaliers chercher les Pictes, ordonna à ces derniers de venir chez lui pour qu'ils mangent tous ensemble. Aussitôt, les chevaliers se rendirent chez lui et il les éprouva en paroles tandis qu'ils étaient à table. Il leur fit apporter toutes sortes de boissons. Ils burent, s'amusèrent, passèrent toute la journée là. [6719]

Lorsqu'ils furent ivres au point que leurs jambes fléchissaient, alors Vortigern prit la parole et énonça ce qu'il avait prémédité : "Ecoutez moi, chevaliers, je vais vous faire part, sans détour, du grand malheur qui m'attriste. Le roi m'a remis ce pays pour que j'en sois le sénéchal. Vous êtes les êtres vivants auquels je tiens le plus mais je ne suis pas assez riche pour vous doter. Le roi possède tout ce territoire, est jeune et aussi puissant et je dois lui remettre tout ce que je conquiers de son royaume. Et si je perds quoi que ce soit, alors je dois subir sa loi. J'ai distribué mes propres richesses parce que je voulais vous faire plaisir. Et maintenant, il me faut partir d'ici, aller chez un roi lointain, le servir dans la paix et m'enrichir à ses côtés. Je ne veux plus demeurer ici où je ne connais que le déshonneur aussi je pars pour une terre étrangère. Et si, par hasard, je fais fortune et connais la prospérité et si vous venez dans le pays où je serai, alors je vous récompenserai grandement. Et maintenant, je vous dis au-revoir car je vais partir ce soir. Je doute fort que nous nous revoyions un jour". Ces chevaliers ne connaissaient pas les pensées de ce traître. Vortigern était déloyal car à ce moment, il trahit son seigneur et les chevaliers tinrent pour vraies les paroles de ce traître. [6742]

Vortigern ordonna à ses écuyers de seller ses destriers puis il désigna douze hommes pour l'accompagner. Ils montèrent à cheval comme s'ils voulaient quitter le pays. Les Pictes, ces chevaliers ivres, virent que Vortigern voulait partir c'est pourquoi ils s'inquiétèrent. Ils se concertèrent, discutèrent. Tous maudirent leur vie car ils étaient si attachés à Vortigern. Ainsi parlèrent ces chevaliers qui avaient trop bu : "Quelle décision pourrions nous suivre ? Qui va nous conseiller maintenant ? Qui va nous nourrir ? Qui va nous habiller ? Qui sera notre seigneur à la cour ? Maintenant que Vortigern est parti, nous n'avons plus qu'à tous nous en aller. Il est hors de question que nous ayons un moine pour roi ! Mais allons agir avec intelligence ; Rendons nous aussitôt dans la chambre (du roi), secrètement et sans faire de bruit. Et imposons notre volonté, buvons de sa bière. Lorsque nous aurons bu, faisons la fête à grand bruit. Certains d'entre nous iront à la porte et se posteront devant, armés d'épées. D'autres s'empareront du roi et de ses chevaliers, leur trancheront la tête et nous serons les maîtres à la cour. Nous ferons rattraper notre seigneur Vortigern et ensuite, par tous les moyens, l'élèverons à la dignité de roi : alors nous pourrons mener une vie des plus agréables". [6765]

Aussitôt, les chevaliers se rendirent chez le roi. Ils traversèrent la grand'salle et pénétrèrent dans la chambre du roi ; ce dernier était assis auprès du feu. Ils restèrent silencieux sauf Gille Callaet qui s'adressa ainsi au roi qu'il s'apprêtait à trahir : "Ecoute-moi maintenant, souverain. Je ne vais rien te cacher. Nous avons été très bien traités à la cour grâce à ton sénéchal qui gouvernait tout ce pays. Il nous a bien nourris, il nous a bien vêtus. Et, en vérité, je peux te révéler que nous avons déjeuné avec lui aujourd'hui mais nous avons été très attristés de n'avoir rien à boire c'est pourquoi nous voilà dans ta chambre pour que tu nous donnes de la bière". Le roi répondit alors : "Ce souci ne va pas durer car vous allez avoir à boire aussi longtemps que vous jugerez bon". Des hommes leur apportèrent à boire et ils se mirent à se délecter. Puis Gille Callaet s'écria - il se démenait devant la porte - "Où êtes-vous, chevaliers ? Activez-vous immédiatement ! " Et ils saisirent le roi, le décapitèrent et tuèrent immédiatement tous ses chevaliers. [6784]

Ils choisirent un messager, l'envoyèrent à Londres pour qu'il rattrape Vortigern, que celui-ci vienne rapidement et qu'il s'empare du royaume. Il fallait l'avertir, par tous les moyens, que le roi Constance avait été tué. Vortigern, qui avait dissimulé sa traîtrise, apprit cette nouvelle. Il ordonna au messager de repartir sans attendre et il pria (les Pictes) de "bien garder tout notre honneur, qu'aucun d'entre vous ne s'éloigne, mais attendez tous que je revienne et je partagerai ce pays entre nous". Le messager repartit ; Vortigern s'activa, envoya des convocations à Londres ordonnant (aux Bourgeois) de venir, rapidement, sans attendre, pour une assemblée. [6797]

Lorsque les Bourgeois, qui étaient très vigoureux, furent arrivés, Vortigern, qui dissimulait sa traîtrise, prit la parole. Il se mit à pleurer, à soupirer avec tristesse mais cela venait de sa tête et non de son coeur. Alors les Bourgeois, qui étaient très vigoureux, lui demandèrent : "Seigneur Vortigern que pleures tu ainsi ? Tu n'es pas une femme pour sangloter si fort". Alors Vortigern, qui dissimulait sa traîtrise, répondit : "Je vais vous faire part d'une bien triste nouvelle. Une grande calamité vient d'arriver à notre pays. J'étais, dans ce royaume, le sénéchal du roi. J'ai parlé avec lui, je l'ai aimé comme ma propre vie. Mais il ne voulait plus écouter mes conseils à la fin. Il aimait les Pictes, ces chevaliers étrangers, et nous refusait toute bienveillance. Il ne voulait rien recevoir de nous non plus ; en revanche, à tout moment, il était charmant avec eux. Je ne parvenais pas à obtenir de salaire du roi. J'ai utilisé ma fortune tant que j'ai eu des économies, puis je suis parti pour mes terres dans l'idée de retourner à la cour dès que j'aurais perçu une imposition. Lorsque les Pictes s'aperçurent que le roi n'avait plus de chevaliers, ni aucun homme prêt à tout pour le roi, ils se rendirent dans la chambre du roi. Je vous annonce, entre autre, qu'ils ont tué le roi et projettent d'anéantir ce royaume ainsi que nous-mêmes et veulent installer un Picte comme roi. Mais j'étais le sénéchal (du roi) et je vais venger mon seigneur et que tout homme brave m'y aide ! Je vais revêtir mon équipement puis partir aussitôt". [6826]

Trois mille chevaliers quittèrent Londres. Ils chevauchèrent, progressèrent avec Vortigern jusqu'au lieu où les Pictes demeuraient. (Vortigern) choisit un de ses chevaliers, l'envoya voir les Pictes pour leur annoncer qu'il arrivait et savoir s'ils voulaient bien le recevoir. Les Pictes se réjouissaient du meurtre qu'ils avient commis, ils revêtirent leur bon équipement mais ne prirent ni bouclier, ni lance. Vortigern arma aussitôt tous ses chevaliers, puis les Pictes arrivèrent en portant la tête du roi. Lorsque Vortigern vit cette tête, il s'écroula à terre comme s'il avait été le plus triste des hommes. Son attitude était trompeuse : il était ravi intérieurement. Alors, Vortigern - qui dissimulait sa traîtrise - déclara : "Que tout homme brave abatte son épée sur eux, qu'il venge bien, ici même, le malheur arrivé à notre seigneur !". Ils n'en capturèrent aucun mais les tuèrent tous, puis pénétrèrent dans le logement, à l'intérieur de Winchester, et tuèrent les écuyers, les serviteurs, les cuisiniers, les garçonnets : ils n'en laissèrent aucun en vie. Ainsi se termina la vie du roi Constance. [6846]

Les hommes réfléchis s'occupèrent des deux autres enfants. Parce qu'ils se méfiaient de Vortigern, ils prirent Ambroise et Uther, les menèrent, par delà la mer, en petite Bretagne où ils les confièrent aimablement au roi Biduz. Celui-ci les accueillit avec courtoisie. Il faisait partie de leur famille et c'était un ami. C'est avec grand plaisir qu'il éleva les enfants qui restèrent là de nombreuses années. [6853]

Vortigern devint le roi de notre pays. Il détenait toutes les places fortes. Il fut roi vingt-cinq ans, il était fou, impétueux, cruel et virulent. Partout, il sut imposer sa volonté sauf avec les Pictes qui ne restaient jamais tranquilles : ils arrivaient toujours par l'extrêmité nord, frappaient durement notre royaume et vengeaient ceux de leur race que Vortigern avait tués ici. Pendant ce temps, on apprit, dans notre pays, qu'Aurélien, qui s'appelait Ambroise, était chevalier et qu'Uther était aussi un bon chevalier, très averti. (Tous les deux) allaient arriver dans le pays à la tête d'une très grande armée. Cette rumeur revenait régulièrement. Vortigern en entendait souvent parler, cela le couvrait fréquemment de honte et son coeur s'en irritait car on disait partout : "Ambroise et Uther vont maintenant arriver et venger Constance, le roi de notre pays. Il n'y a pas d'autre issue, ils vengeront leur frère, tueront Vortigern et le réduiront en cendres. De la sorte, ils s'empareront de tout ce royaume !". Ainsi parlaient les voyageurs chaque jour. [6874]

Vortigern se demanda ce qu'il pouvait faire. Il eut l'idée d'envoyer des messagers dans d'autres pays pour faire venir des chevaliers étrangers qui pourraient le défendre. Il cherchait à se protéger d'Ambrosie et d'Uther. Vortigern apprit alors que des hommes des plus étranges étaient arrivés de la mer. Ils avaient emprunté la Tamise pour débarquer. Trois solides navires qui comportaient trois cents chevaliers - on aurait dit des rois - sans compter les marins qui étaient à bord, étaient arrivés avec la marée. C'était les hommes les plus admirables qui soient jamais venus ici mais c'était des païens - il n'y avait pas défaut plus grand ! Vortigern leur envoya un message et leur demanda quelles étaient leurs intentions, s'ils cherchaient la paix et se souciaient de son amitié ? Ils répondirent avec sagesse, ce qu'ils connaissaient bien, et dirent qu'ils souhaitaient parler avec le roi, le servir avec affection et le prendre pour seigneur. Et, ainsi, ils partirent pour rencontrer le souverain. Le roi Vortigern était alors à Canterbury, où il se divertissait en compagnie de sa cour. C'est là que ces chevaliers se présentèrent au roi. [6895]

Dès qu'ils furent devant lui, ils le saluèrent aimablement et lui dirent qu'ils voulaient le servir dans ce pays s'il acceptait de les garder honnêtement. Alors Vortigern - ce familier du Mal - répondit : "De toute ma vie, de jour ou de nuit, je n'ai jamais vu de tels chevaliers ! Je me réjouis de votre arrivée, vous pourrez rester avec moi et je promets d'exaucer vos souhaits. Mais j'aimerais en savoir plus à votre sujet, par votre grande dignité ! qui êtes-vous, d'où venez vous et tiendrez vous parole, vieux comme jeunes ?". Alors celui qui était le frère aîné répondit : "Ecoute moi, seigneur roi, et je vais te dire qui nous sommes et d'où nous venons. Je m'appelle Hengest, Hors est mon frère . Nous venons de Germanie, un territoire des plus nobles, près de la terre des Angles. Il existe d'étranges coutumes dans notre pays. Au bout de quinze ans, le peuple est rassemblé, toute la population, et on tire au sort. Celui qui est désigné doit quitter le pays. Pour cinq qui restent, le sixième doit partir pour un pays étranger. Aussi aimé soit-il, il doit s'en aller. Car il y a beaucoup de gens, plus qu'il n'en faut. Les femmes ont des enfants comme les animaux sauvages : tous les ans, elles attendent un enfant ! Le sort nous a désignés, nous avons dû partir. Nous ne pouvions pas rester, vivants, morts ou quoi que ce soit, par peur de notre souverain. Voilà pourquoi nous sommes partis et pourquoi nous sommes ici à la recherche d'une terre et d'un bon seigneur sous ces cieux. Voilà, seigneur roi, tu viens d'entendre la vérité à notre sujet, en toutes choses". [6928]

Alors, Vortigern - ce familier du Mal - répondit : "Je te crois, chevalier, tu me dis vraiment la vérité. Et quelles sont vos croyances, quel dieu vénérez vous ?". Alors Hengest, le plus admirable de tous les chevaliers - il n'y avait pas de chevalier aussi grand et aussi fort dans tout ce pays - répondit : "Nous avons de bons dieux que nous aimons et auquels nous pensons souvent ; ils sont notre espoir, nous les servons avec force. Le premier s'appelle Phebus, le deuxième Saturne ; le troisième, qui est un dieu puissant, se nomme Woden, le quatrième, qui est au courant de tout, s'appelle Jupiter. Le cinquième, le plus grand, porte le nom de Mercure. Le sixième se nomme Appolin, c'est un dieu très brave. Le septième, Tervagant, est un dieu important dans notre pays. Nous avons aussi une déesse, grande et puissante, grande et sainte - ce qui explique que les hommes de cour l'aiment. Elle s'appelle Frea et elle les traitent bien. Mais parmi tous nos chers dieux que nous vénérons, Woden était le plus puissant autrefois, pour nos ancêtres. Ils tenaient à lui comme à leur propre vie, il était leur maître et il leur accorda beaucoup d'honneur. Ils lui offrirent, par vénération, le quatrième jour de la semaine. Au Tonnerrre (=Jupiter), ils donnèrent le jeudi, pour qu'il puisse les aider, Frea, leur déesse, reçut le vendredi. A Saturne, ils offrirent le samedi, au soleil, le dimanche et à la lune, le lundi. Tidea reçut le mardi" . Ainsi parla Hengest, le plus admirable de tous les chevaliers. [6955]

Vortigern - c'était un familier du Mal - répondit ensuite : "Chevaliers, vous m'êtes chers, mais ces précisions me sont odieuses. Vos croyances sont mauvaises, vous ne croyez pas en Jésus-Christ mais vous croyez en Satan, que Dieu lui-même maudit. Vos dieux ne valent rien, ils demeurent en Enfer. Je vais tout de même vous garder dans mon pouvoir car, au nord, se trouvent les Pictes - des chevaliers très valeureux - qui arrivent souvent dans mon pays à la tête d'une armée considérable. Ils m'humilient fréquemment ce qui m'afflige. Si vous acceptez de me venger et m'apportez leurs têtes, je vous donneari des terres, de l'argent et de l'or". Alors Hengest - le plus admirable des chevaliers - répondit : "Si Saturne le veut, ainsi que Woden, notre seigneur, en lequel nous croyons, il en sera ainsi !". [6969]

Hengest prit congé et regagna ses bateaux où il y avait plus d'un bon chevalier. Ils tirèrent leurs navires sur la grève. Les guerriers se rendirent auprès du roi Vortigern. Hengest était devant, Hors à ses côtés et suivaient derrière les Germains, admirables au combat. Puis ils envoyèrent à (Vortigern) leurs braves chevaliers saxons, des parents d'Hengest, de sa race ancienne. Ils pénétrèrent dans la grand'salle, ils étaient tous superbes. Les écuyers d'Hengest étaient mieux vêtus et mieux nourris que les comtes de Vortigern ! La cour de Vortigern fut humiliée. Les Bretons furent attristés par ce spectacle. [6981]

Peu de temps après, les fils de cinq chevaliers, qui avaient voyagé rapidement, arrivèrent à la cour du roi. Ils donnèrent de nouvelles informations au souverain : "Les Pictes viennent d'arriver. Ils parcourent ton territoire, ravagent, brûlent et réduisent à néant toute l'extrêmité nord. Il faut que tu prennes une décision ou nous allons tous mourir". Le roi se demanda ce qu'il pouvait faire, envoya des messagers dans les logis à la recherche de tous ses hommes. Hengest arriva, Hors arriva, de nombreux hommes vaillants arrivèrent. Les Saxons, ceux de la race d'Hengest, vinrent ainsi que les chevaliers germains, qui sont bons au combat. Le roi Vortigern vit cela et s'en réjouit. Selon leur habitude, les Pictes avaient traversé l'Humber. Le roi Vortigern était bien au courant de leur venue. [6996]

Ils engagèrent le combat, un grand nombre d'hommes fut tué. Le combat était effréné, la bataille était acharnée ! Les Pictes avaient l'habitude de vaincre Vortigern et ils pensaient faire de même mais il en alla autrement. (Les bretons) étaient tranquilles avec Hengest, les puissants chevaliers saxons et les vaillants Germains qui étaient venus avec Hors : ils tuèrent de nombreux Pictes au cours du combat. Ils se battirent férocement, ceux qui étaient voués à la mort s'écroulèrent ! Lorsque la lune apparut, alors les Pictes furent vaincus, en très grand nombre battirent prestement en retraite, s'éclipsèrent de chaque côté, fuirent toute la journée. Le roi Vortigern retourna à son palais, sans jamais quitter Hors et Hengest. Le roi appréciait Hengest, il lui donna Lindesey , offrit de nombreux trésors à Hors et traita tous leurs chevaliers extrêmement bien. Pendant un bon moment, les choses continuèrent ainsi. Les Pictes n'osèrent plus jamais pénétrer dans notre pays, ni même les voleurs et les hors-la-loi qui étaient aussitôt tués. Hengest servait le roi avec la plus grande complaisance. [7017]

Puis un jour alors que le roi se récréait parmi ses hommes, lors d'une fête, Hengest se demanda ce qu'il pouvait faire car il voulait avoir un entretien secret avec le roi. Il alla devant le souverain et le salua aimablement. Le roi se leva et vint à côté de lui. Ils burent, ils s'amusèrent - la joie les unissait. Puis Hengest demanda au roi : "Seigneur, écoute-moi. Je veux m'entretenir secrètement avec toi, si tu veux bien écouter ma proposition et ne pas répondre par la colère à mon instruction". Le roi répondit comme le voulait Hengest. Alors, Hengest - le plus admirable des chevaliers - dit : "Seigneur, cela fait maintenant longtemps que je renforce ton honneur, que je suis ton homme fidèle à ta puissante cour et que je suis le meilleur de tes chevaliers à chaque bataille. J'entends souvent des propros inquiétants, tenus à voix basse, parmi les hommes de ta cour. Ils te détestent au plus haut point, et souhaitent ta mort mais n'osent pas le montrer. Bien souvent, ils parlent doucement, discutent à voix basse de deux jeunes hommes qui vivent loin d'ici. Le premier s'appelle Uther et le second Ambroise. Le troisième s'appelle Constance, fut roi dans ce pays et fut tué ici par quelque stratagème déloyal. Les autres vont maintenant venir, vengeront leur frère, brûleront tout ton territoire, tueront tes gens et te chasseront, ainsi que ton peuple, du royaume. Voilà ce que disent tes hommes, lorsqu'ils sont assis ensemble, parce que les deux frères sont tous les deux de race royale, de la famille d'Androein, ces nobles Bretons. Aussi je te conseille, dans ce grand danger, de trouver des chevaliers qui soient bons au combat. Donne moi un château ou une ville royale où je puisse demeurer tant que je serai en vie. A cause de toi, on me déteste par conséquent je crains d'être tué. Où que j'aille, je ne serai jamais tranquille à moins d'être solidement retranché dans un château. Si tu acceptes de faire cela pour moi, j'accepterai avec reconnaissance et j'enverrai chercher ma femme, qui est une Saxonne très avisée, et ma fille Rouwenne qui m'est très chère. Lorsque j'aurai ma femme, mes amis et que je serai totalement installé dans ton royaume, alors je te servirai au mieux, si tu m'accordes ceci". [7062]

Alors Vortigern - ce familier de tout mal - répondit : "Choisis rapidement des chevaliers et envoie chercher ta femme, tes enfants - les jeunes et les vieux - ceux de ta famille et accueille les dans la joie. Lorsqu'ils seront près de toi, tu recevras des trésors pour les nourrir dignement et pour les vêtir noblement. Mais je ne te donnerai pas de château ni de ville car les hommes de mon royaume me le reprocheraient car tu respectes la loi païenne qui existait du temps de vos ancêtres et nous respectons la loi du Christ, ce que nous ferons toujours de notre vivant". Hengest, le plus admirable des chevaliers, dit alors : "Seigneur, je ferai ta volonté ici et partout et agirai d'après tes conseils. Je vais maintenant, sans plus tarder, faire venir ma femme, ma fille, qui m'est très chère et des hommes valeureux, les meilleurs de ma race. Donne moi une terre, sur laquelle je serai le maître, de la dimension d'une peau de taureau étendu de part et d'autre, loin de tout château, au beau milieu d'un champ. Alors ni les pauvres ni les riches ne pourront te reprocher d'avoir donné une noble ville à un païen. Le roi accorda à Hengest ce qu'il demandait. Hengest prit congé et s'éloigna. [7085]

Il envoya des messagers dans son propre pays pour aller chercher sa femme. Quant à lui, il parcourut notre territoire à la recherche d'un vaste champ sur lequel il pourrait étendre au mieux sa belle peau de bête. Il arriva à un endroit dans un beau champ. Il avait obtenu, pour ce besoin, la peau d'un grand taureau d'une force extraordinaire. (Hengest) avait un homme avisé qui était un bon artisan. Celui-ci prit cette peau, l'étala sur une planche, aiguisa ses ciseaux comme s'il voulait tondre. Il tailla dans la peau une lanière très étroite et très longue. Cette lanière n'était pas très large : seulement un brin de ficelle. Lorsque la lanière fut entièrement incisée, elle était d'une longueur extrême. (Hengest) l'utilisa pour entourer une grande parcelle de terre. Il se mit à creuser un très grand fossé. Par dessus un mur de pierre, qui résistait à tout, il éleva un château grand et imposant. Lorsque le château fut totalement terminé, alors il lui forgea un nom. Il l'appela, fort justement, Kaer-Carrai en breton tandis que les chevaliers anglais l'appelèrent "Thongchester" . Maintenant, et à jamais, la ville porta ce nom ; elle ne dut son nom à aucune autre aventure et le porta jusqu'à l'arrivée de Danois qui chassèrent les Bretons. Ils l'appelèrent d'un troisième nom, à savoir Lanecastel (=Lancaster). A cause de ces événements la ville eut ces trois noms. [7109]

Pendant ce temps, la femme d'Hengest arriva ici avec ses navires. Elle avait pour compagnons quinze-cents cavaliers. L'accompagnaient, comme protection, de très bons bateaux. Ils transportaient de nombreux parents d'Hengest et sa fille, Rouwenne, qui lui était très chère. Ils arrivèrent un peu après l'achèvement du château. Hengest alla voir le roi et l'invita à un banquet. Il dit qu'il avait préparé un logement pour sa visite et le pria de venir, l'assurant qu'il serait bien reçu. Le roi accepta ce qu'Hengest proposait. [7120]

Le jour du départ arriva. Le roi et les hommes qu'il préférait parmi ses gens prirent la route et se rendirent eu château. (Le roi) contempla partout les murailles de haut en bas. Il admira tout ce qu'il vit. Il pénétra dans la grand'salle et tous ses chevaliers le suivirent. Des trompettes sonnèrent, des joueurs se mirent à crier, des ordres furent donner pour dresser les tables, les chevaliers s'y attablèrent : ils mangèrent, ils burent, la joie régnait au château. Lorsque les gens eurent mangé, ils se sentirent au mieux. [7130]

Hengest entra dans le logement où séjournait Rouwenne. Il la fit s'habiller avec grande ostentation. Tous les vêtements qu'elle portait étaient magnifiquement confectionnés. C'était les plus belles étoffes, ornées de fils d'or. Elle portait à la main un bol en or rempli d'un vin délicieux. Des hommes de haute naissance la conduisirent - elle, la plus belle entre toutes - dans la grand'salle devant le roi. Rouwenne s'agenouilla, s'adressa au souverain et dit tout d'abord en anglais : "Seigneur roi, wassail ! je suis heureuse que vous soyez venu". Le roi entendit ces paroles mais ne les comprit pas. Le roi Vortigern demanda aussitôt à ses chevaliers ce que la jeune fille disait. Alors Keredic, un chevalier admirable, le meilleur traducteur qui soit, répondit : "Ecoute moi, seigneur roi et je vais te dévoiler ce que Rouwenne, la plus belle des femmes, dit. Il est d'usage, en Saxe, chaque fois que ceux de mon peuple font la fête et boivent, que tout ami dise à son ami : "Cher ami, wassail !" l'autre répond : "Drinchail !" ; celui qui tient la coupe, la vide et les hommes vont chercher une autre coupe pleine pour la donner à son compagnon. Lorsque la coupe est là, alors ils s'embrassent trois fois. Voilà les bonnes coutumes de Saxe et en Germanie on les considère comme nobles". [7157]

Vortigern - ce familier de tout mal - écouta ces paroles et dit en breton, car il ne connaissait pas l'anglais, "Jeune Rouwenne, bois donc allégrement !". La jeune fille but le vin et attendit qu'on la remplisse à nouveau. Elle présenta la coupe au roi et l'embrassa trois fois. C'est par ce peuple là que la coutume de dire "wassail" et "drinchail" est arrivé dans notre pays - de nombreux hommes s'en réjouissent ! La gracieuse Rouwenne était assise à côté du roi ; le roi la contemplait avec désir : il était épris d'elle. Il l'embrassa à plusieurs reprises, l'enlaça plus d'une fois. Son esprit tout entier et toute son énergie étaient occupés par la jeune fille. Le Démon, qui dans ce genre de jeu est tout à fait féroce, était là tout près. Le Démon, qui n'a jamais fait de bien, perturba l'esprit du roi. Ce dernier se lamentait grandement : il voulait épouser la demoiselle. C'était vraiment chose détestable que le roi chrétien désirât la jeune fille païenne, au préjudice de son peuple ! Le roi tenait à la jeune fille comme à sa propre vie. Il pria Hengest, son guerrier, de lui donner la jeune fille. Hengest se décida à faire ce que le roi lui demandait : il lui accorda Rouwenne, la plus belle des femmes. Le roi en fut ravi. Il la prit pour reine d'après les lois qui existaient à l'époque païenne. Il n'y eut aucun élément chrétien lorsque le roi épousa la jeune fille : ni prêtre, ni évêque, le livre de Dieu ne fut pas utilisé. Il l'épousa selon le rite païen et l'amena dans son lit. Il la reçut vierge et lui accorda un présent considérable : lorsqu'il se fut déshonoré dans ses bras, il lui donna Londres et le Kent. [7184]

Le roi avait trois fils qui étaient des hommes fort civils. L'aîné s'appelait Vortimer. [7186]

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Résumé : Lors d'un nouveau banquet, Hengest propose à Vortigern de faire venir en G.Bretagne son fils Octa, le beau-frère de ce dernier, Ebissa, et tous leurs hommes. Vortigern accepte. Les Bretons n'apprécient pas de voir autant d'étrangers, païens de surcroît, à la cour. Ils menacent Vortigern de ne plus lui obéir s'il ne renvoie pas les Germains dans leur pays. Les Bretons se réunissent à Londres et choisissent Vortimer comme nouveau roi. Une guerre éclate entre les Bretons de Vortimer et les Germains d'Hengest. Hengest est mis en difficulté et son armée se retrouve acculée sur la côte et dans l'île de Thanet. Les Saxons montent à bord de bateaux et quittent la G.Bretagne. Vortigern erre dans le royaume pendant cinq ans. Vortimer s'applique à favoriser le christianisme. Le pape, saint Romain, lui envoie deux évêques qui viennent réformer les Bretons. Rouwenne est décidée à venger son père. Elle prétend vouloir se faire baptiser. Vortimer veut fêter cette demande et organise un banquet au cours duquel Rouwenne empoisonne le roi. Les Bretons reprennent alors Vortigern comme souverain et celui-ci fait revenir dans le pays Hengest et ses hommes. Hengest prétend vouloir faire la paix avec le peuple breton et propose une rencontre dans la plaine d'Ambresbury où chacun doit venir désarmé. Chaque Germain cache un couteau dans ses collants et les Bretons sont tués en grand nombre. Vortigern est fait prisonnier. Hengest partage le royaume entre ses hommes. Les Germains ravagent l'île et rétablissent le paganisme. Vortigern s'enfuit et se réfugie au Pays de Galle où ses compagnons lui conseillent de construire une forteresse sur le mont Reir (= le Snowdon). [7187-7714]

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Le roi partit et sa troupe le suivit. Lorsqu'ils arrivèrent à l'endroit, sans tarder ils se mirent à creuser un fossé. On sonnait du cor, les maçons taillaient, on faisait chauffer de la chaux. Ils parcoururent tout le territoire et remirent entre les mains de Vortigern tout l'ouest du pays de Galle. Ils s'emparèrent de tout ce dont ils s'approchaient. Lorsque le fossé fut terminé, et qu'ils fut très profond, alors (les ouvriers) commencèrent à ériger un mur par dessus ces fondations. Ils posaient en même temps de la chaux et des pierres. Il y avait un nombre extraordinaire de maçons : deux mille cinq cents ! Ils construisirent le mur dans la journée, la nuit il s'écroula ! Au matin, ils le rebâtirent et la nuit il s'effondra ! Cela se répéta sept nuits : chaque jour, ils le construisaient et chaque nuit, il s'écroulait ! Alors le roi fut désolé et abattu, en toutes choses. La foule était terriblement effrayée. Elle s'attendait à tout moment à voir Hengest déferler sur elle. Le roi était affligé. [7732]

Il envoya chercher des sages, des hommes avisés, empreints de sagesse, et leur ordonna de jeter leurs sorts, d'essayer des incantations, de découvrir la vérité grâce à leur art puissant pour expliquer pourquoi un mur si solide ne parvenait pas à rester debout une nuit entière. Ces hommes avisés se divisèrent en deux : certains se rendirent dans la forêt, d'autres allèrent à des carrefours. Ils se mirent à jeter leurs sorts en prononçant des paroles magiques. Ils exercèrent leurs arts pendant trois nuits mais ils ne réussirent pas à découvrir, d'une façon ou d'une autre, pourquoi ce mur, qui était si solide, s'écroulait chaque nuit et pourquoi le travail du roi était perdu. Mais un des sages, qui s'appelait Joram, déclara qu'il avait compris pourquoi, bien que cela ne semblait pas vrai. Il expliqua que si des hommes trouvaient, où que ce soit, un petit garçon qui n'avait jamais eu de père et si on ouvrait son thorax, qu'on prenait son sang et qu'on mélangeait ce dernier à de la chaux puis si on étalait (cette substance) sur le mur alors celui-ci tiendrait debout jusqu'à la fin des temps. Ce mensonge parvint jusqu'au roi qui le crut bien que ce ne fut pas vrai. Sans tarder, il rassembla ses messagers, les envoya parcourir le pays aussi loin qu'ils osaient aller, par peur de la mort. [7755]

Ils partirent dans toutes les directions et dans chaque ville, ils écoutaient les rumeurs à l'affût de paroles concernant un tel enfant. Ces chevaliers s'enfoncèrent loin dans ce pays. Deux d'entre eux suivirent un chemin à l'extrême ouest, qui allait exactement à l'endroit où se trouve Carmarthen de nos jours. A côté de la ville, dans un large chemin, s'amusaient tous les gamins. Ces chevaliers étaient fatigués et fort découragés. Ils s'assirent et observèrent le jeu de ces jeunes garçons. Au bout d'un petit moment, ceux-ci commencèrent à se battre - comme cela a toujours été l'habitude lorsque les enfants jouent. L'un d'entre eux en frappait un autre qui recevait tous les coups. Alors Dinabuz fut furieux contre Merlin et Dinabuz, qui subissait les coups, demanda : "Méchant Merlin, pourquoi m'as tu fait cela ? Tu m'as tant couvert de honte que tu vas le regretter. Je suis le fils d'un roi et tu es né de personne. Nulle part devrais tu vivre dans une demeure d'homme libre. Car voici ce qui est arrivé : ta mère était une prostituée car elle n'a jamais su qui était l'homme avec lequel elle t'a conçu, tu n'as jamais eu de père humain. Et tu viens nous déshonorer dans notre pays. Tu es venu parmi nous, mais tu es le fils d'aucun homme. Tu vas donc aujourd'hui connaître la mort". Les chevaliers entendirent ces paroles, là où ils étaient à l'écart. Ils se levèrent, s'approchèrent et posèrent de multiples questions au sujet de cette étrange histoire qu'ils avaient entendue de la bouche de ce jeune garçon. [7782]

Il y avait à Carmarthen un maire qui s'appelait Eli. Les chevaliers allèrent le voir en toute hâte et lui dire les paroles suivantes : "Nous sommes, ici même, des chevaliers de Vortigern et avons trouvé à cet endroit un jeune homme. Il s'appelle Merlin, nous ne savons rien de sa famille. Fais le venir rapidement et envoie le au roi si tu veux rester en vie et conserver tous tes membres. Envoie sa mère avec lui, elle qui le mit au monde. Si tu acceptes, le roi les accueillera mais si tu refuses alors tu seras chassé, cette ville sera entièrement brûlée et tous les habitants massacrés". Alors Eli, le maire de Carmarthen, répondit : "Je sais bien que Vortigern détient tout ce pays, que nous sommes tous ses hommes - son honneur est grand ! C'est avec joie que nous allons faire ceci et respecter sa volonté". Le maire partit, accompagné de ses conseillers (municipaux) ; ils trouvèrent Merlin et ses compagnons de jeu. Ils saisirent Merlin et ses camarades se mirent à rire. Lorsque Merlin fut emmené, alors Dinabuz se réjouit. Il pensait qu'on emmenait (Merlin) pour le tuer mais le destin en décida tout autrement avant que ce fut fait. [7804]

La mère de Merlin était devenue, de façon étrange, une religieuse dans une noble abbaye. Le maire de Carmarthen, Eli, s'y rendit, saisit la dame à l'endroit où elle était dans l'abbaye et se hâta de se rendre auprès du roi Vortigern, accompagné d'un grand nombre de gens. Il amenait la moniale et Merlin. Vortigern apprit bientôt oralement qu'Eli était arrivé, qu'il avait amené la dame et que Merlin, son fils, était arrivé avec elle. Alors Vortigern fut ravi ; il reçut la dame, qui était très belle, et il confia Merlin à douze bons chevaliers, qui étaient fidèles au roi, et qui devaient le garder. [7817]

Alors le roi Vortigern parla, il s'adressa à la religieuse : "Chère dame, dis-moi, il ne t'arrivera rien de mal, où es-tu née, qui te mit au monde ?" Alors la religieuse répondit et elle nomma son père : "Le tiers de ce territoire appartenait à mon père, le roi de ce pays. C'était bien connu. Il s'appelait Conaan, ce seigneur de chevaliers". Alors le roi répondit, comme si elle avait été de sa famille : "Madame, dis moi, il ne t'arrivera rien de mal, ton fils Merlin est ici. Qui l'engendra ? Qui fut considéré comme son père parmi les hommes ?". Alors elle baissa la tête et l'inclina vers la poitrine. Elle resta assise, en silence, à côté du roi et réfléchit un petit moment. Peu après, elle parla et dit au roi : "Sire, je vais te raconter des histoires extraordinaires. Mon père, le roi Conaan, m'aimait en toutes choses. Puis en grandissant, je suis devenue excessivement belle. Lorsque j'avais quinze ans, je vivais alors dans ma chambre, dans ma maison, avec mes servantes. J'étais d'une beauté extrême. Alors que je sommeillais dans mon lit et que je dormais tranquillement, je vis devant moi la plus belle chose qui ait vu le jour ; elle ressemblait à un grand chevalier, tout habillé d'or. Je vis cette chose en rêve toutes les nuits en dormant. Elle se glissait devant moi et scintillait, toute dorée. Elle m'embrassait souvent, m'enlaçait fréquemment. Elle s'approchait souvent de moi et me serrait de très près. Lorsque, enfin, je m'observai - je fus très étonnée. Mon corps m'était odieux, mes membres me semblaient insolites. Je me demandais ce que cela pouvait bien être. Puis je me rendis compte que j'attendais un enfant. Lorsque je fus à terme, je mis au monde ce garçon. Je ne sais pas qui en est le père, sur cette terre, ni qui l'engendra en ce royaume terrestre, ni s'il s'agissait d'une chose maléfique ou bien envoyée par Dieu. Hélas ! tandis que je prie pour être pardonnée, je ne peux pas t'en dire plus au sujet de mon fils et de sa venue au monde". La moniale baissa la tête et voila ses traits. [7855]

Le roi se demanda ce qu'il pouvait faire et réunit ses bons conseillers. Ils le conseillèrent au mieux, lui dirent d'aller chercher Magan qui était un homme extraordinaire : c'était un clerc avisé qui avait de très grandes connaissances. Il était de bon conseil, il savait guider loin. Il connaissait l'astronomie, il connaissait les langues de chaque pays. Magan vint à la cour où vivait le roi. Il salua le souverain avec des mots bienveillants : "Bonjour et porte-toi bien, sire Vortigern ! Me voilà, que veux tu ?". Alors le roi répondit, rapporta au clerc tout ce que la religieuse avait dit et lui demanda un conseil à ce sujet. Il lui dit tout, du début à la fin. Alors Magan dit : "Je connais bien cela. Toutes sortes de créatures vivent dans le ciel ; elles y resteront jusqu'à la fin des temps. Certaines d'entre elles sont bonnes, d'autres oeuvrent pour le mal. Parmi elles, se trouve une race très nombreuse qui se mèle aux êtres humains. On les appelle "Incubi Daemones" ; elles ne font pas grand mal mais dupent les gens. Elles trompent souvent de nombreuses personnes par rêve et un grand nombre de femmes enfantent à cause de leur artifice. (Ces créatures) leurrent de nombreux enfants de nobles gens grâce à leur magie. Voilà comment Merlin fut conçu et engendré par sa mère. C'est ainsi que tout s'est passé" expliqua le clerc Magan. [7882]

Alors Merlin dit au roi : "Sire, tes hommes m'ont capturé, me voilà devant toi. J'aimerais savoir quelle est ton intention et pourquoi on m'a amené devant le roi". Le roi répondit, en parlant vite : "Merlin, te voilà ici. Tu n'es le fils d'aucun homme ! Tu demandes à entendre des paroles qui te déplairont. Tu veux savoir ce qu'il en est, alors écoute. J'ai commencé un ouvrage très solide qui a dilapidé mes richesses. Cinq mille hommes y travaillent. J'ai de la chaux et de la pierre, il n'y en a pas de meilleures dans le monde. Il n'y a pas non plus, où que ce soit, de meilleurs ouvriers. Tout ce qu'ils bâtissent dans la journée, je peux le dire en vérité, est réduit à néant le lendemain matin. Chaque pierre se détache des autres et tombe par terre. Mes hommes sages et avisés m'ont dit que si je prends ton sang, dans ton thorax, si je construis mon mur et mélange (ton sang) à ma chaux, alors mon mur tiendra jusqu'à la fin du monde. Maintenant tu es au courant de tout ce qu'il va t'arriver". [7903]

Merlin écouta ces paroles, sentit la colère monter en lui et prononça ces mots, bien qu'il ait été furieux : "Dieu lui même, qui est le Seigneur des hommes, ne voudra jamais que le château se dresse grâce au sang de mon coeur ni que ton mur de pierre reste debout. Car tous tes sages sont des imposteurs qui mentent en ta présence. Tu en auras la preuve avant la fin de la journée. Joram, qui a dit cela, est mon grand ennemi. Ces explications me semblent une plaisanterie. Je suis né pour son malheur ! Fais venir immédiatement devant toi Joram, ton sage, ainsi que tous ses compagnons qui te dirent ces mensonges. Et je te révélerai la vérité au sujet de ton mur et pourquoi il ne tient pas debout. Et je te prouverai, vraiment, que leurs récits sont des mensonges. Accorde moi leurs têtes si je trouve la solution pour ton ouvrage". Alors le roi répondit, en parlant vite : "Je promets sur ma main de respecter cet accord !". [7922]

Le savant Joram fut conduit devant le roi ainsi que sept de ses compagnons - tous étaient voués à la mort ! Merlin s'énerva et dit avec colère : "Dis moi Joram, traître, toi que je déteste dans mon coeur, pourquoi ce mur s'effondre ? Dis moi pour quelle raison ce mur ne tient pas et ce qu'on peut trouver au fond du fossé ?". Joram ne disait rien, il ne savait pas. Alors Merlin prononça ces paroles : "Sire, respecte ton accord ! Fais creuser ce fossé de sept pieds supplémentaires . On trouvera une magnifique dalle, belle et large à contempler". On creusa le fossé de sept pieds supplémentaires et une dalle fut trouvée à cet endroit précis. Alors Merlin prononça ces paroles : "Sire, respecte ton accord ! Dis moi, Joram, toi qui m'es le plus détestable, explique à ce roi quelle sorte de chose se trouve sous cette dalle". Joram ne disait rien, il ne savait pas. Alors Merlin parla d'une merveille : "Il y a de l'eau en dessous. Retirez cette dalle et vous trouverez l'eau". Ils retirèrent,sans tarder, la dalle devant le roi. Ils trouvèrent l'eau. Puis Merlin ajouta : "Demande-moi, Joram, toi qui es mon véritable ennemi, dans peu de temps de te parler du fond, de ce qui se trouve dans l'eau, hiver comme été". Le roi posa la question à Joram mais celui-ci n'en savait rien. Alors, Merlin prononça ces paroles : "Sire, respecte ton accord ! Fais retirer cette eau et fais la jeter. Il y a, au fond, deux dragons puissants. Le premier vit dans la partie au nord et le second dans la partie au sud. Le premier est blanc comme le lait, il ne ressemble à aucune autre créature. L'autre est rouge comme le sang, c'est le plus audacieux des serpents. Au milieu de la nuit, ils commencent à se battre, tes ouvrages s'effondrent, la terre se met à trembler et ton mur s'écroule. Voilà par quelle merveille ton mur s'éboule : la raison se trouve dans ces eaux et n'a rien à voir avec mon sang". On retira toute l'eau. Les hommes du roi étaient contents, grande était la joie dans l'entourage du souverain. Peu après, ils se désolèrent. Avant la fin de la journée, ils entendirent des bruits. Lorsque l'eau fut entièrement retirée et que la fosse fut vide, alors ces deux dragons sortirent, émirent des sons assourdissants et se battirent férocement dans la fosse. Jamais personne ne vit combat plus horrible ! des flammes s'échappaient de leurs gueules ! le souverain vit ce spectacle, leurs apparences sinistres ! Alors, il fut perplexe, en ce royaume terrestre ; il se demandait ce que représentait ce signe qu'il voyait là en bas, comment il se faisait que Merlin le connaissait et que personne d'autre n'en sache rien. Tout d'abord, le (dragon) blanc eut le dessus puis il eut le dessous et le rouge le blessa mortellement. Chacun d'entre eux retourna dans son antre, plus aucun vivant ne les revit ! Ainsi disparut la chose que le roi Vortigern vit. Et tous ceux qui entouraient le souverain aimèrent beaucoup Merlin. Le roi eut Joram en horreur et le décapita tous comme ses sept compagnons qui étaient avec lui à cet endroit. [7980]

Le roi alla dans sa tente et s'y rendit en compagnie de Merlin. Il lui dit avec grande complaisance : "Merlin, tu es le bienvenu. Je te donnerai tout ce que tu désires de mon territoire, d'argent et d'or". Il pensait, grâce à Merlin, conquérir tout le pays mais il en alla tout autrement avant la fin de la journée. Le roi demanda à son cher ami Merlin : "Dis moi, Merlin, toi qui comptes le plus pour moi, que symbolisaient les dragons si bruyants, la dalle, l'eau et le combat merveilleux ? Dis moi, si tel est ton désir, ce que tout cela représentait. Puis, ensuite, il faudra que tu me conseilles sur ce que je dois faire, comment je peux reprendre mon royaume à Hengest, le père de mon épouse, qui m'a causé beaucoup de tort". Merlin répondit alors au roi et lui dit : "Sire, tu n'as rien d'un sage et tu es insensé. Tu poses des questions sur les dragons bruyants et tu veux savoir ce que signifiaient leur combat et leurs attaques féroces. Ils représentent les rois à venir, leurs combats, leur sort et leur peuple voué à la mort ! Mais si tu étais un homme à l'esprit si sage et si perspicace que tu m'aies interrogé sur tes nombreux malheurs, le grand tourment que tu as connu, je t'aurais parlé de ton infortune". [8006]

Alors le roi Vortigern demanda : "Cher ami Merlin, parle moi des choses qui vont m'arriver". "Avec plaisir", répondit Merlin d'une voix forte. "Je vais te le dire mais tu le regretteras à jamais. Sire, sire, constate le toi-même, tu reçois la malédiction de la famille de Constantin. Tu as tué son fils, tu fis assassiner Constance, lui qui était roi dans ce pays. Tu as poussé tes Pictes à le tromper vilement. Voilà pourquoi tu connais les pires malheurs ! Ensuite tu as attiré des étrangers, les Saxons, dans ce pays. C'est pourquoi tu seras anéanti ! Maintenant les Barons sont arrivés de Bretagne : il s'agit d'Aurelie et d'Uther - tu es maintenant prévenu - Ils vont, en réalité, débarquer dans ce pays demain à Totnes avec sept cents navires. Je te dis de prendre garde. Ils voguent rapidement sur la mer en ce moment. Tu leur as causé beaucoup de tort et maintenant tu dois connaître le malheur. Voilà de part et d'autre la calamité qui va se montrer à toi. Tu as des ennemis devant et des ennemis derrière. Mais fuis, fuis, poursuis ton chemin et sauve ta vie ! Et fuis car, où que tu ailles, ils te poursuivront ! Ambroise-Aurélien aura ce royaume en premier, mais il mourra empoisonné. Uther Pendragon sera le roi suivant. Mais ceux de ta race l'empoisonneront et il en mourra. Avant sa mort, toutefois, il combattra. Uther aura un fils qui viendra de Cornouailles et qui sera un sanglier sauvage, tout herissé d'acier. Ce sanglier incendiera les nobles villes. Il anéantira tous les traîtres avec autorité. Il réduira à néant toute ta puissante race. Ce sera un homme très brave et à l'esprit noble. Ce même (roi) commandera jusqu'à Rome. Il terrassera tous ses ennemis. Je t'ai dit la vérité mais elle n'est pas des plus douces pour toi. Mais fuis, avec ton armée ; tes ennemis cherchent ta cour". Alors, le sage Merlin cessa de parler, le roi fit sonner treize trompettes et partit très vite avec son armée. [8043]

Il ne s'était pas écoulé plus d'une nuit lorsque les frères arrivèrent ensemble sur le rivage, très exactement à Dartmouth dans le Totnes. Les Bretons l'apprirent et furent très heureux. Ils quittèrent les forêts, le désert par groupes de soixante et de soixante, de sept cents, de trente et de trente et de plusieurs milliers. Une fois réunis, ils furent bien heureux ! Les frères amenèrent dans notre pays une armée nombreuse. Vinrent alors à leur rencontre ces valeureux Bretons, en une foule immense, qui voulaient se venger de tout, et qui auparavant étaient éparpillés, en nombre stupéfiant, dans les forêts à cause de la terreur, des grandes souffrances, des préjudices extrêmes qu'Hengest leur avait causés, lui qui avait poignardé tous leurs chefs, avait massacré ces bons comtes à l'aide de fers ! Les Bretons se réunirent et prirent de sages décisions. Ils choisirent immédiatement Aurélien, le frère aîné, lors de cette noble assemblée, et l'élevèrent à la dignité de roi. Alors les Bretons furent envahis de joie, eurent le coeur léger, alors que peu avant ils se lamentaient. [8064]

Le roi Vortigern apprit qu'Aurélien avait été choisi et couronné roi. Alors Vortigern fut accablé, le pire était encore à venir ! Vortigern se rendit dans un château lointain, qui portait le nom de Genoure et qui était situé au sommet d'un grand mont qui s'appelait Cloard. La région se nommait Hergin, elle s'étendait près de La Wye qui est une belle rivière . Les hommes de Vortigern s'emparèrent de tout ce dont ils s'approchèrent. Ils mirent la main sur des armes et de la nourriture, de toutes sortes. Ils en apportèrent au château autant qu'ils en souhaitaient si bien qu'ils en eurent en abondance bien que cela ne leur servit pas à grand chose. [8075]

Aurélien et Uther savaient que Vortigern étaient enfermés dans un château sur le mont Cloard. Ils firent sonner les trompettes, se rassembler leur troupe - une foule innombrable venue de plusieurs pays - et partirent pour Genoure où se trouvait Vortigern. Un roi était à l'intérieur, un roi était à l'extérieur. Les chevaliers attaquèrent avec violence. Chaque homme de valeur se prépara. Lorsqu'ils virent qu'ils n'avaient pas le dessus, alors une troupe nombreuse se rendit dans le bois ; (les soldats) abattirent les arbres de la forêt, les halèrent jusqu'au château, en remplirent tout le fossé - qui était très profond - et y mirent le feu de tous côtés. Puis ils crièrent à Vortigern : "Tu vas maintenant brûler ici car tu as tué Constance, qui était le roi de ce pays, puis, ensuite, son fils Constantin . Maintenant, Aurélien est arrivé en compagnie de son frère Uther. Ils sont ta malédiction !" Le vent attisa le feu si bien qu'il se déchaîna ; le château se mit à brûler, les chambres furent calcinées, les grand'salles s'écroulèrent. Personne ne put résister au feu. Celui-ci se propagea partout et embrasa logement et rempart. Le roi Vortigern y fut calciné. Tous ceux qui étaient à l'intérieur périrent dans les flammes. Ainsi mourut Vortigern, dans une grande souffrance. Alors, Aurélien eut entre les mains l'ensemble du pays. [8101]

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résumé : Hengest cherche à quitter le pays par l'Ecosse. Aurélien et Uther l'attaquent. Au cours d'une très grande bataille, Hengest est fait prisonnier par le sénéchal Aldolf. Aeldadus, frère d'Aldolf, rappelle l'histoire de Saul, Samuel et du roi Agag. Hengest subit la même punition qu'Agag et est décapité. La guerre continue autour de York contre le fils d'Hengest, Octa. Celui-ci demande la paix et le baptême, ce qui lui est accordé.

Aurélien veut installer un mémorial dans la plaine d'Ambresbury où Hengest avait massacré un très grand nombre de Bretons. Merlin est appelé à l'aide, il propose d'aller chercher de très grosses pierres qui se trouvent en Irlande. Uther est envoyé avec une grande armée. Une guerre s'ensuit entre Uther et le roi irlandais Gillomar. Les Bretons sont victorieux.

Les Bretons ne parviennent pas à déplacer les pierres mais grâce à la magie de Merlin, elles sont embarquées dans les navires. Elles sont ensuite placées dans la plaine d'Ambresbury où elles constituent le mémorial de Stonehenge. Une grande fête est tenue à cet endroit à la Pentecôte.

Un des fils de Vortigern, Pascent, part en Irlande pour demander au roi Gillomar de venir attaquer la G.Bretagne. Les Irlandais débarquent à Meneve (=Saint Davids). Le roi Aurélien étant très malade, c'est Uther qui est envoyé pour se battre contre les Irlandais. Pascent complote avec un Gallois, Appas, pour que celui-ci tue le roi. Appas se fait passer pour un médecin et empoisonne Aurélien. Uther et ses hommes aperçoivent une comète et Merlin leur explique que le roi est mort et que la comète est le signe d'un fils merveilleux qu'Uther aura dans l'avenir. La bataille s'engage entre Uther et Gillomar. Les Bretons sont à nouveau victorieux. A Winchester, Uther est choisi comme nouveau roi. Il fait confectionner deux dragons d'or en souvenir de la comète. Ces symboles lui valent le surnom d'Uther Pendragon.

Octa retourne au paganisme et une nouvelle guerre s'engage. Uther et ses hommes ont le dessous et se réfugient sur une colline ; le siège se prolonge. Le comte Gorlois suggère d'attaquer en pleine nuit alors que les Germains dorment. La ruse se révèle fort bonne. Octa est fait prisonnier et envoyé en prison à Londres. [8102-9228]

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Puis, quelques temps après, (Uther) se rendit à Londres. Il y fut à Pâques en compagnie de ses hommes. Les habitants de Londres se réjouirent de la venue d'Uther Pendragon. Celui-ci envoya ses messagers dans tout le royaume. Il ordonna aux comtes, aux simples gens, aux évêques et aux hommes instruits de venir rejoindre Uther à Londres, de se rendre dans la ville de Londres pour y retrouver Uther Pendragon. Des hommes puissants arrivèrent à Londres. Ils amenèrent femme et enfants ainsi que l'avait ordonné Uther. Avec grande dévotion, le roi assista à la messe. Le comte de Cornouailles, Gorlois, et de nombreux chevaliers étaient à ses côtés. La joie régnait dans la ville à cause de la présence d'Uther. Une fois la messe chantée, ils affluèrent dans la salle du banquet. Des trompettes sonnèrent. Ils dressèrent les tables. Tous les convives se mirent à manger et à boire, la joie régnait parmi eux. Le roi Uther était assis sur son trône ; en face de lui se trouvaient le comte de Cornouailles Gorlois, un chevalier vraiment admirable, et sa noble femme. Lorsque tous les nobles gens furent attablés, le roi envoya ses messagers auprès de la belle Ygaerne, la femme du comte Gorlois, la plus belle des femmes. Il ne cessait de la regarder et de lui jeter des regards. Il envoya souvent ses échansons à sa table ; il riait sans cesse dans sa direction et lui faisait des oeillades. Elle le regardait tendrement mais je ne sais pas si elle l'aimait. Le roi ne fut ni raisonnable ni prudent : il ne put dissimuler ses pensées à ses gens. Le roi se comporta de cette façon si longtemps que Gorlois se mit en colère et se sentit furieux contre le roi à cause de sa femme. Le comte et ses chevaliers se levèrent brusquement et quittèrent les lieux avec la femme. Ces chevaliers étaient fort irrités. [9260]

Le roi Uther vit cette réaction et en fut désolé. Il fit aussitôt venir douze chevaliers avisés et les envoya à la poursuite de Gorlois, ce commandant d'hommes. Ils le prièrent de rapidement retourner auprès du roi, de se soumettre au souverain, de reconnaître sa faute, qu'il avait offensé le roi et qu'il avait quitté sa table, suivi par ses chevaliers, de façon fort inconvenante, car le roi était joyeux en sa compagnie et avait bu à la santé de sa femme. Et s'il refusait de revenir et de reconnaître son erreur, alors le roi le poursuivrait et imposerait son autorité : il le priverait de toute sa terre, de son argent et son or. Gorlois, ce seigneur de guerriers, entendit ces paroles et il répondit - c'était le plus furieux des comtes ! - : "Non, que le Seigneur, qui créa le lumière du jour, m'apporte son aide, jamais je ne retournerai pour invoquer sa paix. Jamais non plus, de mon vivant, ne pourra t-il déshonorer ma femme ! Et dîtes à Uther qu'il pourra me trouver à Tintagel. Et s'il s'y rend, alors je l'y attendrai. Il passera un moment difficile et connaîtra une grande infamie aux yeux de tous". [9279]

Le comte s'éloigna dans une grande colère. Il était terriblement furieux contre le souverain, il prononçait des menaces à l'égard du roi Uther et de tous ceux de son entourage. Mais il ne savait pas ce qui devait arriver peu après ! Le comte se rendit aussitôt en Cornouailles où il avait deux châteaux, extrêmement fortifiés. Ces nobles forteresses avaient appartenu à ses ancêtres. Il envoya à Tintagel sa charmante femme bien-aimée, la plus noble des femmes. Il l'enferma solidement dans le château. Ygaerne était désolée et attristée de voir que tant d'hommes allaient mourir à cause d'elle. Le comte envoya des messagers dans toute le G.Bretagne, il pria chaque homme brave qui voulait venir le rejoindre en échange d'or, argent, et autres bons présents, de se rendre rapidement à Tintagel. Il ordonna à ses propres chevaliers de venir aussitôt. Lorsque tous les nobles guerriers furent réunis, alors (le comte) eut une troupe de quinze mille (soldats) qui se mit à consolider Tintagel très fermement. Le château de Tintagel se dresse au bord de la mer, des falaises l'enserrent si bien que personne au monde ne peut le conquérir, à moins que la faim ne se fasse sentir à l'intérieur. Le comte s'en éloigna, suivi de sept mille hommes, et se rendit à un autre château qu'il fortifia très solidement. Il laissa sa femme à Tintagel avec dix mille hommes. Il suffisait aux chevaliers, de jour et de nuit, de garder la porte du château et de dormir en toute sérénité. Le comte tenait l'autre château aidé de son frère. [9309]

Uther apprit ces nouvelles, le roi était inflexible ; il apprit que Gorlois, son comte, avait rassemblé ses troupes et voulait déclarer une guerre féroce. Le roi convoqua son armée dans tout le pays, dans tout le territoire qu'il détenait. Des hommes de toute origine se mirent en route ensemble, vinrent rejoindre le souverain à Londres. Uther Pendragon quitta la ville de Londres. Avec ses chevaliers, il progressa sans hésitation, jusqu'en Cornouailles. Ils passèrent par dessus la rivière qui se nomme "Tamar" puis marchèrent sur la forteresse où ils savaient que se trouvait Gorlois. Ils assiégèrent le château avec grande hostilité ; ils lancèrent plusieurs violents assauts. Ils s'affrontèrent en bondissant et des hommes tombèrent morts. Le roi et ses chevaliers assiégèrent le château pendant sept nuits entières. Ses hommes souffrirent, il ne parvint à avoir aucun avantage sur le comte et cette immense bataille dura toute la semaine. Uther se rendit compte qu'il ne parvenait à rien. Il se demandait sans cesse ce qu'il pouvait bien faire car Ygaerne lui était aussi chère que sa propre vie tandis que Gorlois était l'homme qu'il détestait le plus dans son pays. Tout, en ce royaume terrestre, était un martyre pour lui car il ne parvenait à assouvir aucun de ses désirs. [9334]

Il y avait alors, dans l'entourage du roi, un très noble vieillard. C'était un guerrier très puissant, au jugement très avisé. Il s'appelait Ulfin et la sagesse l'habitait. Le roi leva le menton et regarda Ulfin : il se lamentait beaucoup car son esprit était troublé. Alors Uther Pendragon dit au chevalier Ulfin : "Ulfin, conseille moi ou je serai bientôt totalement mort. Je désire si ardemment la belle Ygaerne que je ne peux plus vivre. Parle en toute confiance, cher Ulfin, je suivrai tes bons conseils, quels qui soient". Alors Ulfin répondit au roi et lui dit ces paroles : "Voilà que j'entends un roi dire une chose bien étrange ! Tu aimes Ygaerne mais tu gardes cet amour secret. Tu es attaché à cette femme et tu détestes son époux. Tu ravages son territoire, tu le prives de tous ses biens, tu menaces de le tuer et de réduire toute sa famille à néant ! Penses-tu gagner Ygaerne par tant de violence ? Alors elle agirait comme aucune femme au monde : elle trouverait les douceurs de l'amour dans l'effroi absolu. Si tu aimes Ygaerne, tu ne devrais pas le faire savoir ; tu devrais lui envoyer, rapidement, de l'argent et de l'or et la courtiser avec habileté et belles promesses. Et pourtant, même en agissant de la sorte, je doute que tu puisses la gagner car Ygaerne est une femme très droite et très fidèle, tout comme l'étaient sa mère et d'autres (femmes) de sa famille. Je te le dis franchement, très cher roi, tu devrais t'y prendre autrement si tu veux la gagner. Hier, en effet, un vénérable ermite vint me voir et jura sur sa tête

qu'il connaissait Merlin et l'endroit où ce dernier dort chaque nuit à la belle étoile. Merlin lui a souvent parlé et raconté des histoires. Et si par quelque astuce, nous pouvions trouver Merlin, alors tu pourrais obtenir tout ce que tu désires". Alors Uther Pendragon se sentit mieux et répondit : "Ulfin, tu as bien parlé. Je te remettrai trente ares de terre si tu trouves Merlin et fais ainsi ma volonté". Ulfin erra parmi les soldats et chercha dans toute l'armée. Au bout d'un moment, il trouva l'ermite et l'amena rapidement auprès du roi. Et le souverain promit (à l'ermite) sept ares de terre s'il pouvait lui amener Merlin. [9377]

L'ermite prit la direction de l'ouest, arriva dans un désert, une grande forêt dans laquelle il avait vécu de très nombreuses années et dans laquelle il avait souvent rencontré Merlin. Dès que l'ermite y pénétra, il trouva Merlin sous un arbre qui l'attendait avec grande impatience. (Merlin) vit l'ermite arriver, comme il l'avait bien souvent fait, et courut à sa rencontre. Tous les deux étaient heureux de se retrouver : ils s'étreignirent, s'embrassèrent et parlèrent comme de vieux amis. Puis Merlin dit - la sagesse l'habitait - : "Dis-moi, mon cher ami, pourquoi n'as-tu pas voulu me dire, pour rien au monde, que tu allais rejoindre le roi ? Mais j'ai su, dès que tu m'as manqué, que tu étais allé rejoindre le roi Uther. J'ai su ce que le roi te disait et qu'il t'offrait une parcelle de sa terre si tu me conduisais auprès du roi Uther. Puis Ulfin t'a cherché, amené au roi et aussitôt Uther Pendragon lui a remis une terre de trente ares et t'a promis sept ares de terre. Uther désire ardemment, au plus haut point, la belle Ygaerne, la femme de Gorlois. Mais d'ici la fin des temps, il ne parviendra jamais à la gagner sauf s'il suit mon stratagème. Car il n'y a pas femme plus fidèle sur cette terre. Et pourtant, il obtiendra la belle Ygaerne et il engendrera celui qui dominera un vaste (territoire). [9404]

Il procréera un homme tout à fait extraordinaire ; jusqu'à la fin des temps, il ne mourra jamais. Sa gloire persistera tant que ce monde existera. Il régira les chevaliers de Rome. Tous ceux qui vivent en G.Bretagne lui obéiront. Les poètes chanteront sa gloire ; de nobles trouvères se nourriront de sa chair et les guerriers s'enivreront en buvant son sang. De ses yeux s'échapperont des étincelles ; chaque doigt de sa main sera une lame d'acier tranchante. Des murs de pierre s'écrouleront devant lui. Les guerriers trembleront et leurs bannières tomberont ! Ainsi pendant de nombreuses années, il parcourra le monde, conquérra des nations et imposera ses lois. Voilà les signes distinctifs du fils qui naîtra d'Uther Pendragon et d'Ygaerne. Ce discours est entièrement un secret car ni Ygaerne ni Uther ne savent pour l'instant qu'Uther Pendragon va engendrer un tel fils puisqu'il n'est pas encore conçu celui qui dominera tous ces peuples. Mais, seigneur," ajouta Merlin, "tu souhaites que j'aille rejoindre la troupe du roi. Je vais obéir à ton commandement, partir maintenant et marcher jusqu'à Uther Pendragon par affection pour toi. Et tu auras la terre qu'il t'a promise". Ainsi parlèrent-ils et l'ermite se mit à pleurer. Lorsqu'ils se séparèrent, il l'embrassa tendrement. [9430]

Merlin progressa vers le sud, il connaissait bien la région. Il marcha vite vers l'armée du roi. Dès qu'Uther le vit, il se précipita vers lui et ainsi parla Uther Pendragon : "Merlin, tu es le bienvenu ! Je remets entre tes mains la direction de mon royaume afin que tu me conseilles dans cette situation difficile". Uther lui dit tout ce qu'il désirait, qu'Ygaerne était pour lui la femme à laquelle il tenait le plus au monde et que Gorlois, son époux, était l'homme qu'il détestait le plus. "Et à moins d'avoir ton conseil, tu me verras mort d'ici peu". Alors Merlin répondit : "Fais venir Ulfin maintenant, remets lui vingt ares de terre et donne à l'ermite ce que tu lui as promis. Je ne veux ni terre, ni argent ni or car je suis le meilleur conseiller qui soit et si je désirais des biens alors mon talent diminuerait. Mais tous tes désirs seront entièrement exaucés car je connais des pratiques de magie qui te plairont ; tu vas ressembler en tous points au comte : ta voix, ton comportement parmi tes hommes, ton cheval, tes vêtements ; et tu monteras à cheval comme lui. Lorsqu'Ygaerne te verra, son coeur se réjouira. Elle se trouve solidement retranchée à Tintagel. Il n'existe, nulle part, d'homme si noble, si supérieur aux autres qu'il puisse enfoncer les portes de Tintagel à moins qu'elles ne soient forcées par la faim et la soif. Je veux te dire la vérité. Tu ressembleras en toutes choses au comte, je serai semblable à Britael, un chevalier très hardi qui est le sénéchal du comte. Jurdan est son chambrier, il est très bien entraîné. Je vais, sans tarder, donner les traits de Jurdan à Ulfin. Tu seras le seigneur, je serai Britael, ton sénéchal, et Ulfin sera Jurdan, ton chambrier. Nous partirons dès ce soir. Où que je te conduise, tu devras agir selon mon conseil. Voilà, ce soir, cinquante chevaliers, armés de lances et de boucliers, se posteront autour de ta tente afin que pas un être vivant ne puisse approcher. Et si un homme avance, qu'on le décapite. Car ces chevaliers, tes nobles soldats, diront que tu as eu une saignée et que tu te reposes sur ton lit". [9471]

Ce plan fut aussitôt appliqué. Le roi partit - rien ne fut dévoilé - et fut accompagné d'Ulfin et de Merlin. Ils suivirent la route qui menait directement à Tintagel. Ils arrivèrent devant la porte du château et s'écrièrent, sur un ton familier, "Retirez le verrou de cette porte ! Votre seigneur est revenu accompagné de Britael, son sénéchal, et de Jordan, le chambrier. Nous avons voyagé toute la nuit". Le portier largement répandit la nouvelle, les chevaliers se précipitèrent en haut des murs, parlèrent avec Gorlois et le reconnurent avec certitude. Les chevaliers se hâtèrent, relevèrent la porte du château et le laissèrent entrer - ils oublièrent tout souci à ce moment et s'attendaient probablement à connaître une très grande joie. Par cette ruse, ils avaient fait entrer Merlin et avait le roi Uther en leur possession. Ils avaient aussi fait entrer son bon guerrier, Ulfin. La Dame apprit rapidement que son mari était arrivé en compagnie de ses trois hommes. Ygaerne vint à la rencontre du comte et prononça ces paroles charmantes : "Bienvenue, seigneur bien-aimé. Et bienvenue, Jordan et Britael. Avez vous réussi à vous éloigner du roi sans dommage ?". Alors Uther répondit comme s'il était véritablement Gorlois : "Uther Pendragon a une immense armée. Je me suis faufilé dans la nuit car je me languissais de toi, qui es la femme que j'aime le plus. Va dans la chambre et fais préparer mon lit. Je vais me reposer toute cette nuit et tout demain pour le plaisir de mes soldats". [9501]

Ygaerne alla dans la chambre et lui fit préparer un lit. Sur cette couche digne d'un roi, furent étalées de riches couvertures. Le souverain la regarda avec satisfaction puis s'étendit et Ygaerne s'allongea à côté d'Uther Pendragon. Ygaerne croyait sincèrement qu'il s'agissait de Gorlois : en aucune façon, quelle qu'elle soit, ne reconnut-elle le roi Uther. Le roi l'approcha ainsi que tout homme doit le faire avec une femme et obtint la femme qu'il désirait le plus. Il engendra un homme merveilleux, le plus hardi de tous les rois qui soit jamais né et qui, sur cette terre, fut appelé Arthur. Ygaerne ne savait pas qui était dans ses bras : tout ce temps là, elle crut vraiment qu'il s'agissait du comte Gorlois. [9514]

Le jour ne tarda pas à pointer. Aussitôt, les chevaliers se rendirent compte que le roi avait quitté l'armée. Alors les chevaliers déclarèrent, mais c'était faux, que le roi s'était enfui, pris de lâcheté. Mais tout ce qu'ils dirent du roi n'était que mensonge. Ils discutèrent beaucoup au sujet d'Uther Pendragon. Alors les comtes et les guerriers de haut rang déclarèrent : "Lorsque Gorlois apprendra cela, saura que notre roi est parti et a abandonné son armée, alors il fera immédiatement armer ses chevaliers et sortira pour se battre ; il nous écrasera, nous massacrera avec ses farouches guerriers. Alors il aurait mieux valu que nous ne voyions jamais le jour ! Mais faisons sonner les trompettes et assemblons notre armée. Le valeureux Cador portera la bannière du roi. Brandissons haut dans le ciel le dragon devant cette noble troupe, marchons sur la forteresse avec nos vaillants hommes. Et le comte Aldolf sera notre chef, nous lui obéirons comme s'il était le roi. Nous combattrons ainsi en ordre contre Gorlois. Et s'il veut parlementer avec nous, invoquer la paix du roi et sceller un pacte d'amitié avec nous alors nous partirons d'ici avec les honneurs car nos descendants ne pourront pas nous reprocher de nous être enfuis par couardise". [9540]

Tous les hommes de la nation approuvèrent ce plan. Ils sonnèrent les trompettes, assemblèrent la troupe, brandir le dragon - la meilleure des banières qui soit. Les hommes valliants et les guerriers hardis, en très grand nombre, passèrent leur bouclier en bandouillère puis marchèrent sur le château dans lequel se trouvaient Gorlois et ses hommes valeureux. (Gorlois) fit sonner des trompettes, rassembla son armée. (Les guerriers) bondirent sur leur destrier et au galop - ces chevaliers étaient plein d'énergie - sortirent par la porte du château. La bataille s'engagea aussitôt, ils se battirent vivement ! Les hommes voués à la mort s'effondrèrent, terrassés ! Il y eut beaucoup de sang versé, le malheur était parmi le peuple ! Au coeur de la bataille, en effet, le comte Gorlois fut tué. Alors ses hommes se mirent à fuir et les autres les poursuivirent. Ils parvinrent au château et entrèrent en forçant l'entrée. Les deux armées ne tardèrent pas à être toutes les deux à l'intérieur et le combat dura toute la journée. Avant la tombée de la nuit, le château fut pris. Il ne se trouva pas un écuyer si misérable qu'il n'agit comme un très bon guerrier. [9559]

Ils apprirent vite à Tintagel, au château où se trouvait Uther, que leur seigneur, le comte Gorlois, avait, selon toute vraisemblance, été tué et que tous ses soldats et son château avaient été pris. Le roi entendit ces nouvelles tandis qu'il reposait amoureusement et il bondit hors de la chambre tel un lion. Alors le roi Uther dit, inquiet de ces nouvelles : "Du calme, du calme, chevaliers qui êtes dans la grand'salle ! Me voici en personne, moi votre seigneur Gorlois et voilà Jordan, mon chambrier, et Britael, mon sénéchal. En compagnie de ces deux chevaliers je me suis eclipsé de la bataille et nous sommes arrivés ici. Nous n'avons pas été tués. Mais je vais partir sur le champ et assembler mon armée. Mes chevaliers et moi-même, nous rendrons cette nuit dans une ville où nous rencontrerons Uther Pendragon et, à moins qu'il ne parle de réconciliation, je me vengerai de lui dignement ! Défendez fermement ce château et priez Ygaerne de ne pas trop se lamenter. Je pars maintenant, tout de suite. Bonne nuit à vous tous". [9578]

Merlin et le chevalier Ulfin partirent les premiers et Uther Pendragon quitta la ville de Tintagel après eux. Ils progressèrent, sans s'arrêter, toute la nuit jusqu'au lever du jour. Lorsque le roi arriva à l'endroit où se trouvait son armée, Merlin lui avait restitué ses traits à la perfection, aussi les chevaliers reconnurent leur souverain : nombreux furent les Bretons qui furent remplis de joie ! L'allégresse se répandit en G.Bretagne : on sonna du cor, les jongleurs se mirent à chanter. Tous les chevaliers, vêtus de riches atours, se réjouirent. Le roi demeura trois jours à cet endroit et le quatrième, il partit pur Tintagel. Il envoya au château ses meilleurs chevaliers porter ses salutations à Ygaerne, la plus noble des femmes. Il lui fit rapporter, comme signe, ce dont ils avaient parlé au lit. Il lui ordonna de livrer le château immédiatement - il n'y avait pas d'autre issue puisque son seigneur était mort. Ygaerne croyait toujours que feu le comte était parti rejoindre ses hommes et refusait de croire que le roi Uther soit jamais venu là. Des chevaliers se réunirent et débattirent. Ils décidèrent de ne plus défendre le château. Ils abaissèrent le pont-levis et livrèrent (la forteresse) à Uther Pendragon. Alors tout ce royaume fut à nouveau entre les mains d'Uther. [9603]

Uther épousa Ygaerne, à cet endroit même, pour en faire sa reine. Ygaerne attendait un enfant d'Uther avant son mariage, conséquence de la magie de Merlin. Le moment choisi arriva et Arthur vint au monde. A son arrivée sur terre, des fées se saisirent de lui et charmèrent l'enfant grâce à un puissant enchantement. Elles lui accordèrent la force pour qu'il soit le meilleur des chevaliers ; elles lui accordèrent un second don : il deviendrait un roi puissant. En troisième don, elles lui accordèrent de vivre longtemps. Elles donnèrent à ce petit prince de si bonnes qualités qu'il fut le plus généreux de tous les hommes vivants. Voilà ce que les fées lui donnèrent et l'enfant prospéra en conséquence. Après Arthur, naquit la bienheureuse demoiselle ; elle fut nommée Anna, cette bienheureuse demoiselle, et, plus tard, épousa Lot, le maître du Lothian . Elle fut la reine des habitants des Lothians. [9619]

Uther vécut longtemps ici, dans une grande joie, une bonne paix et beaucoup de calme, seul maître dans son royaume. Lorsqu'il fut vieux, alors il tomba malade. Cette maladie le cloua au lit, Uther Pendragon était souffrant et il fut malade pendant sept ans. Alors les Bretons s'enhardirent, ils agirent souvent vilainement simplement parce qu'ils ne craignaient plus (l'autorité royale). Octa, le fils d'Hengest, était toujours emprisonné à Londres. Il avait été capturé à York en compagnie de ses compagnons Ebissa et Ossa. Douze chevaliers les gardaient jour et nuit mais ils étaient las de devoir rester à les surveiller à Londres. Octa entendit parler de la maladie du roi et parla aux gardiens qui devaient veiller sur lui : "Ecoutez, chevaliers, ce que j'ai à vous dire. Nous sommes ici à Londres, solidement enfermés et il y a bien longtemps que vous nous gardez. Nous aimerions bien mieux vivre en Saxe, riches et puissants, que de rester ici dans la misère. Si vous acceptiez de faire ce que je demande, je vous donnerais des terres, de l'or et de l'argent en quantité, si bien que vous pourriez, à jamais, être riches et puissants dans ce pays et vivre votre vie selon votre désir. Car vous n'obtiendrez jamais de riches présents du roi Uther car il va bientôt mourir et tous ses hommes l'abandonnent. Alors vous n'aurez aucune récompense. Mais réfléchissez, hommes valeureux, ayez pitié de nous , pensez à ce que vous espéreriez si vous étiez privés de liberté ainsi et si vous pouviez vivre heureux dans votre pays". [9648]

Octa parla ainsi à maintes reprises avec ces chevaliers. Ces derniers se mirent à discuter à voix basse, se consultèrent. Ils annoncèrent à Octa très tranquillement : "Nous allons faire ce que tu désires". Ils prêtèrent serment, jurant de ne pas le tromper. C'était une nuit où le vent était favorable. Les chevaliers sortirent à minuit et conduisirent Octa, Ebissa et Ossa. Ils descendirent la Tamise, s'engagèrent dans la mer et s'éloignèrent vers la Saxe. Leurs parents affluèrent à leur rencontre. Ils parcoururent à volonté le pays, on leur donna des terres, on leur donna de l'argent et de l'or. Octa se demanda ce qu'il pouvait faire. Il décida de revenir ici et de venger les offenses infligées à son père. Ils assemblèrent une troupe innombrable ; (une armée) menaçante gagna la mer. Ils arrivèrent en Ecosse, se ruèrent sur le rivage et mirent le feu (au pays). Les Saxons étaient cruels, ils tuèrent les Ecossais, détruisirent par le feu trois mille villes. Ils tuèrent un nombre incalculable d'Ecossais. Le roi Uther apprit ces nouvelles. Uther fut très affligé, profondément attristé. [9671]

Il envoya un message au Lothian, à ses chers amis de là-bas, salua Loth, son gendre, lui souhaitant une bonne santé, et lui ordonna de prendre en charge tout son royaume, chevaliers et hommes libres, de les traiter avec largesse et les mener au combat, ainsi que le veut la coutume du pays. Et il ordonna à ses chers chevaliers d'obéir à Loth, avec sincérité, comme s'il était le roi. Parce que Loth était un très bon chevalier, qu'il avait participé à de nombreux combats, qu'il était généreux envers tous, (le roi) lui confia la direction de tout notre pays. Octa menait de grandes hostilités, Loth ne cessait de le combattre, il remportait souvent des possessions puis les perdait souvent. Les Bretons étaient fort prétentieux, d'une grande suffisance et n'avaient plus aucune crainte à cause de l'âge du roi. Ils n'avaient que mépris pour le comte Loth et ne se souciaient pas de ses ordres et ne s'entendaient sur rien : la situation ne pouvait pas être pire ! Il fut bientôt rapporté au roi souffrant que ses vassaux n'avaient que mépris pour Loth. [9690]

Je vais vous raconter, dans mon récit, comment le roi Uther se conduisit. Il déclara qu'il voulait se rendre auprès de son armée et voir de ses propres yeux qui se comportait bien là-bas. Il fit fabriquer une solide litière puis leva une armée dans tout son royaume, demandant à chaque homme, sous peine de mort, sous peine de perdre leur vie et leurs membres, de venir au plus tôt le rejoindre pour venger le déshonneur subi par le roi. "Et s'il se trouve un homme qui ne vienne pas rapidement, je le réduirai aussitôt à néant soit en le transperçant, soit en le pendant". Ils se hâtèrent de gagner la cour, ni les gros ni les maigres n'osèrent rester à l'écart. [9702]

Le roi rassembla immédiatement tous ses chevaliers et marcha, sans plus attendre, sur la ville de Verolam. Uther Pendragon encercla la ville de Verolam. Octa était à l'intérieur avec tous ses hommes . Verolam était, à cette époque, une cité des plus nobles. Saint Alban fut tué à cette endroit, c'est là qu'il perdit la vie. La ville fut ensuite détruite et un grand nombre de gens furent massacrés. Uther était à l'extérieur et Octa à l'intérieur (de Verolam). L'armée d'Uther se dirigea vers les remparts et les puissants guerriers donnèrent l'assaut. Ils ne parvinrent pas à faire bouger une seule pierre du mur ni à endommager la muraille en dépit de maints efforts. Le fils d'Hengest, Octa, fut fort content lorsqu'il vit les Bretons s'éloigner des murs et retourner, penauds, à leurs tentes. [9717]

Alors Octa dit à son compagnon Ebissa : "Uther, l'estropié, vient d'arriver à Verulam. Il veut se battre contre nous depuis sa litière. Il pense nous écraser avec ses béquilles ! Mais, demain, lorsqu'il fera jour, nos soldats se lèveront, ouvriront les portes de notre château et nous nous emparerons de tout ce royaume. Nous n'allons pas rester enfermés ici simplement à cause d'un estropié ! Nous sortirons, montés sur nos bons destriers, attaquerons Uther et écraserons ses gens. Car tous ceux qui sont venus ici sont voués à la mort ! Et nous capturerons cet homme infirme, l'enchaînerons et garderons ce misérable jusqu'à ce qu'il meure ! Tel sera le remède pour ses membres qui ne répondent plus tandis l'acier tranchant viendra redresser ses os !". Ainsi s'adressa Octa à son compagnon Ebissa mais les événements furent bien différents de ce qu'ils avaient prévu ! [9733]

Le lendemain, à l'aube, ils ouvrirent les portes. Octa, Ebissa et Ossa se levèrent, donnèrent l'ordre à leurs chevaliers de se préparer pour la bataille, de déverrouiller leurs larges portes et ouvrir tout grand la cité. Octa, en personne, sortit suivi d'une troupe importante. Ils connurent le malheur à cet endroit ! Uther, lui-même, s'aperçut qu'Octa venait vers lui dans l'intention d'écraser son armée. Alors Uther s'écria d'une forte voix : "Où êtes vous, Bretons, mes vaillants chevaliers, le jour est arrivé où le Seigneur va peut-être m'aider - Octa va l'apprendre, lui qui a promis de me passer les fers ! Pensez à vos ancêtres, à leur grande valeur au combat. Songez à la splendeur dans laquelle je vous ai entretenus ! Ne laissez jamais ces païens bénéficier de vos maisons ni ces chiens enragés s'emparer de vos terres ! Et je vais demander en prière au Seigneur, qui créa la lumière du jour, et à tous les saints qui trônent haut dans le ciel que je puisse être assisté sur ce champ (de bataille). Maintenant allons rapidement à leur rencontre. Que le Seigneur vous aide, que le Dieu tout puissant protège mes chevaliers !". [9754]

Les chevaliers chargèrent ! des lances volèrent ! de larges lances se brisèrent ! des boucliers vibrèrent ! des heaumes rompirent ! des hommes tombèrent ! Les Bretons furent valeureux et actifs durant le combat, les chiens païens s'écroulèrent au sol. Octa, Ebissa et Ossa furent tués. Dix-sept mille (païens) sombrèrent en Enfer. Beaucoup d'entre eux s'échappèrent vers le nord ; toute la journée, les soldats d'Uther tuèrent et capturèrent tous ceux dont ils s'approchaient. Lorsque le soir fut tombé, la victoire était totale. Alors les guerriers chantèrent à pleins poumons et prononcèrent ces paroles dans leurs chants de joie : "Uther Pendragon est arrivé à Verolam, il a écrasé Octa, Ebissa et Ossa, leur a fait subir une terrible loi si bien que ceux de leur race se l'entendront raconter et pourront en composer des chansons en Saxe !". [9772]

Alors Uther fut heureux, enchanté. Il s'adressa à ses vassaux, qui étaient chers à son coeur, et ainsi parla le vieux Uther : "Ces Saxons m'ont traité avec mépris, ils se sont moqué de ma maladie en des termes dédaigneux parce que j'ai été transporté ici en litière, ils ont ajouté que j'étais mort et que mes hommes étaient endormis. Un grand miracle est arrivé dans ce royaume car ce roi mort a tué ces vivants ! il en a poussé d'autres devant lui comme le vent ! Que la volonté du Seigneur soit désormais faite !". [9784]

Les Saxons, qui avaient battu en retraite, s'enfuirent avec grande précipitation et allèrent en Ecosse où ils prirent le noble Colgrim comme roi. C'était un parent d'Hengest, un des préférés de ce dernier. Et Octa, tant qu'il était en vie, l'aimait. Les Saxons étaient grandement abattus, ils se réunirent en Ecosse où ils couronnèrent roi le noble Colgrim ; puis ils assemblèrent une armée qui provenait de tout le territoire et déclarèrent qu'ils allaient tuer Uther Pendragon, à Winchester, en ayant recours à des pratiques sournoises. Quel malheur qu'il dut en être ainsi ! Les Saxons dirent au cours de leurs débats : "Choisissons six chevaliers, des hommes avisés et braves, des espions habiles, et envoyons les à la cour déguisés en mendiants, faisons en sorte qu'ils vivent à la cour, auprès du grand roi, parmi les gens de cour tous les jours. Qu'ils aillent à l'hospice du roi, faisant semblant d'être infirmes et qu'ils cherchent précisément à savoir, au milieu de la foule des indigents, si on peut approcher Uther Pendragon à Winchester, par quelque stratagème, et tuer le roi par complot". Alors leur désir serait entièrement exaucé : ils ne craindraient plus la race de Constantin ! [9809]

Alors ces guerriers, chevaliers à l'extrême malveillance, revêtirent une tenue de mendiant. Ils partirent, en plein jour, pour la cour du roi où ils firent du mal. Ils se rendirent à la distribution des aumônes faisant semblant d'être infirmes. Ils écoutèrent avec attention ce qui se disait au sujet de la maladie du roi et comment on pouvait assassiner le roi. Alors, ils rencontrèrent un chevalier qui arrivait directement de chez le roi. C'était un parent d'Uther, un homme que ce dernier aimait beaucoup. Ces traîtres s'adressèrent au chevalier en des termes amicaux depuis l'endroit où ils étaient assis dans la rue : "Seigneur, nous sommes bien misérables en ce royaume terrestre ! Autrefois, on nous tenait pour aisés jusqu'à ce que les Saxons nous aient ruinés en nous dépouillant de tout et en s'emparant de tous nos biens. Maintenant nous chantons des prières pour le roi Uther. Nous n'avons pas de nourriture lorsqu'arrivent les repas : nos assiettes ne comportent ni viande, ni poisson et nous n'avons, pour toute boisson, que de l'eau, de l'eau uniquement - c'est pourquoi nous sommes aussi maigres". [9828]

Le chevalier entendit ces paroles, il fit demi-tour et alla voir le roi qui se reposait dans sa chambre. Il dit au roi : "Seigneur, porte-toi bien ! Il y a, au dehors, six hommes, tous semblables. Ils se connaissent et sont vêtus de poils. Autrefois, c'était des guerriers aisés en ce royaume terrestre, ils avaient de nombreux biens. Les Saxons les ont maintenant réduits à la misère si bien qu'on les tient, partout, pour des indigents. Ils n'ont rien d'autre à table que du pain sec et rien à boire si ce n'est de l'eau ! Ils passent ainsi leur vie parmi tes gens et prient pour que Dieu te permette de vivre longtemps". Alors le roi Uther dit : "Fais les entrer ; je vais les vêtir et les nourrir par amour pour le Seigneur jusqu'à la fin de ma vie". [9844]

Les traîtres entrèrent dans la chambre, le roi leur fit apporter de la nourriture, le roi leur fit apporter des vêtements et le soir, chacun d'entre eux se vit accorder un lit. Et tous, de leur côté étudiaient avec attention les moyens de tuer le roi. Mais ils ne parvenaient pas, par quelque moyen que ce soit, à assassiner le souverain ni à l'approcher d'une façon ou d'une autre. Puis, un jour, il se mit pleuvoir. Alors un docteur, qui se trouvait dans la chambre où reposait le roi, s'adressa à un chambellan et lui ordonna de se rendre immédiatement au puits qui était situé près de la grand'salle et d'y poster un jeune serviteur sérieux pour le protéger de la pluie. "Car le roi n'aime rien de plus au monde que de l'eau de source fraîche : c'est la meilleure boisson qui soit pour sa maladie". [9859]

Les six chevaliers entendirent aussitôt ces paroles. Ils étaient rapides à commettre le mal, sortirent pendant la nuit et allèrent directement au puits où ils commirent l'irréparable. Ils tirèrent six fioles, remplies de poison, des liquides les plus mortels. Le puits fut alors, immédiatement, entièrement contaminé. Les traîtres furent heureux comme jamais dans leur vie. Ils s'éloignèrent car ils n'osaient pas rester là ! Peu après, deux chambellans arrivèrent, ils portaient deux bols en or. Ils arrivèrent au puits, remplirent leurs bols puis retournèrent auprès du roi Uther, entrèrent dans la chambre où ce dernier reposait. "Porte-toi bien, Uther ! Nous venons t'apporter ce que tu as demandé peu avant : de l'eau de source fraîche. Bois la avec plaisir". Le roi se leva et s'assit sur son lit. Il but de l'eau et peu après se mit à suer, son coeur faiblit, son visage noircit, son ventre enfla, le roi perdit connaissance. Il n'y avait pas d'autre issue : le roi Uther mourut. Tous ceux qui burent de cette eau moururent. Lorsque les serviteurs virent le grand malheur qui était arrivé au roi et aux hommes du roi qui avaient été tués par le poison, alors des chevaliers se précipitèrent au puits qu'ils bouchèrent, en travaillant avec acharnement. Ils édifièrent une grande butte avec de la terre et des pierres. Puis les nobles serviteurs, une foule innombrable, prirent le roi défunt et ces hommes, au coeur solide, se rendirent à Stonehenge où ils l'enterrèrent aux côtés de son cher frère. Ils reposent là tous les deux, côte à côte. [9892]

Puis tous les grands du royaume se réunirent, comtes, guerriers et hommes de lettres. Ils allèrent à Londres pour une grande assemblée. Les nobles chevaliers décidèrent d'envoyer des messagers en Bretagne, au delà de la mer, pour aller chercher celui qui surpassait tous les jeunes gens de la terre à cette époque, qui s'appelait Arthur et qui était le meilleur de tous les chevaliers et pour lui dire aussi de se rendre rapidement dans son royaume. Car Uther Pendragon était mort, tout comme Aurélien avant lui. Uther Pendragon n'avait pas d'autre fils qui puisse, après lui, imposer sa loi aux Bretons, les diriger avec honneur et gouverner ce royaume. Car les saxons étaient toujours dans ce pays, le hardi Colgrim et plusieurs milliers de ses compagnons qui causaient souvent de sérieux dommages à nos Bretons. [9908]

Les Bretons aussitôt choisirent trois évêques et sept cavaliers, très avisés. Ils partirent pour la Bretagne et arrivèrent très vite auprès d'Arthur. "Nous te saluons, Arthur, le plus noble des rois ! Uther t'a envoyé son salut sur son lit de mort. Il a ordonné que tu maintiennes de justes lois en G.Bretagne, que tu défendes notre royaume comme tout bon souverain, que tu défasses tes ennemis et les chasses du pays. Et il pria le doux fils de Dieu de te venir en aide pour que tu puisses bien agir et recevoir le pays de Dieu. Car Uther Pendragon est mort et tu es son fils Arthur. Et Aurélien, son frère est également mort". Ainsi parlèrent-ils tandis qu'Arthur était assis sans rien dire. Un moment, il était livide, son teint était très pâle. Le moment suivant, il était écarlate et profondément ému. Lorsque ses paroles éclatèrent, elles étaient bonnes. Arthur, ce noble chevalier, dit aussitôt : "Seigneur Jésus, fils de Dieu, apporte nous ton aide maintenant : que je puisse respecter les lois de Dieu toute ma vie". [9929]

Arthur avait quinze ans lorsqu'on lui apprit cette nouvelle ; toutes ces années avaient été bien employées car il était fort instruit. Arthur appela immédiatement ses chevaliers, ordonna à tous les hommes de préparer leur armement, de seller leurs chevaux en toute hâte car il souhaitait aller en G.Bretagne. Les nobles chevaliers gagnèrent la mer au Mont Saint Michel en compagnie d'une troupe immense. Les flots les conduisirent jusqu'au rivage et ils débarquèrent à Southampton. Le puissant Arthur se rendit directement à Silchester qui lui semblait un bon endroit : c'est là que se touvait assemblée l'armée des vaillants Bretons. Grande était la joie lorsqu'Arthur arriva dans la ville : les trompettes retentirent et l'allégresse régna parmi les hommes. Ils firent du jeune Arthur leur roi. Lorsqu'Arthur devint roi - prêtez l'oreille à cette chose extraordinaire - il fut généreux envers tout homme vivant, l'un des meilleurs chevaliers et d'un courage hors du commun ! Il fut un père pour les jeunes, un réconfort pour les vieux, implacable avec les imprudents. Il détestait le mal, et, le bien lui était cher. Tous ses échansons, chambellans et serviteurs arboraient de l'or aux doigts, portaient des étoffes tissées d'or à la fois comme vêtements et au lit. Pas un de ses cuisiniers n'était à la fois un bon guerrier, pas un écuyer n'était aussi un valeureux chevalier ! Le roi entretenait tous ses gens dans la joie. C'est ainsi qu'il défit tous les rois : par une force terrible et par la générosité. Telles étaient ses qualités, tout le monde les connaissait. Arthur était maintenant un bon roi ; ses hommes l'aimaient et cela se savait bien au delà de son royaume. [9961]

Le roi tint une grande assemblée à Londres. Tous ses chevaliers, hommes riches et pauvres, vinrent pour honorer le roi. Lorsqu'ils furent tous arrivés - une foule immense - Arthur se leva, le plus noble des rois, et fit apporter devant lui des reliques très précieuses. Le roi s'agenouilla trois fois devant elles. Ses gens ne savaient pas ce qu'il allait dire. Arthur leva la main droite et prêta serment : il jura que jamais, de son vivant, quel que soit le conseil des hommes, les Saxons ne vivraient heureux en G.Bretagne, ne posséderaient des terres ou seraient respectés. Mais il les refoulerait, car ils s'opposaient à lui et parce qu'ils avaient tué Uther Pendragon, le fils de Constance , ainsi que l'autre fils, son frère Aurélien. C'est pourquoi, c'était les hommes les plus haïs du pays. Arthur, aussitôt, appela ses chevaliers avisés. Que cela leur plaise ou non, ils jurèrent tous de rester fidèles à Arthur, de venger le roi Uther que les Saxons avaient tué là. Arthur envoya des lettres dans tout son territoire à la recherche de tous les chevaliers possibles, leur demandant de venir rejoindre le roi et leur disant qu'ils seraient traités avec affection dans le pays et récompensés de terres, argent et or. [9986]

Le roi partit avec une troupe immense. Il était à la tête d'une force impressionnante et marcha sur York. Où qu'il s'arrêtât pour la nuit, il prenait aussitôt, au matin, la direction de l'endroit où il savait trouver Colgrim et ses compagnons. Depuis qu'Octa avait été tué et privé de vie - c'était le fils d'Hengest qui venait de Saxe - Colgrim était le plus noble de ceux qui étaient arrivés de Saxe après Hengest, son frère Hors, Octa, Ossa, ainsi que leur compagnon Ebissa. A cette époque, Colgrim était le maître des Saxons, les gouvernait et les commandait avec une autorité féroce. La troupe qui accompagnait Colgrim était immense. Colgrim obtint des nouvelles du roi Arthur, apprit qu'il marchait dans sa direction et qu'il voulait le tourmenter. Colgrim se demanda ce qu'il pouvait faire et envoya une convocation à toute son armée, dans l'ensemble du territoire au nord. Tous les Ecossais se rassemblèrent, les Pictes et les Saxons s'unirent et des hommes de toutes origines suivirent Colgrim. Il partit à la rencontre d'Arthur, le plus noble des rois, à la tête d'une troupe immense. Il avait l'intention de tuer le roi dans son pays, de terrasser ses hommes, de s'emparer de tout ce royaume et d'abattre au sol le jeune Arthur. Colgrim partit avec son armée et progressa avec sa troupe jusqu'à une rivière. Celle-ci s'appelle "Douglas" et fut la tombe de guerriers ! Alors Arthur arriva pour le combattre, prêt au combat. Les armées engagèrent la bataille dans un large gué. Leurs braves champions attaquèrent avec vigueur. Ceux qui étaient voués à la mort, s'effondrèrent ! Une grande quantité de sang coula ! le malheur était partout ! des lances vibrèrent ! des hommes tombèrent ! [10020]

Arthur vit ce spectacle et en fut préoccupé. Arthur se demanda ce qu'il pouvait faire et battit en retraite dans une grande plaine. Lorsque ses ennemis crurent qu'il voulait s'échapper, alors Colgrim et toute sa troupe se réjouirent. Ils pensaient qu'Arthur avait battu en retraite par peur et ils traversèrent la rivière comme s'ils étaient fous. Lorsqu'Arthur vit que Colgrim était si près de lui et qu'ils étaient tous deux du même côté de la rivière, alors Arthur, le plus noble des rois, s'écria : "Voyez, mes Bretons, ici tout près de nous, nos ennemis mortels - Christ, anéantis les ! - le puissant Colgrim qui vient de Saxe. Ceux de sa race ont tué, dans ce pays, nos ancêtres. Mais maintenant, le jour, que le seigneur nous a réservé, est arrivé : il va perdre la vie ainsi que ses amis ou alors nous allons mourir. Nous ne voulons pas lui jeter un regard tant qu'il vit ! Les Saxons vont connaître le malheur et nous allons venger dignement nos parents". Arthur redressa son bouclier contre sa poitrine et se précipita tel le loup hurlant lorsqu'il sort du bois recouvert de neige et qu'il cherche à dévorer toutes les bêtes qu'il affectionne. Puis Arthur appella ses chers chevaliers : "Attaquons les avec impétuosité, tous ensemble chevaliers ! Nous allons tous triompher et ils s'écrouleront comme la forêt dont les grands arbres sont déracinés avec force par le vent furieux !". Trente mille boucliers chevauchèrent sur les collines et chargèrent les chevaliers de Colgrim si bien que la terre répondit en tremblant. De larges lances se brisèrent ! Des boucliers vibrèrent ! Les Saxons s'écroulèrent ! Colgrim s'en rendit compte et, le plus noble des hommes qui arrivèrent de Saxe, s'en affligea. Colgrim se mit à fuir à toute vitesse. Son cheval le porta solidement dans la rivière profonde et le sauva de la mort. Les Saxons commencèrent à se noyer, ils connurent le malheur ! Arthur tourna la pointe de sa lance et leur obstrua le gué. Sept mille Saxons se noyèrent à cet endroit. Certains errèrent comme la grue sauvage dans la bruyère lorsque son vol est entravé, que des faucons agiles la poursuivent et que des chiens vont à sa rencontre dans les roseaux. Alors, il n'y a plus aucune bonne issue pour elle, que ce soit sur terre ou dans l'eau. Les faucons la frappent violemment, les chiens la mordent et le volatile royal connaît la mort. Colgrim s'enfuit précipitamment jusqu'à York, conduisant son cheval à merveille. Il entra dans la ville où il se retrancha. Il avait, à l'intérieur, dix mille hommes, les meilleurs habitants qui soient et qui lui étaient fidèles. Arthur arriva par derrière, en compagnie de trente mille chevaliers. Ils allèrent droit sur York, suivis d'une très nombreuse troupe et assiégèrent Colgrim qui leur faisait front. [10075]

Sept nuits plus tôt, le noble Baldolf, le frère de Colgrim, était parti vers le sud et se trouvait au bord de la mer où il attendait Childric. Childric était alors un empereur très puissant. Il détenait la Germanie. Lorsque Baldolf apprit, à l'endroit où il était, au bord de la mer, qu'Arthur avait cerné Colgrim retranché dans York, Baldolf avait rassemblé sept mille hommes, de vaillants soldats, qui attendaient sur le rivage. Ils décidèrent de rebrousser chemin, de ne pas attendre Childric, et de partir pour York, combattre Arthur et anéantir tous ses gens. Baldolf jura, dans sa fureur, qu'il serait le fléau d'Arthur, qu'il s'emparerait de tout son royaume, en compagnie de son frère colgrim. Baldolf ne voulut pas attendre l'empereur Childric mais partit de cet endroit et avança toujours nord, jour après jour, suivi par ses vaillants hommes jusqu'à une forêt, une étendue sauvage éloignée d'une dizaine de kilomètres de l'armée d'Arthur. Fort de ses sept mille chevaliers, il avait projeté de fondre sur Arthur en pleine nuit, d'écraser ses hommes et de le tuer avant même que le roi ne s'en rende compte. Mais il en alla tout autrement, pas de la manière qu'il avait escomptée, car Baldolf avait dans sa troupe un chevalier breton. C'était un parent d'Arthur qui portait le nom de Maurin. [10100]

Maurin se déroba par la forêt, traversa les bois et les champs, arriva à la tente d'Arthur et aussitôt s'adressa au roi Arthur de la sorte : "Je te salue, Arthur, le plus noble des rois ! Je viens d'arriver ici et je suis un de tes parents. Baldolf vient d'arriver avec des guerriers très hardis. Il a dans l'idée, cette nuit, de te tuer, toi et tes chevaliers, de venger son frère, qui est grandement abattu. Mais Dieu, grâce à sa toute puissance, ne lui permettra pas. Envoie dès maintenant Cador, le comte de Cornouailles, et, avec lui, de valeureux chevaliers, forts et braves, en tout sept cents vaillants chevaliers. Je les renseignerai et leur expliquerai comment ils peuvent tuer Baldolf à la manière d'un loup". [10114]

Cador et tous ces chevaliers partirent si bien qu'ils arrivèrent tout près de l'endroit où Baldolf avait établi son campement. Ils se précipitèrent sur lui de toutes parts. Ils tuèrent, firent prisonniers tous ceux dont ils s'approchaient. En tout, il y eut neuf cents morts. Baldolf s'était éloigné pour être épargné. Il s'enfuit avec précipitation par la forêt, abandonnant à regret ses chers hommes. Il fuit tant vers le nord qu'il arriva juste à l'endroit où se trouvait Arthur - ce roi des plus merveilleux - et sa puissante armée, dans le champ, tout autour de York. Colgrim était dans la ville avec les Saxons et Baldulf se demanda ce qu'il pouvait faire, avec quel stratagème il pourrait pénétrer à l'intérieur et rejoindre son frère Colgrim, qui était l'homme vivant qui lui était le plus cher. Baldulf se rasa totalement la barbe et le menton ; il se donna l'allure d'un fou. Il se rasa la moitié de la tête et saisit une harpe. Dans son enfance, il savait très bien en jouer. Et avec sa harpe, il partit pour rejoindre la troupe du roi où il se mit à jouer et à faire de nombreux tours. Plus d'une fois, des hommes le frappèrent douloureusement avec des bâtons, plus d'une fois des hommes le frappèrent comme on le fait avec un fou. Tous ceux qui le rencontraient, le saluaient avec des moqueries. Ainsi personne ne sut, grâce à l'allure de Baldulf, que ce n'était pas un fou qui avait pénétré dans le camp. Il monta et descendit si longtemps que ceux qui étaient à l'intérieur se rendirent compte qu'il s'agissait de Baldulf, le frère de Colgrim. Ils lancèrent une corde, Baldulf la saisit fermement et ils hissèrent Baldulf jusqu'au moment où il fut dans la ville. C'est par ce stratagème que Baldulf entra dans la ville. Alors Colgrim, et tous ses chevaliers, se réjouirent et ils se mirent à menacer violemment le roi Arthur. Arthur n'était pas loin et observa cette attitude. Il entra dans une grande colère, ordonna aussitôt à tous ses braves chevaliers de s'armer. Il projetait de s'emparer de la ville par la force. [10154]

Alors qu'Arthur était sur le point d'assaillir le rempart, arriva à cheval le puissant Patrick, qui était un chevalier écossais. C'était un bel homme de cette contrée. Il s'adressa aussitôt au roi : "Je te salue, Arthur, le plus noble des Bretons. J'ai des nouvelles fraîches à te donner au sujet du féroce et puissant empereur Childric, un homme fort et vaillant. Il vient de débarquer dans un port d'Ecosse, il brûle les maisons et détient tout notre pays en son pouvoir. Il a une armée bien équipée, toute la puissance de Rome. Il dit en se vantant, alors qu'on lui sert du vin, que tu n'oses pas affronter ses assauts que ce soit en plaine, en forêt ou ailleurs. Et si tu lui fait front, il te passera les fers, anéantira tes gens et s'emparera de ton royaume". Arthur avait souvent connu des moments difficiles mais jamais celui là. Il se retira, non loin de la ville, appela des chevaliers pour un conseil dans cette situation critique, guerriers, comtes et les saints évêques. Il les pria de lui dire comment il pourrait conserver son honneur dans ce royaume avec son armée, combattre le fort et puissant Childric qui était en marche pour venir en aide à Colgrim. Alors les Bretons qui étaient là répondirent : "Partons directement pour Londres et laissons le suivre par derrière. Et s'il arrive, monté sur son cheval, il rencontrera le malheur ! Lui-même et son armée connaîtront la mort !". Arthur approuva les conseils de ses hommes et marcha jusqu'à Londres. [10183]

Colgrim était à York où il attendait Childric. Childric progressa à travers les régions du nord et prit possession d'une grande étendue du territoire. Il remit toute l'Ecosse à l'un de ses chevaliers et tout le Northumberland entre les mains de son frère. Il donna le Galloway et les Orcades à l'un de ses comtes. Quant à lui, il s'attribua tout le territoire qui s'étend ente l'Humber et Londres. Il n'avait nullement l'intention d'avoir pitié d'Arthur à moins qu'Arthur, le fils d'Uther, ne devienne son homme. Arthur était à Londres avec tous ses Bretons. Il convoqua toutes ses forces dans l'ensemble du pays, tous les hommes qui lui voulaient du bien, de venir de toute urgence à Londres. Le malheur régnait alors en Angleterre : il y avait des pleurs, des lamentations, une immense désolation. La famine et la discorde étaient à la porte de chacun ! [10199] Arthur envoya deux bons chevaliers par delà la mer, (au palais) de son parent Howel, un homme qui lui était très cher, qui était le maître de la Bretagne et un chevalier hors pair. Il lui demanda de venir rapidement ici, de prendre la mer pour venir aider la population car Childric s'était emparé d'une grande partie de son pays, Colgrim et Baldulf étaient ses alliés et avaient l'intention de chasser du pays le roi Arthur, de le priver de ce qui lui revenait de droit, de son royaume. Alors ceux de sa race seraient humiliés par d'indignes supplices, leur honneur serait perdu en ce royaume terrestre. Alors il aurait mieux valu que le roi ne vît jamais le jour ! Howel, le maître de la Bretagne, entendit ces paroles et, aussitôt, appela ses bons chevaliers, leur ordonna de partir au galop pour la France, d'aller trouver des hommes libres et de leur dire de se rendre, rapidement et immédiatement, au Mont Saint Michel avec une grande force, à savoir tous ceux qui voulaient, au moyen d'argent et d'or, se couvrir d'honneur en ce royaume terrestre. Il envoya ses nobles chevaliers en Poitou et d'autres, en toute hâte, vers la Flandre. Deux autres partirent pour la Touraine et d'aussi bons chevaliers allèrent en Gascogne. Il leur ordonna de se rendre au Mont Saint Michel en grande force. Avant de s'embarquer, on leur donnerait de bons présents afin qu'ils puissent quitter leur pays d'autant plus heureux ; ils partiraient avec le beau Howel pour aller (en G.Bretagne) et apporter de l'aide à Arthur, le plus noble des rois. [10228]

Treize jours s'étaient écoulés depuis l'arrivée des messagers. Puis les hommes gagnèrent la mer comme la grêle qui tombe du ciel. Deux cents navires se trouvaient prêts à cet endroit. Ils furent chargés de guerriers puis ils partirent. Le vent et le temps étaient favorables et ils débarquèrent à Southampton. Les hommes terrifiants bondirent hors des bateaux, portant à terre heaumes et hauberts. Ils couvrirent tous les champs de lances et de boucliers. Plus d'un vaillant Breton proféra des menaces. Ils jurèrent haut et fort, sur leur vie, qu'ils infligeraient au puissant empereur Childric de grands dommages. Et s'il ne voulait pas s'en aller et repartir pour la Germanie et s'il décidait de rester dans le pays, de résister par la force, d'endurer, ainsi que ses guerriers farouches, les grondements (des Bretons) alors ils abandonneraient ici ce qui leur était le plus cher : leur tête, mains et heaumes brillants. Et ainsi ils perdraient, dans ce pays, leurs compagnons et ces chiens païens s'abîmeraient en Enfer ! [10248]

Arthur, le plus noble des rois, était à Londres ; un récit exact lui apprit que le puissant Howel, son parent , venait de débarquer à Southampton avec trente mille guerriers. Arthur, qui était très heureux, alla à sa rencontre, une foule immense suivait le roi. Il marcha en direction de son parent accompagné par une grande armée. Ils se rencontrèrent - la joie régnait parmi les guerriers - s'embrassèrent, s'étreignirent et se parlèrent en amis. Puis, sans tarder, ils rassemblèrent leurs chevaliers. Ces deux valeureuses armées furent réunies à cet endroit. Howel serait à la tête de trente mille chevaliers et Arthur en commandait quarante mille dans le royaume. [10261]

Ils partirent immédiatement pour le nord, en direction de Lincoln. L' empereur Childric assiégeait la ville, mais ne l'avait pas encore prise, car il y avait à l'intérieur sept mille hommes, des hommes braves, valeureux, de jour comme de nuit. Arthur et sa troupe se hâtèrent vers la ville. Arthur prévint ses chevaliers de progresser sans faire de bruit, de jour et de nuit, comme des voleurs, de traverser le pays en silence, d'abandonner les cors et les trompettes. Arthur choisit un chevalier qui était un homme brave, valeureux ; il l'envoya rejoindre, à Lincoln, ses chers hommes et il leur rapporta verbalement la vérité, c'est-à-dire qu'Arthur, le plus noble des rois, allait arriver à minuit avec un grand nombre de bons chevaliers. "Et vous, à l'intérieur, tenez vous sur vos gardes. Lorsque vous entendrez le vacarme, alors ouvrez les portes, ruez vous hors de la ville et terrassez vos ennemis. Assaillez le fort et puissant Childric. Nous allons leur raconter des contes bretons !" [10281]

Il était minuit, la lune brillait plein sud. Arthur se hâtait vers la ville avec son armée. La troupe était aussi silencieuse que des voleurs. Ils continuèrent à avancer jusqu'au moment où ils aperçurent Lincoln. Alors Arthur, cet homme hardi, s'écria : "Où êtes vous, mes chevaliers, mes guerriers ? Voyez vous les tentes dressées sur les champs où Childric a établi son campement, (voyez vous) Colgrim, Baldulf et leur puissante troupe, les Germains qui nous ont causé du tort, les Saxons qui ont promis de nous tourmenter, qui ont tué tous les plus nobles de ma famille : Constance et Constantin, Uther, qui était mon père, et Aurélien-Ambroise, le frère de mon père, ainsi que plusieurs milliers de mes nobles parents ? Attaquons les et réduisons les à néant, vengeons dignement ceux de notre race et leur royaume. Et maintenant, sans plus attendre, chargeons tous ensemble, vaillants chevaliers !". [10298]

Arthur se précipita, l'armée le suivit - on aurait dit que la terre allait être calcinée - et fondit sur les tentes de Childric dressées sur les champs. Arthur, ce grand homme, le fils d'Uther, fut le premier à crier, avec bravoure et force, comme il convient à un roi : "Que Marie, la douce mère de Dieu, nous apporte son aide, maintenant. Et je demande en prière à son fils d'être à nos côtés !". Sur ces paroles, ils tournèrent la pointe de leurs lances, transperçant et tuant tous ceux dont ils s'approchaient. Les chevaliers sortirent de la ville et affrontèrent (les ennemis). S'ils s'enfuyaient vers la ville, ils y mouraient, s'ils s'enfuyaient vers la forêt, ils y étaient massacrés. Où qu'ils aillent, ils étaient tués. Dans aucun autre livre trouve t-on le récit d'une telle bataille, ayant eu lieu sur le sol de la G.Bretagne, qui ait été si meurtrière. De toutes les armées qui avaient débarqué dans ce pays, celle-ci fut la plus infortunée. Le sang coula en grande quantité, le malheur régnait parmi les guerriers, la mort était florissante, la terre ne fut plus que tumulte ! [10317]

L'empereur Childric avait une forteresse dans la plaine de Lincoln où il avait établi son campement. Ce château avait été récemment construit, il était solidement fortifié. Baldulf et Colgrim étaient là avec lui, ils virent que leurs hommes mouraient. Aussitôt, ils revêtirent leurs hauberts et s'enfuirent lâchement du château. Ils allèrent directement chercher refuge dans le bois de Calidon. Ils avaient avec eux sept mille cavaliers ; ils laissèrent derrière eux quarante mille morts, qui avaient été terrassés au sol et privés de vie, des Germains, massacrés, et des Saxons, réduits à néant ! Puis Arthur, le plus noble des rois, vit que Childric s'était enfui, avait battu en retraite dans Calidon et que Colgrim et Balfulf l'avaient accompagné dans la grande forêt, sur une grande butte. Aussi Arthur les pousuivit avec soixante mille guerriers bretons. Il encercla tout le bois ; par un côté, il l'abattit - sur plus de onze kilomètres - un arbre après l'autre, très rapidement. Il bloqua l'autre côté avec son armée pendant trois jours et trois nuits - ce fut très éprouvant (pour les Saxons). [10340]

Colgrim, alors qu'il se trouvait dans le bois, se rendit compte que la faim et la soif se faisaient sentir par manque de nourriture : rien ne pouvait aider les hommes ou les chevaux. Clogrim s'adressa ainsi à l'empereur : "Dis moi, seigneur Childric, la vérité. Pourquoi restons nous à attendre ici ? Pourquoi ne pas sortir, rassembler notre troupe et engager le combat contre Arthur et ses chevaliers ? Car il vaut mieux nous retrouver gisant morts sur le sol avec les honneurs que de périr affamés ici. Nous nous imposons de grandes souffrances et la raillerie des autres. Ou alors, envoyons immédiatement (des messagers) et demandons la paix à Arthur, implorons sa pitié, livrons lui des otages et réconcilions nous avec ce noble roi. Childric entendit ces paroles, là où il attendait dans le fossé, et répondit d'une voix triste : "Si Baldulf, qui est ton propre frère, et si d'autres de nos compagnons, qui sont ici avec nous, souhaitent que nous demandions la paix à Arthur, que nous nous réconcilions avec lui, alors je suivrai votre souhait. Car Arthur est considéré, par tous, comme un homme très noble. Il est aimé par tous ses hommes, il est d'un lignage royal et ne descend que de rois. Il était le fils d'Uther. Il arrive souvent, parmi de nombreux peuples, que de bons chevaliers venus se battre avec ardeur, remportent tout d'abord la victoire puis sont vaincus. Voilà ce qui vient de nous arriver ici mais nous connaîtrons peut-être un changement pour le meilleur si nous restons en vie". Les chevaliers répondirent aussitôt : "Nous approuvons tous ce conseil, car tu as bien parlé !". [10370]

Ils choisirent douze chevaliers, les envoyèrent immédiatement au campement d'Arthur, à la lisière du bois. L'un d'entre eux appela aussitôt d'une forte voix : "Seigneur Arthur, épargne nous ! Nous voulons parler avec toi. L'empereur, qui se nomme Childric, nous a envoyés ici, tout comme Colgrim et Baldulf. Ils te demandent grâce, maintenant et à jamais. Ils veulent devenir tes hommes, promouvoir ton honneur. Ils te donneront de nombreux otages, reconnaîtront en toi leur seigneur, puisque tu es celui qui est le plus estimé sur terre, s'ils peuvent partir d'ici en vie, retourner dans leur pays et y apporter de mauvaises nouvelles. Nous avons, en effet, connu des tourments de toutes sortes ici. Nous avons laissé derrière nous de chers parents à Lincoln. Il y a soixante mille morts là-bas. Et si tu nous permettais, sans arrière pensée, de nous laisser traverser la mer, nous ne reviendrions jamais. Car, nous avons perdu ici nos chers parents. Jusqu'à la fin des temps, nous ne reviendrons jamais !". [10390]

Alors Arthur se mit à rire d'une voix puissante : "Que Dieu, qui régit toutes les destinées, soit remercié : le puissant Childric est lassé de mon royaume ! Il a partagé tout mon territoire entre ses chevaliers. Quant à moi, il voulait me chasser de mon pays, m'humilier et s'emparer de mon royaume, anéantir tous ceux de ma famille, massacrer tout mon peuple. Mais il lui est arrivé ce qui arrive au renard lorsqu'il est des plus téméraire dans la forêt et qu'il a son plein d'amusement et d'oiseaux. Il grimpe par simple fantaisie à la recherche de rochers ; il creuse pour son propre bénéfice des tanières dans des endroits sauvages. Quel que soit le lieu où il rôde, il est toujours insouciant. Il se tient pour le plus hardi des animaux. Puis, au bas des collines, des hommes le poursuivent avec des cors, des chiens et en criant fort. Les chasseurs poussent des cris, les chiens aboient, pourchassant le renard sur les collines et dans les vallons. Celui-ci s'enfuit au sommet, se dirige vers sa tanière et se précipite dans la première des ouvertures de cette dernière. Alors le présomptueux renard est privé de tout amusement et les hommes cherchent à le déterrer de chaque côté ; alors, celui qui était le plus fier des animaux devient le plus pitoyable (de tous) ! Il en est allé de même avec le fort et puissant Childric : il projetait de s'emparer de tout mon royaume mais maintenant je l'ai blessé à mort quoi que je fasse, que je le transperce ou que je le pende. Mais je vais lui accorder ma grâce et le laisser me parler. Je ne vais ni le transpercer ni le pendre mais je vais accepter sa demande. Je vais prendre des otages parmi les plus nobles de ses hommes, confisquerai leurs chevaux et leurs armes avant leur départ. Ils retourneront ainsi comme des proscrits à leurs navires, traverseront la mer pour rejoindre leur propre pays et ils vivront dignement dans ce royaume. Ils donneront des nouvelles du roi Arthur, expliqueront comment je les ai laissés libres pour le bien de l'âme de mon père et que, dans ma générosité, ai épargné ces misérables". Le roi Arthur manqua de discernement à ce moment. Pas un homme n'eut le courage d'oser le contredire - ce qu'il regretta sincèrement par la suite ! [10430]

Childric arriva de son refuge devant le roi Arthur. Il devint son homme tout comme tous ses chevaliers. Childric remit ving-quatre otages. Ils avaient été sélectionnés, c'était des hommes de noble naissance. Ils livrèrent leurs chevaux, hauberts, lances, boucliers et leurs longues épées : ils abandonnèrent tout ce qu'ils possédaient. [10437]

Ils marchèrent jusqu'à la mer ; leurs navires attendaient sur le rivage. Le vent était favorable, le temps très agréable. Ils éloignèrent du rivage leurs grands et longs navires. Ils laissèrent derrière eux le pays, voguèrent avec le courant jusqu'au moment où ils ne virent plus la terre. La mer était calme, elle leur était propice. Ils firent naviguer leurs bateaux côte à côte, coque contre coque. Les hommes discutèrent et décidèrent de retourner dans notre pays, de venger dignement leurs parents, de ravager le royaume d'Arthur, de tuer son peuple, de s'emparer de châteaux et d'imposer leur loi. Ils naviguèrent sur la mer si longtemps qu'ils arrivèrent entre l'Angleterre et la Normandie. Ils virèrent de bord et mirent le cap sur notre pays si bien qu'ils arrivèrent exactement à Totnes dans l'embouchure de la Dart. Ils touchèrent terre avec grand plaisir. [10455]

Aussitôt débarqués, ils se mirent à tuer la population : dès qu'ils débarquèrent, ils tuèrent les habitants. Ils chassèrent les paysans qui travaillaient la terre, ils pendirent les chevaliers qui défendaient la région. Ils poignardèrent toutes les bonnes épouses, tuèrent avec violence toutes les jeunes filles, étendirent les hommes lettrés sur des braises. Ils rouèrent de coups les serviteurs, ils rasèrent les châteaux, ravagèrent les terres, incendièrent les églises. Le malheur régnait parmi le peuple ! Ils noyèrent les nourrissons. ils abattirent tout le bétail dont ils s'emparèrent, le transportèrent à leurs logis et le firent bouillir ou rôtir. Ils mirent la main sur tout ce dont ils s'approchèrent. Toute la journée, ils chantèrent au sujet du roi Arthur, disant qu'ils avaient gagné des demeures qu'ils allaient garder en leur possession et dans lesquelles ils passeraient l'hiver et l'été. Et si Arthur était hardi au point de venir se battre contre le fort et puissant Childric, ils feraient un pont de sa colonne vertébrale, prendraient tous les os du noble roi, les attacheraient ensemble avec des rubans dorés et les étaleraient devant l'entrée de la grand'salle à l'endroit où chacun doit passer, pour le grand bénéfice du fort et puissant Childric ! Tels étaient leurs plans pour humilier le roi Arthur. Mais il en alla tout autrement, peu après. Leur vantardise et leurs railleries furent à l'origine de leur propre honte et il en va ainsi pour tous ceux qui se comportent de la sorte ! [10484]

L'empereur Childric s'empara de tout ce qu'il voyait. Il prit le Somerset, il prit le Dorset, il massacra les habitants du Devonshire, attaqua avec férocité le Wiltshire. Il enleva tous les territoires jusqu'à la côte. Puis, enfin, il fit sonner cors et trompettes et rassembla son armée dans l'intention d'aller plus loin, d'encercler Bath entièrement et aussi de faire un blocus naval autour de Bristol. Telle était leur malveillante intention avant d'arriver à Bath. L'empereur gagna Bath et, là, assiégea le château. Les hommes qui étaient à l'intérieur montèrent courageusement sur les remparts, solidement armés de la tête aux pieds, et défendirent la place forte contre le puissant Childric. Il y avait l'empereur, son compagnon Colgrim, et son frère Baldulf, et de nombreux autres. [10499]

Arthur était dans le nord et ne savait rien de tout cela. Il parcourait toute l'Ecosse dont il prenait possession : les Orcades et Galloway, l'île de Man et le Moray ainsi que toutes les régions aux alentours. Arthur considérait comme chose acquise que Childric avait quitté son pays et qu'il ne reviendrait jamais plus. Lorsqu'Arthur apprit que Childric avait débarqué et qu'il ravageait le sud, alors Arthur, le plus noble des rois, s'écria : "Hélas ! Hélas ! Quel malheur que j'aie épargné mon ennemi, que je ne l'aie pas affamé jusqu'à la mort dans la forêt ou que je ne l'aie pas réduit en morceaux avec mon épée ! Maintenant il m'envoie du fiel en échange de ma bonne action. Mais, que Dieu, qui créa la lumière du jour, m'apporte son aide. (Childric) va endurer le pire des tourments, des mauvais traitements. Je serai son fléau ! Je tuerai, à la fois, Colgrim et Baldulf et tous leurs hommes seront mis à mort. Si le Maître des Cieux le permet, je vengerai dignement tous ses actes malveillants. Si la vie reste en moi et si Celui qui créa la lune et le soleil me le permet, jamais plus Childric ne me trompera ! Alors Arthur, le plus noble des rois, s'écria : "Où êtes vous, mes chevaliers, mes braves et vaillants hommes ? A cheval, à cheval, bons guerriers. Nous allons gagner rapidement Bath. Que de hautes potences soient érigées, apportez ici les otages, devant nos chevaliers, et ils vont pendre en haut de grands arbres. Il fit mettre à mort vingt-quatre jeunes Germains du plus haut lignage. [10533]

Puis le roi Arthur apprit que son parent Howel était malade - il en fut très attristé - dans Clud. Il le laissa là, poussa sa monture à l'extrême et arriva dans une plaine toute proche de Bath. Il descendit de cheval et tous ses chevaliers en firent de même. Ces farouches guerriers revêtirent leur cotte de mailles puis il répartit l'armée en cinq divisions. Lorsqu'il eut réglé toutes ces questions et que tout fut en ordre, alors il passa une armure d'acier qu'un elfe forgeron, du nom de Wygar - un artisan habile - avait fabriquée grâce à son noble art. Il se couvrit les jambes de jambières d'acier. Il suspendit son épée Caliburn à ses côtés. Elle fut fabriquée magiquement à Avalon. Il plaça sur sa tête un haut heaume d'acier sur lequel se trouvaient de nombreuses pierres précieuses serties d'or. Il avait appartenu au noble roi Uther. Il portait le nom de Goswhit. Il n'y en avait aucun autre pareil ! Il suspendit à son cou un splendide bouclier dont le nom, en anglais, était Pridwen. Sur la face interne était représenté, en traits d'or rouge, un noble portrait de la mère de Dieu ! Il saisit sa lance qui portait le nom de Ron. Lorsqu'il eut revêtu tout son équipement, il bondit sur son destrier. Alors tous ceux qui étaient là purent voir le plus beau des chevaliers qui ait jamais conduit une armée. Jamais personne ne vit meilleur chevalier qu'Arthur, le plus noble de sa race ! [10562]

Alors Arthur s'écria d'une voix forte : "Regardez ! Voilà, devant nous, les chiens païens qui ont tué nos ancêtres par leurs actes maléfiques. Ils sont, pour nous, ce qu'il y a de plus odieux ! Chargeons maintenant et attaquons les férocement, vengeons nos parents, notre royaume, vengeons nous du grand affront avec lequel ils nous ont humiliés lorsqu'ils sont arrivés à Dartmouth par la mer. Ce sont tous des parjures et ils seront tous anéantis ! Ils seront tous mis à mort avec l'aide du Seigneur ! Avançons maintenant, en rangs serrés, doucement comme si nous ne pensions pas à mal. Et lorsqu'ils seront à notre portée, j'attaquerai en premier, j'engagerai la bataille. Allons-y, maintenant, progressons en silence ; que personne, sous peine de mort, ne fasse de bruit. Mais avançons rapidement, que le Seigneur nous vienne en aide !". [10579]

Puis Arthur, cet homme puissant, s'élança. Il traversa la plaine dans la direction de Bath. Le fort et puissant Childric apprit qu'Arthur arrivait avec une armée prête au combat. Childric et ses valeureux hommes bondirent sur leurs chevaux, saisirent leurs armes. Ils savaient que c'était à eux qu'on en voulait ! Arthur, le plus noble des rois, vit ce mouvement. Il vit un comte païen qui venait vers lui avec sept cents chevaliers, tous prêts au combat. Le comte, lui-même, marchait à la tête de sa troupe et Arthur en personne conduisait toute son armée. Le vaillant Arthur saisit Ron et le roi, résolu, pointa la solide lance. Il partit au galop si bien que la terre résonna. Il leva son bouclier devant sa poitrine - le roi était enragé - il tranperça le torse du comte Borel si bien que le coeur de ce dernier fut déchiré. Et le roi cria aussitôt : "Le commandant est mort ! Que le Seigneur et la Reine céleste qui le mit au monde nous viennent en aide !". Puis Arthur, le plus noble des rois, s'écria : "Droit devant, droit devant ! Le début est un succés". [10600]

Les Bretons les attaquèrent comme on doit le faire avec les êtres malveillants : ils assénèrent de grands coups avec des haches et des épées. Deux mille hommes de Childric s'effondrèrent tandis qu'Arthur ne perdait aucun des siens. Les Saxons furent le plus malheureux des peuples, les Germains les plus misérables des hommes. Arthur commit un massacre avec son épée : tous ceux qu'il frappait, mouraient aussitôt. Le roi était totalement enragé comme l'est le sanglier sauvage lorsqu'il rencontre de nombreux porc dans une hêtraie. Childric vit la situation, s'enfuit et battit en retraite en cherchant refuge de l'autre côté de l'Avon. Arthur s'approcha de lui, tel un lion, et les entraîna vers la rivière : ils moururent en grand nombre, deux mille cinq cents d'entre eux touchèrent le fond si bien qu'un pont d'acier recouvrit l'Avon. [10616]

Childric s'enfuit en traversant la rivière avec quinze cents chevaliers. Il avait l'intention de fuir et de traverser la mer. Arthur vit Colgrim gravir la colline, s'enfuir par la colline qui s'élève au dessus de Bath. Et Baldulf le suivit avec sept mille chevaliers. Ils projetaient de résister fermement sur la colline, de se défendre avec force et de tourmenter Arthur. Lorsqu'Arthur, le plus noble des rois, vit où Colgrim se défendait et combattait, alors le roi cria d'une voix forte : "Mes vaillants chevaliers, dirigez vous vers la colline. Car hier, Colgrim était le plus valeureux des hommes mais maintenant il est comme la chèvre lorsqu'elle garde la colline. Sur le sommet, elle donne des coups de corne pour se défendre lorsque le loup sauvage s'approche d'elle en louvoyant. Même si le loup est seul, loin de la meute, et s'il y a cinq cents chèvres dans un enclos, le loup les attaque et les dévore toutes. Je vais en faire autant avec Colgrim, aujourd'hui même. Je suis le loup et il est la chèvre. Cet homme va mourir !". [10636]

Puis Arthur, le plus noble des rois, reprit : "Hier Baldulf était le plus audacieux des chevaliers mais maintenant le voilà sur la colline à contempler l'Avon et les poissons d'acier qui flottent dans la rivière ! Armés d'une épée, ils perdent cependant la vie ; leurs écailles flottent comme des boucliers dorés et leurs nageoires telles des lances. Des choses merveilleuses se passent dans ce pays : de telles bêtes sur la colline, de tels poissons dans la rivière ! Hier, l'empereur était le plus hardi des rois. Il est maintenant devenu un chasseur poursuivi par des cors. Il fuit par la vaste plaine, ses chiens aboient, il a abandonné sa partie de chasse aux alentours de Bath. Il fuit sa proie et nous allons mettre fin à sa chasse et à ses menaces présomptueuses ! Et ainsi nous retouverons nos droits". [10652]

Au moment même où le roi prononça ces paroles, il attrapa sa longue lance et aiguillonna son cheval. Presque aussi rapides que le vol d'un oiseau, vingt cinq mille vaillants hommes, armés et enragés, suivirent le roi. Ils gagnèrent la colline avec grande force et assénèrent Colgrim de coups des plus violents. Et Colgrim riposta et terrassa les Bretons : cinq cents lors du premier assaut. Arthur, le plus noble des rois, vit ce spectacle et se mit dans une très grande colère. Ainsi s'exclama Arthur, ce grand homme : "Où êtes vous, Bretons, mes hommes valeureux ? Voilà, devant nous, nos ennemis, (des combattants) de valeur. Mes bons guerriers, écrasons les !". Arthur empoigna son épée avec fermeté et frappa un chevalier saxon si bien que cette admirable épée ne fut arrêtée que par les dents. Puis il en frappa un autre, le frère du chevalier, si bien que le heaume et la tête de celui-ci tombèrent au sol. Il frappa une troisième fois et coupa un homme en deux. Alors les Bretons s'enhardirent grandement, et martelèrent les Saxons à l'aide de leurs longues lances et de leurs solides épées. Les Saxons s'effondraient, connaissaient la mort, s'écroulaient par centaines et centaines, touchaient terre par milliers et milliers. [10679]

Lorsque Colgrim vit qu'Arthur venait dans sa direction, il ne put s'enfuir, d'un côté ou de l'autre, à cause de la bataille meurtrière. Baldulf combattait à côté de son frère. Alors Arthur s'écria d'une voix forte : "Me voilà, Colgrim ! nous allons nous battre pour le bénéfice de ce royaume. Nous allons nous partager ce pays d'une façon qui te plaira le moins !". Tout en prononçant ces paroles, le roi brandit sa large épée et l'abattit violemment sur le casque de Colgrim si bien qu'il le brisa en deux, tout comme le haut de son armure, et l'épée se logea dans la poitrine. Puis il se tourna vers Baldulf et, de sa main droite, le frappa et lui décolla la tête recouverte de son heaume. Alors Arthur, le noble roi, se mit à rire et à parler avec sarcasme : "Repose maintenant ici Colgrim, toi qui avais grimpé si haut. Et que ton frère Baldulf repose à tes côtés. Je remets maintenant entre vos mains tout ce royaume : vallées et montagnes ainsi que tout mon bon peuple ! Tu es monté très haut sur cette colline comme si tu voulais grimper jusqu'au paradis - maintenant tu vas sombrer en enfer où tu retrouveras un grand nombre de ceux de ta race. Salue Hengest, qui était le plus admirable des chevaliers, Ebissa et Ossa, Octa et d'autres de ta famille, et prie les de rester là hivers comme étés. Et nous vivrons ici dans la joie, prierons pour que vos âmes ne connaissent jamais le bien-être. Vos os resteront ici, près de Bath". [10706]

Le roi Arthur appela le vaillant Cador. C'était le comte de Cornouailles, c'était un chevalier fort hardi. "Ecoute moi, Cador ; tu es de ma famille. Childric s'est enfui, il est déjà loin. Il pense pouvoir revenir sain et sauf. Mais prends cinq mille hommes de mon armée et progresse jour et nuit, sans t'arrêter, afin d'atteindre la mer avant Childric. Et prends avec satisfaction tout ce dont tu pourras t'emparer. Et si tu parviens à tuer l'empereur là-bas, je te donnerai tout le Dorset en récompense". [10717]

Le noble roi n'avait pas plus tôt prononcé ces paroles que Cador bondit sur son cheval, comme une étincelle qui s'échappe du feu. Sept mille hommes en tout suivirent le comte. Le valeureux Cador, et un grand nombre de ses parents, traversèrent des forêts, des régions isolées, passèrent par monts et par vaux et franchirent de profondes rivières. Cador connaissait le chemin qui menait à son comté, il prit la route la plus courte et marcha directement vers Totnes, jour et nuit. Il y arriva si vite que Childric n'était pas au courant de sa venue. Cador atteignit cet endroit avant Childric. Il fit rassembler devant lui tous les habitants de la région, des paysans fort astucieux armés de très gros gourdins, de lances et grosses crosses appropriés à la situation. Il les plaça tous dans les cales des navires, leur ordonna de s'abaisser pour que Childric ne se doute pas de leur présence puis, lorsque ses hommes arriveraient et monteraient à bord, de saisir leur gourdins et de les frapper violemment, de massacrer l'armée de Childric à l'aide de leurs crosses et lances. Les paysans suivirent les instructions de Cador ; ces courageux manants gagnèrent les navires, cent cinquante par bateau. Et le vaillant Cador se retira dans une grande forêt à sept kilomètres de l'endroit où se trouvaient les navires. Il se cacha un moment, sans faire de bruit. [10742]

Childric ne tarda pas à arriver par la plaine. Il voulait fuir en empruntant les bateaux et quitter ce pays. Dès que Cador, qui était un vaillant comte, vit que Childric était dans l'espace qui le séparait des paysans, il s'écria d'une voix forte : "Où êtes vous, chevaliers, hommes vaillants et braves ? Pensez à ce qu'Arthur, notre noble roi, nous a demandé à Bath avant que nous quittions son armée. Regardez, voilà Childric qui arrive et qui veut fuir notre pays. Il a l'intention de retourner en Germanie, la terre de ses ancêtres. Il veut rassembler une armée et revenir ici, l'envahir à nouveau pour venger Colgrim et son frère Baldulf qui reposent près de Bath. Mais il ne vivra pas assez longtemps pour voir ce jour - pas assez longtemps, si nous l'en empêchons !". Une fois ce discours terminé, le puissant comte partit au galop, il était enragé. Les guerriers, très hardis, sortirent du bois, poursuivirent le fort et puissant Childric. Les chevalier de Childric regardèrent derrière eux et virent des étendards qui flottaient au vent dans la plaine, cinq mille boucliers qui venaient vers eux au travers des champs. Alors Childric perdit courage et le puissant empereur prononça ces paroles : "C'est le roi Arthur qui veut tous nous tuer. Fuyons rapidement, montons dans les bateaux, prenons la mer sans nous soucier de la direction". [10768]

Après avoir prononcé ces paroles, alors il se mit à fuir à toute allure. Le vaillant Cador le poursuivit. Childric et ses chevaliers arrivèrent aux navires. Ils pensaient pousser les lourds bateaux et leur faire quitter le rivage. Les paysans, armés de leurs gourdins, étaient à l'intérieur. Ils dressèrent leurs massues et les abaissèrent violemment. Aussitôt, de nombreux chevaliers moururent à cause de ces gourdins. Avec leurs fourches, (les paysans) terrassaient (les chevaliers) tandis que Cador et ses chevaliers transperçaient ceux à l'arrière. Alors Childric vit que cela tournait mal pour eux, que sa grande armée, dans son ensemble, se faisait massacrer. Alors, il vit, non loin de là, une très grande colline, au pied de laquelle coule une rivière qui s'appelle "Teign" . La colline porte le nom de "Teignwic". Childric, suivi de vingt-quatre chevaliers, partit dans cette direction aussi vite qu'il put. Mais Cador vit ce qui se passait, que l'empereur fuyait et cherchait à atteindre la colline. Cador le poursuivit, aussi vite que possible, le rattrapa et, bientôt, le doubla. Alors Cador, ce comte très vaillant, déclara : "Attends, attends Childric, je vais te donner Teignwic !". Cador dressa son épée et tua Childric. Un grand nombre dee ceux qui avaient battu en retraite, s'enfuirent vers la rivière ; ils périrent dans les eaux de la Teign. Cador tua tous ceux qu'il trouva vivants. Certains gagnèrent la forêt en rampant, il les tua tous. Lorsque Cador les eut tous vaincus, et qu'il eut aussi repris tout le territoire, il établit une très bonne paix qui dura très longtemps : même si un homme voyageait en portant des anneaux d'or à la main, personne n'osait le maltraiter. [10799]

Arthur avait regagné l'Ecosse, car Howel se trouvait retranché dans Clud : les Ecossais l'avait encerclé grâce à leurs détestables stratagèmes. Si Arthur n'était pas venu très vite, alors Howel aurait été pris, tous ses hommes tués et privés de vie. Mais Arthur était arrivé à temps, avec une grande force, et les Ecossais et leurs grande armée s'enfuirent loin du pays jusque dans le Moray . Et Cador se rendit en Ecosse et rejoignit Arthur. Arthur et Cador entrèrent dans Clud et furent heureux de voir que Howel était en bonne santé ; il était tout à fait guéri de sa maladie. La joie fut grande alors dans la ville. [10812]

Les Ecossais étaient dans le Moray où ils pensaient s'établir. Ils proférèrent des menaces se targant de diriger le royaume, d'attendre Arthur avec résolution déclarant qu'Arthur n'oserait jamais venir là, par peur pour sa vie. Lorsqu'Arthur, qui ne connaissait pas la peur, apprit les railleries que les Ecossais avaient prononcées, alors Arthur, le plus noble des rois, déclara : "Où êtes vous Howel, le plus noble de mes parents, et le vaillant Cador de Cornouailles ? Que les trompettes sonnent, assemblons notre armée et, à minuit, nous marcherons immédiatement sur le Moray pour affirmer notre honneur. Si le Seigneur, qui créa la lumière du jour, le permet, nous leur raconterons des histoires douloureuses, leur rabattrons le caquet et les tuerons". [10828]

A minuit, Arthur se leva sans hésiter. Des cors retentirent avec fracas ; les chevaliers se levèrent, prononçant des paroles d'intimidation. Une immense armée s'ébranla pour le Moray : il y avait treize mille hommes déterminés dans l'avant garde. Derrière venaient Cador, le comte de Cornouailles, et dix-sept mille bons chevaliers. Puis venaient Howel et ses admirables champions, vingt-et-un mille nobles champions. Arthur, le plus noble des rois, fermait la marche avec vingt-sept mille hommes. Les boucliers se mirent à miroiter lorsque le jour pointa. Les Ecossais apprirent, là où ils demeuraient, qu'Arthur venait à leur rencontre à vive allure avec une immense armée. Alors ceux qui, peu avant, étaient téméraires devinrent des poltrons et se mirent à fuir, à toute allure, vers le lac qui abonde en prodiges ! C'est un lac merveilleux, situé sur la terre, qui comporte des marais, des roseaux, une très grande quantité d'eau, des poissons, des volatiles et des choses étranges. Ce lac est d'une largeur immense ; des génies s'y baignent. Il y a une rivalité entre elfes dans cet étang hideux. Soixante îles se trouvent dans cette étendue d'eau, chaque île possède un pic rocheux, haut et imposant sur lequel des aigles et autres grands oiseaux viennent faire leur nid. Lorsqu'un roi règne et qu'une armée, quelle qu'elle soit, se dirige vers cette région alors les aigles ont l'habitude de s'envoler haut dans le ciel par centaines de milliers et de se battre. Les habitants savent alors avec certitude que le malheur va s'abattre sur eux à cause d'un peuple ou d'un autre qui cherche à envahir leur pays. Ce signe apparaît deux ou trois jours avant que les étrangers n'arrivent dans la région. [10863]

On peut parler d'un autre prodige à propos de ce lac dans lequel tombent, en de nombreux points - arrivant des vallons et des montagnes ou des profondes vallées - soixante rivières qui confluent à cet endroit. Personne n'a jamais pu trouver de passage par lequel elles quitteraient le lac, mis à part un petit ruisseau, à une extrêmité, qui s'échappe du lac et qui serpente tranquillement jusqu'à la mer. [10871]

Les Ecossais étaient dipersés, dans une situation désespérée, parmi les nombreuses montagnes qui se dressaient dans l'eau. Arthur trouva des bateaux, partit à la recherche (des Ecossais). Il en tua beaucoup, un très grand nombre. Plusieurs milliers moururent par manque de nourriture. Le noble Arthur était du côté est, le bon Howel, du côté sud et le vaillant Cador bloquait le passage au nord, tandis que ses hommes de condition inférieure étaient regroupés à l'ouest. Alors les Ecossais furent tenus pour des sots alors qu'ils étaient cernés parmi les rochers. Soixante mille d'entre eux périrent misérablement. [10883]

Pendant ce temps, le roi d'Irlande avait débarqué dans un port situé à vingt kilomètres de l'endroit où Arthur se trouvait avec son armée. Arthur, le plus noble des rois, l'apprit et, accompagné d'une de ses divisions, partit pour ce lieu. Il aperçut le roi Gillomar, qui avait débarqué à cet endroit. Arthur engagea la bataille et ne voulut faire preuve d'aucune retenue, et, implacable, terrassa les Irlandais. Et Gillomar quitta ce pays avec douze navires, il retourna en Irlande dans un piteux état. Arthur tua tous ceux qu'il trouva dans les parages puis repartit pour le lac où il avait laissé son parent, le beau Howel - le plus noble de G.Bretagne après Arthur, le plus noble des rois. [10897]

Arthur rejoignit Howel qui se trouvait près du port, non loin du vaste lac où il avait attendu. Les soldats se réjouirent beaucoup de l'arrivée d'Arthur ainsi que de ses exploits. Arthur resta là deux jours et deux nuits. Les Ecossais étaient éparpillés parmi les rochers, un grand nombre d'entre eux étaient morts, emportés par la faim, c'était les plus misérables des hommes ! [10904]

Le troisième jour, l'aube parut, claire. Alors tous ceux qui portaient la soutane allèrent au devant de l'armée : trois sages évêques, fort instruits ; des prêtres et des moines en grand nombre ; de nombreux chanoines cultivés. Ils apportèrent toutes les reliques les plus saintes du pays et implorèrent la paix et la miséricorde d'Arthur. Les femmes qui habitaient cette contrée vinrent là ; elles portaient dans leurs bras leurs pauvres enfants. Elles versèrent des larmes en grande quantité devant Arthur, lancèrent à terre leurs beaux cheveux, arrachèrent leurs boucles et se jetèrent à genoux aux pieds du roi devant tous ses compagnons. Elles enfoncèrent leurs ongles dans la chair de leurs visages qui en vinrent à saigner. Elles étaient presque entièrement nues. Avec désolation, elles s'adressèrent au roi Arthur et toutes ensemble, dans leur détresse, dirent : "Sire, nous sommes les personnes les plus malheureuses de la terre. Nous implorons ta compassion au nom du Dieu miséricordieux. Tu as exterminé notre peuple dans ce pays par la faim et la violence, tu as eu recours à des armes, la noyade, et de nombreux autres méfaits. Nos enfants ont perdu leurs pères et sont démunis. Tu es un Chrétien, nous aussi. Les Saxons sont des chiens païens. Ils sont venus dans notre pays et ont massacré notre peuple. Si nous leur avons obéi, c'est par adversité parce que nous n'avions personne qui puisse lutter contre eux. Ils nous ont causé beaucoup de souffrances et vous en faites autant. Les païens nous haïssent et les Chrétiens nous tourmentent. Qu'allons nous devenir ? " s'exclament les femmes au roi. "Mais laisse nous les hommes vivants qui se terrent parmi ces rochers et si tu prends cette nation en pitié, ton honneur n'en sera que plus grand aujourd'hui et pour toujours. Seigneur Arthur, notre roi, desserre nos liens, tu as conquis tout ce pays et tu as vaincu tout ce peuple. Nous voilà sous ton joug, notre repos dépend entièrement de toi". [10941]

Arthur, le plus noble des rois, entendit cela, ces pleurs, ces lamentations et cette grande douleur. Alors il médita et son coeur s'emplit de pitié. Il décida d'accéder à leurs prières. Ils leur accorda la vie et la liberté et leur laissa la propriété de leur territoire. Il appela les Ecossais en faisant sonner les trompettes. Ils quittèrent les rochers et prirent la direction des bateaux, s'approchant du rivage de toutes parts. Ils étaient très amaigris à cause de la faim aiguë (qu'ils avaient connue). Ils prêtèrent serment, jurant d'être fidèles. Ils donnèrent des otages au roi et, peu après devinrent les hommes du roi. Puis ils s'éloignèrent. Tous se séparèrent, chacun regagna le lieu où il habitait. Et Arthur établit une paix bonne et durable. [10956]

"Où es tu Howel, mon parent, l'homme auquel je suis le plus attaché. Vois tu ce grand lac où les Ecossais périrent ? Vois tu ces grands arbres et ces aigles qui passent en volant ? Il y a, dans ces marais, des poissons à profusion. Vois tu ces îles qui se dressent dans l'eau ?". Un tel spectacle parut prodigieux aux yeux de Howel et il resta longtemps en admiration devant l'étendue d'eau. Puis Howel, ce grand seigneur, prononça les paroles suivantes à cet endroit : "Depuis que j'ai quitté le ventre de ma mère, jamais je n'ai vu, où que ce soit, des choses ausi prodigieuses que celles que je vois ici devant moi !". Les Bretons, en effet, s'émerveillèrent grandement. Puis Arthur, le plus noble des rois, prit la parole : "Howel, mon propre parent, l'homme auquel je suis le plus attaché, écoute mon récit à propos d'un prodige encore plus grand et dont je vais te raconter la vérité. Au bout de ce lac, à l'endroit où l'eau s'écoule, se trouve un certain petit lac, un vrai mystère pour les hommes ! Il mesure soixante-quatre empans de long, vingt-cinq pieds de large et cinq pieds de profondeur. Des elfes l'ont creusé ! Il a quatre côtés. On y trouve quatre sortes de poissons, chaque espèce restant dans sa partie où ne se trouve que cette variété. Une espèce ne se mélange pas avec les autres, chaque poisson reste groupé avec ceux de sa race. Il n'y a jamais eu sur terre un homme au savoir si poussé, même s'il vivait très longtemps, qui ait pu comprendre ce qui empêche les poissons de nager vers les autres car il n'y a rien qui les sépare sauf de l'eau pure !". [10984]

Puis, Arthur, le plus noble des rois, reprit : "Howel, à l'extêmité de cette région, près de la côte, il existe un lac très grand - son eau est traîtresse ! Lorsque la mer est grosse, comme enragée, et qu'elle se déverse dans le lac par paquets, en dépit de cela, l'eau du lac ne monte toujours pas. Mais lorsque la marée descend, que le rivage est dégagé et que les nappes d'eau ont retrouvé leur cours d'origine, alors le lac grossit, les vagues deviennent sombres. D'énormes vagues s'élèvent dans les airs, submergent la région et terrorisent les habitants des alentours. Si un visiteur, qui ne sait rien de tout cela, vient pour contempler la vue splendide près de la côte, s'il regarde vers le lac, alors il ne court aucun danger, de naissance aussi modeste soit-il. L'eau coule à côté de lui et l'homme est tranquille. S'il le désire il reste là, immobile, si bien qu'il n'est nullement blessé". Alors Howel, le maître de la Bretagne, déclara : "Je viens d'entendre un récit stupéfiant et magnifique est le Seigneur qui créa tout cela !" . [11005]

Puis Arthur, le plus noble des rois, s'écria : "Sonnez mes trompettes avec fracas et dites à mes chevaliers que je pars immédiatement". On sonna les trompettes, des cors retentirent. La joie régnait parmi les nobles hommes qui accompagnaient ce roi si entreprenant car tous étaient joyeux et chacun rentra chez soi. Et le roi leur ordonna, sous peine de mort, qu'aucun ne soit insensé, qu'aucun ne soit déraisonnable au point de briser sa paix. Si quelqu'un le faisait, alors il serait mis à mort. Sur ces mots, l'armée se mit en route. Les guerriers chantaient des chansons prodigieuses au sujet du roi Arthur et de ses soldats, ils disaient dans leur chanson qu'il n'existerait jamais - d'ici la fin des temps - de roi comparable, à tous points de vue, à Arthur, ni roi ni empereur dans aucun royaume ! [11021]

Arthur se rendit à York avec une armée innombrable. Il demeura (dans cette ville) avec grand plaisir pendant six semaines. Les remparts de la cité, que Childric avait totalement incendiée, s'étaient effondrés et étaient en ruines. Les grand'salles étaient complètement détruites. Puis le roi appela Piram, un prêtre éminent. C'était un homme très sage, qui connaissait bien les écritures. "Piram, tu es mon propre prêtre - il en ira d'autant mieux pour toi !". Le roi saisit une sainte croix, de grande valeur, la remit à Piram en même temps qu'un très grand domaine. Puis il donna à Piram la crosse d'archevêque : jusque là, Piram avait été un bon prêtre maintenant c'était un archevêque ! Puis Arthur, le plus noble des rois, le pria d'ériger des églises et d'y restaurer les cantiques, de se soucier du peuple de Dieu et de bien les conseiller. Et il ordonna à tous les chevaliers de rendre la justice avec équité, aux paysans de reprendre leur travail, et à chacun de respecter les autres. Et ceux qui agiraient mal, contrairement à ce que le roi avait prescrit, seraient immédiatement condamné au bûcher ; et s'il s'agissait d'une personne de rang inférieure, alors elle serait pendue. Puis Arthur, le plus noble des rois, reprit. Il ordonna que tous ceux qui avaient perdu leurs terres, quelle que soit la sanction à l'origine de leur expulsion, devaient revenir sans tarder, les riches comme les humbles, et reprendre possession de leur propriété à moins qu'ils soient mauvais au point d'avoir trahi leur seigneur ou d'être parjures, ce que le roi considérait comme impossible à pardonner. [11048]

Alors arrivèrent trois frères, de naissance royale, Loth, Angel et Urien - trois hommes admirables ! Ces trois guerriers allèrent voir le roi et se mirent à genoux devant l'empereur. "Nous te saluons, Arthur, le plus noble des rois, ainsi que tous tes gens. Qu'ils se portent toujours bien ! Nous sommes trois frères, de sang royal. Nous avons été dépossédés de notre territoire légitime car des païens nous ont réduits à la misère : ils ont ravagé la totalité du Lothian, de l'Ecosse et du Moray. Et nous te supplions, pour l'amour de Dieu, de nous venir en aide et, pour ton grand honneur, d'être clément avec nous. Restitue-nous notre territoire légitime et nous t'aimerons, te reconnaîtrons comme seigneur dans chacune des contrées". Arthur, le plus noble des rois, entendit ces paroles, les supplications de ces trois nobles chevaliers. Il fut ému, commença à parler, le meilleur des rois dit ces paroles : "Urien, deviens mon homme. Tu vas retourner au Moray, tu seras à nouveau proclamé roi de ce pays et tu auras un haut rang dans mon armée, ainsi que tes guerriers. Je remets l'Ecosse entière à Angel. Dirige la, que ta lignée, de père en fils, en soit le roi. Pour ce royaume, tu vas devenir mon homme. Quant à toi, Loth, mon cher ami, que Dieu t'accorde sa grâce. Tu as ma soeur pour épouse, il en ira d'autant mieux pour toi ! Je te donne le Lothian qui est une belle région. Et je vais y ajouter de très bons territoires qui touchent l'Humber et qui valent une centaine de livres. Car mon père Uther, tant qu'il fut roi ici, aima beaucoup sa fille qui occupait ses prières. C'est ma soeur et elle a deux petits garçons qui sont les deux enfants auxquels je suis le plus attaché au monde". Telles furent les paroles du roi Arthur. Walwain était alors un petit enfant, tout comme son frère Modred. Quel malheur que Modred ait vu le jour - de grands malheurs découlèrent de sa naissance ! [11084]

Arthur partit pour Londres, suivi de ses gens. Il tint une grande assemblée dans le royaume et confirma toutes les lois qui avaient été en vigueur du temps de ses prédecesseurs, toutes les bonnes lois qui avaient existé auparavant. Il établit la paix, le calme et de nombreuses franchises. De là, il se rendit en Cornouailles, le royaume de Cador. Il y rencontra une jeune fille d'une très grande beauté. La mère de cette jeune fille était d'origine romaine, c'était une parente de Cador. Elle lui avait confié (sa) fille qui l'avait reçue avec gentillesse et l'avait élevée avec tendresse. Elle était issue d'une famille romaine noble. Aucun pays ne connaissait jeune fille plus gracieuse ; ses paroles, actes et manières étaient les meilleurs qui soient. Elle s'appelait Wenhaver et était la plus belle des femmes. Arthur la prit pour femme et l'aima prodigieusement ; il épousa cette jeune fille et la reçut dans son lit. Arthur séjourna tout l'hiver en Cornouailles en raison de son amour pour Wenhaver - la femme qui lui était la plus chère. [11102]

Une fois l'hiver passé et avec le retour de l'été, Arthur se demanda ce qu'il pouvait faire afin que ses bons sujets ne restent pas là, inactifs. A la mi-carême, il se rendit à Exeter où il réunit l'assemblée de ses nobles gens. Il annonça qu'il avait décidé d'aller en Irlande pour s'approprier tout le royaume. A moins que le roi Gillomar ne vienne, sans attendre, le voir en premier et lui parler de son plein gré pour demander la paix d'Arthur, il ravagerait son pays, le traiterait sans pitié et agirait avec brutalité en ayant recours au feu et à l'acier. Il tuerait les habitants qui lui résisteraient. A ces paroles prononcées par le roi, les hommes répondirent noblement : "Seigneur roi, tiens parole. Nous sommes tous prêts à aller, à pied et à cheval, où tu pourras en avoir besoin". Il y avait là de nombreux Bretons qui semblaient être des ours : ils fronçaient les sourcils, étaient fous de rage intérieurement. Les chevaliers regagnèrent leurs logis, accompagnés de leurs hommes. Ils nettoyèrent leurs armures, apprêtèrent leurs heaumes, pansèrent leurs étalons avec des toiles de lin. Ils coupèrent leur crinière, les ferrèrent : ces hommes étaient vifs. Certains façonnèrent des cors, d'autres taillèrent des os, certains préparèrent des flèches d'acier, d'autres fabriquèrent de bonnes lanières très solides, certains forgèrent des lances , d'autres encore préparèrent des boucliers. Arthur fit proclamer dans tout son royaume que tout bon chevalier devait venir immédiatement, tout homme brave devait le rejoindre aussitôt, que tous ceux qui resteraient à l'arrière, se verraient couper les membres tandis que ceux qui viendraient de plein gré, feraient fortune. [11132]

Sept nuits après Pâques, lorsque les hommes eurent jeûné, alors tous les chevaliers embarquèrent aussitôt. Le vent leur était favorable et les mena en Irlande. Arthur pénétra dans ce pays et tua les habitants. Il abattit un grand nombre de gens, confisqua une grande quantité du bétail. Il ordonna chaque fois de respecter les églises, asiles sacrés. Le roi, le seigneur de ce pays, apprit qu'Arthur avait débarqué et commettait des ravages. Il fit venir tous ses hommes, de l'ensemble du royaume. Ses sujets irlandais partirent pour combattre le noble roi Arthur. Arthur et ses chevaliers s'armèrent immédiatement et cette troupe immense partit à leur rencontre. Les hommes d'Arthur étaient protégés par leur armure, les Irlandais étaient pratiquement nus avec seulement des lances, des haches et des couteaux acérés. Les hommes d'Arthur décochèrent de nombreuses flèches et touchèrent les soldats irlandais si bien qu'ils moururent en grand nombre. Ils ne pouvaient tenir bon, en aucune façon, et s'enfuirent rapidement par milliers. Et le roi Gillomar s'enfuit, se sauva. Arthur le poursuivit et attrapa le roi. Arthur mit la main sur le roi du pays. [11155]

Le noble Arthur retourna dans son logis. Il se réjouissait de savoir Gillomar si proche de lui. Alors, Arthur, le plus noble des rois, fit preuve d'une grande gentillesse devant tous ses hommes. Il fit vêtir somptueusement le roi ; de plus, ce dernier fut placé à côté d'Arthur et mangea avec lui. Il but du vin avec Arthur, ce qui ne lui fit pas grand plaisir ! Toutefois, lorsqu'il vit qu'Arthur était très content, alors Gillomar déclara, le coeur triste : "Seigneur Arthur, ta paix ! Ne me blesse pas et laisse moi la vie sauve ! Je vais devenir ton homme, te livrerai mes trois fils, mes chers fils, pour que tu en fasses ce que tu veux. Et je ferai même plus si tu m'accordes ta grâce. Je te donnerai des otages de très hauts rangs, une soixantaine d'enfants nobles et (de familles) très puissantes. Et je ferai même plus si tu m'accordes ta grâce ! Chaque année, j'enverrai de mon pays sept mille livres et soixante marks d'or dans ton royaume. Et si tu m'accordes ta grâce, je ferai même plus : je remettrai entre tes mains tous les coursiers avec tout leur harnachement, les faucons et les chiens de meute ainsi que les plus grands trésors de l'ensemble de mon royaume. Et lorsque tu me l'auras accordée, je prendrai les reliques de Saint Columba qui fit la volonté de Dieu, la tête de Saint Brendan que Dieu lui-même sanctifia, le pied droit de Sainte Brigit qui est très bonne et glorifiée et de nombreuses reliques sacrées qui viennent de Rome et je te jure sincèrement que je ne te trahirai pas. Mais je te respecterai, te tiendrai pour mon seigneur, je te reconnaîtrai comme roi suprême et serai ton vassal". [11185]

Arthur, le plus noble des rois, entendit ces paroles et se mit à rire d'une voix forte. Il répondit alors avec des mots charmants : "Réjouis toi, Gillomar ! que ton coeur ne soit pas triste car tu es un homme sage. Il n'en ira que mieux pour toi car on devrait toujours traiter dignement un homme sage. Grâce à ta sagesse, tu ne connaîtras pas le pire. Tu m'offres beaucoup, il en ira d'autant mieux pour toi. Ici même, dès maintenant, devant tous mes chevaliers je te remets plus de la moitié de l'or et des trésors. Mais tu vas devenir mon homme et, chaque année, tu m'enverras dans mon pays la moitié du tribut. Je te laisse la moitié des destriers et la moitié des vêtements, la moitié des faucons et la moitié des chiens que tu m'as proposés. J'accepte, par contre, les enfants des grands de ton royaume, auxquels ceux-ci sont si attachés ; alors je leur ferai davantage confiance. Et ainsi, tu vivras, avec l'honneur qui te revient, dans ton royaume, ton territoire légitime. Et je te certifie qu'aucun roi ne te maltraita sans en payer le prix sur son dos nu !". Ainsi parla le roi Arthur, le plus noble des rois. Alors il eut en sa possession l'Irlande toute entière. Le roi devint son homme et livra à Arthur ses trois fils. [11209]

Puis Arthur dit à ses bons chevaliers : "Partons pour l'Islande et emparons-nous d'elle". L'armée se hâta et arriva en Islande. Le roi, le maître du pays, s'appelait Aelcus. Il apprit la nouvelle au sujet du roi Arthur. Il agit en homme avisé et alla aussitôt à sa rencontre, sans attendre, accompagné de seize chevaliers. Il avait à la main un grand sceptre en or. Dès qu'il vit Arthur, il s'agenouilla et lui dit ces paroles : "Bienvenue, Sire Arthur, bienvenue, seigneur ! Je remets entre tes mains, ici même, l'Irlande toute entière. Tu seras mon roi suprême et je serai ton vassal. Je t'obéirai, comme tout homme doit faire avec son seigneur, je deviendrai ton homme, te livrerai mon cher fils, qui s'appelle Escol ; et tu lui feras un grand honneur en l'armant chevalier comme ton propre vassal. J'ai pour épouse, sa mère, la fille du roi de Russie. De plus, chaque année, je te donnerai de l'argent, sept mille livres d'argent et d'or. Je serai prêt à t'aider dans toutes tes décisions. Je te promettrai tout ceci en jurant sur mon épée. La relique qui est dans sa hampe est la plus sacrée de ce pays. Je ne te trahirai jamais, quel que soit mon désir de le faire". [11233]

Arthur, le plus noble des rois, entendit ces paroles. Arthur était charmant lorsque sa volonté était exaucée mais il était implacable avec ceux qui lui faisaient front. Arthur entendit les paroles pacifiques du souverain. Il accepta tout ce qu'il avait proposé : les otages, les serments et tous ses présents. [11239]

Puis le très vaillant roi des Orcades, un guerrier païen du nom de Gonwais, apprit, ce qui était vrai, que le roi Arthur avait décidé de débarquer dans son territoire, qu'il voguait vers son pays avec une flotte immense. Gonwais alla à sa rencontre, accompagné par ses chevaliers avisés. Il remit à Arthur toutes les Orcades ainsi que vingt-deux îles des alentours. Il lui prêta hommage avec grand respect. Et il lui jura, devant tous ses gens, de lui fournir à son propre compte, chaque année, soixante navires en tout et de les lui faire parvenir à Londres, entièrement chargés de bons poissons de mer. Il garantit ce traité : livra les otages, prêta de solides serments, jurant qu'il ne reviendrait pas sur sa parole. Puis il prit congé et partit : "Seigneur, très bonne journée. Je viendrai chaque fois que je pourrai car tu es désormais mon seigneur, le plus cher des rois". [11257]

Une fois cet épisode terminé, Arthur souhaitait encore conquérir d'autres territoires. Il envoya de solennels messages au Gotland , saluant le roi Doldanim, le priant de venir à sa rencontre, sans tarder, de devenir son homme et de lui livrer ses deux fils. "Et si tu refuses, fais en à ta tête, mais je t'enverrai seize mille nobles guerriers, pour ton grand malheur ! Ils ravageront ton pays, tueront tes sujets, disposeront du territoire selon leur désir, et, quant à toi, t'enchaîneront et t'amènerons à moi". Le roi écouta ce message, entendit la menace de l'empereur. Promptement, il prit ses riches atours, chiens et faucons, ses bons chevaux, beaucoup d'argent et beaucoup d'or. Il prit ses deux fils par la main. Puis il alla au devant du roi Arthur. Le noble Doldanim prononça ces paroles : "Je te salue, Arthur, le plus noble des rois ! J'ai amené ici mes deux fils. Leur mère est de race royale, c'est ma propre épouse. Je l'ai obtenue comme butin en Russie. Je te livre mes chers fils ; quant à moi, je vais devenir ton homme. Et mon royaume te payera tribut : tous les ans, comme signe de dépendance, je t'enverrai à Londres sept mille livres. Je te jurerai de tenir parole : je vais devenir ton homme - ton honneur n'en sera que plus grand - je ne te trahirai jamais jusqu'à la fin des temps". [11284]

Arthur réunit ses messagers et les envoya au Winetland à la cour du roi Rumareth. Il les pria instamment de lui faire savoir qu'il détenait la G.Bretagne, l'Ecosse, le Gutland et l'Irlande, les Orcades et l'Islande. Il ordonna à Rumareth de venir et de lui livrer son fils aîné. Et s'il refusait, il le chasserait de son pays. Et s'il le capturait, il le transpercerait ou le pendrait, ravagerait son pays entier et exterminerait son peuple. Rumareth, le puissant roi du Winet(land), entendit ce message. Il était terrifié, comme les autres avant lui. Le discours du roi Arthur lui étaient odieux ; cependant, le roi Rumareth suivit la mise en garde, prit son fils aîné et douze nobles comtes et partit à la rencontre du noble roi Arthur. Il s'agenouilla à ses pieds et s'adressa à lui avec courtoisie : "Je te salue, Arthur, le plus noble des Bretons ! je me nomme Rumareth, (je suis) le roi du Winetland. J'ai beaucoup entendu parler de ta vaillance, tu es reconnu, par delà les frontières, comme le plus hardi des rois. Tu t'es emparé d'un grand nombre de royaumes. Il n'y a pas de souverain sur terre, roi ou empereur, capable de te résister au combat. Tu sors vainqueur de tout ce que tu entreprends. Me voilà devant toi, je t'ai amené mon fils aîné, je remets entre tes mains ma personne, mon royaume, mon cher fils et tout mon peuple, ma femme, mes vêtements et tous mes biens à condition que tu m'assures de ne pas avoir recours à tes féroces attaques. Deviens mon roi suprême et je serai ton vassal. Je te donnerai cinq cents livres d'or. Tous les ans je te payerai tribut". Arthur accepta tout ce que le roi proposait puis il tint conseil avec ses bons chevaliers et déclara qu'il voulait retourner dans son pays pour voir Wenhaver, la délicieuse reine. [11319]

Il fit sonner les trompettes et rassembler son armée. Les chevaliers montèrent à bord des navires, ils débordaient de joie. Le vent leur fut favorable, le temps était idéal, ils s'en réjouirent. Ils débarquèrent à Grimsby. Les plus grands du royaume furent vite mis au courant de cette arrivée et la reine reçut des nouvelles du roi Arthur, elle apprit qu'il était rentré sain et sauf, qu'il avait tous ses hommes. [11326]

Il y eut de grandes réjouissances en G.Bretagne : ici, des accords de vièle et des chants, mêlés à des airs de harpe ; et là, de joyeuses mélodies de pipeaux et trompettes. Des poètes chantèrent alors le roi Arthur et le grand honneur qu'il avait remporté. Des personnes de toutes nationalités se pressaient à la cour, les gens connaissaient le bien-être à des kilomètres à la ronde. Tous ceux qui rencontraient Arthur, les riches comme les pauvres, s'inclinaient devant lui comme la grêle qui tombe ! Aucun Breton était misérable au point de ne pas s'être enrichi ! On peut maintenant lire que le roi Arthur vécut ensuite douze années ici dans la paix et la tranquillité, dans la somptuosité. Personne ne le combattit et il ne déclara aucune guerre. Jamais personne ne put concevoir de joie plus grande, dans n'importe quel pays que ce soit, que celle-ci. Jamais personne ne connut contentement aussi grand que celui d'Arthur et de son peuple là. [11344]

Je vais maintenant raconter ce qui arriva, aussi prodigieux que cela puisse paraître. C'était un jour de Noël alors qu'Arthur se trouvait à Londres. A cette occasion des hommes de tous ses royaumes étaient venus à sa cour, de G.Bretagne, d'Ecosse, d'Irlande, d'Islande et de tous les pays qu'Arthur détenait, tous les chevaliers de très haut rang et leurs chevaux et écuyers. Il y avait sept fils de rois avec sept cents chevaliers sans compter les hommes de la cour d'Arthur. Chacun d'entre eux avait le coeur rempli de pensées présomptueuses et estimait qu'il valait mieux que ses compagnons. Ces hommes venaient de divers pays. Il y avait une rivalité envieuse entre eux car si l'un se considérait grand l'autre s'estimait encore plus grand. On sonna alors les trompettes et dressa les tables. Des hommes posèrent au sol des bols en or remplis d'eau puis apportèrent de fines nappes de soie blanche. Alors Arthur s'assit, la reine Wenhaver prit place à côté de lui. Les comtes s'assirent ensuite, puis vinrent les barons et les chevaliers, selon l'ordre dans lequel ils furent placés. Des seigneurs apportèrent aussitôt jusqu'à la table de la nourriture aux chevaliers, puis aux barons, aux écuyers et aux serveurs. Ces hommes s'emportèrent, les coups pleuvaient. Au début, ils lancèrent les miches de pain, tant qu'il y en eut, puis les coupes en argent remplies de vin et, enfin, les poings rencontrèrent les cous. Puis un jeune homme, originaire du Winetland, bondit. Il avait été donné comme otage à Arthur, c'était le fils de Rumareth, le roi du Winetland. Ce chevalier s'adressa ainsi au roi Arthur : "Seigneur Arthur, va vite dans ta chambre. Prends avec toi ton épouse et tes parents proches. Nous allons nous occuper de cette échauffourée entre ces guerriers étrangers". Sur ces mots, il bondit vers la table sur laquelle se trouvaient les couteaux devant le monarque. Il prit trois couteaux et en utilisa un pour frapper le cou du chevalier qui avait déclenché cette bagarre si bien que la tête de ce dernier roula sur le sol. Sans attendre, il en tua un autre, le frère du chevalier précédent. Il en avait abattu sept avant l'arrivée des épées. La bagarre était féroce, chacun frappant l'autre, le sang coulait abondamment, le malheur était à la cour ! [11386]

Puis le roi sortit de la chambre en compagnie d'une centaine d'hommes en heaumes et cottes de mailles. Chacun d'entre eux avait une lame d'acier à la main droite. Puis Arthur, le plus noble des rois s'écria : "Asseyez-vous ! que chaque homme s'asseoit rapidement, diable ! et quiconque ne le fera pas sera mis à mort. Emparez-vous de l'homme qui fut à l'origine de cette rixe, mettez-lui une corde autour du cou, conduisez-le à un marais et jettez-le dans une profonde tourbière où il reposera. Emparez-vous de tous ses parents proches que vous trouverez et tranchez-leur la tête de vos larges épées. Coupez le nez et privez de toute beauté les femmes que vous trouverez de sa famille proche : de la sorte j'anéantirai totalement la race dont il était issu. Et si, par la suite, j'apprends à nouveau qu'un de mes hommes, grand ou humble, redéclenche un conflit à cause de cette querelle, ni de l'or ni aucun trésor ne pourront servir de rançon ; un beau cheval ou une armure ne pourront pas lui éviter la mort ou d'être écartelé par des chevaux - sort réservé à tout traître ! Apportez les reliques que je prête serment dessus. Vous allez faire de même, vous chevaliers, qui avez participé à cette rixe, comtes et barons, et jurer de ne pas revenir sur votre parole". [11409]

Arthur, le plus noble des rois, prêta serment le premier, puis vinrent jurer les comtes, les barons, les chevaliers et les écuyers, promettant de ne plus jamais déclencher de querelles. On emporta tous les morts qui furent portés à un lieu de sépulture. Puis on sonna les trompettes qui résonnèrent joyeusement. Content ou mécontent, chacun fit usage de l'eau et des serviettes puis alla s'attabler en toute amitié, simplement par crainte d'Arthur, le plus noble des rois. Des échansons arrivèrent très nombreux, des jongleurs chantèrent, des harpes résonnèrent. Les hommes étaient heureux. La cour fut traitée de la sorte pendant sept nuits entières. [11421]

Le conte dit ensuite que le roi se rendit en Cornouailles. Aussitôt, un artisan adroit vint le trouver. Une fois devant le roi, il le salua avec courtoisie : "Je te salue, Arthur, le plus noble des rois ! Je suis un de tes sujets, j'ai parcouru de nombreuses contrées. Je suis très habile en menuiserie. J'ai appris, outre mer, ce qui est arrivé récemment, à savoir que tes chevaliers se sont mis à se battre à ta table le jour du solstice d'hiver. Un grand nombre d'entre eux moururent ce jour là à cause de leur grande prétention qui les mena à se lancer dans un jeu meurtrier. Chacun, au nom de son noble lignage, voulait se trouver (à ta table). Mais je vais te faire une très belle table ronde autour de laquelle mille six cents personnes, et même plus, pourront s'asseoir. Tous se feront face, personne ne sera à l'écart. D'un côté comme de l'autre, chacun verra l'autre. Lorsque tu souhaiteras voyager, tu pourras l'emporter avec toi et la monter où tu le voudras, selon ton désir. Et tu n'auras jamais à redouter, jusqu'à la fin des temps, qu'un chevalier vaniteux ne déclenche une rixe à ta table car alors les grands seront à égalité avec les humbles". [11441]

On fit venir du bois et il commença la fabrication de la table. Elle fut achevée en quatre semaines. La cour fut réunie un jour de fête, Arthur s'avança en premier vers la table et pria tous ses chevaliers de venir immédiatement prendre place. Une fois tous les chevaliers attablés, chacun parla aux autres comme à des frères. Ils étaient assis tout autour (de la table), personne n'était à l'écart. Les chevaliers de tous rangs étaient bien placés, ils étaient tous égaux, grands et humbles. Personne ne pouvait se vanter de boire autre chose que ses compagnons de table. [11453]

C'était la table dont les Bretons sont si fiers, au sujet de laquelle ils racontent des légendes de toutes sortes au sujet du roi Arthur . Tout homme qui en aime un autre agit de la sorte. S'il lui est très cher, alors il ment et le couvre de plus de louanges qu'il n'en mérite. Il n'existe pas d'homme si vil que son ami ne désire son bien. De même, où que ce soit, si la discorde s'installe entre deux hommes, on peut entendre des mensonges au sujet de celui qui est haï ; même s'il était le meilleur homme jamais assis à table, celui qui le déteste ne lui trouverait que des défauts ! Tout ce que les poètes chantent n'est pas pure vérité ou pur mensonge mais c'est la vérité en ce qui concerne le roi Arthur. Il n'y eut jamais, avant lui, de roi aussi valeureux en toutes choses. La vérité de ce qui est arrivé au roi Arthur, du début à la fin, a été couché par écrit : on y décrit ses actes tels qu'ils furent, ni plus ni moins. Mais les Bretons l'aimaient beaucoup et racontent souvent des mensonges à son sujet, disant des choses sur le roi Arthur qui ne se sont jamais passées sur cette terre ! Celui qui dit la vérité a beaucoup de choses prodigieuses à raconter au sujet du roi Arthur ! [11475]

Arthur était alors très puissant, sa cour resplendissante, si bien qu'il n'existait pas de chevalier si estimé et si vaillant dans ses actes, au Pays de Galles, en Angleterre, en Ecosse ou en Irlande, en Normandie ou en France, en Flandre ou au Danemark, ou dans tout autre pays situé de ce côté du Montgieu (=col du Grand saint Bernard), qui soit tenu pour un bon chevalier et dont les actes soient considérés comme hardis à moins qu'il ne parle d'Arthur et de sa noble cour, de ses armes, armures et cavaliers ; à moins qu'il ne dépeigne et chante le jeune Arthur et ses chevaliers, leurs grands exploits, leur puissance et le degré de leur prospérité. Alors il était le bienvenu en tout lieu, où qu'il aille, même aussi loin que Rome. Tous ceux qui entendaient parler d'Arthur étaient émerveillés par ce noble roi. Cela avait été prédit bien avant qu'il ne soit né. Merlin en personne, ce grand prophète, avait dit qu'Uther Pendragon engendrerait un roi, que des ménestrels feraient une table de la poitrine de ce roi, que des poètes talentueux s'y assiéraient et mangeraient à satiété avant de partir, qu'ils tireraient du vin de la langue de ce roi et boiraient, feraient la fête jour et nuit. Ce divertissement devrait les combler jusqu'à la fin des temps. Merlin prédit d'autres choses qui devait se réaliser, que tous ceux, sur lesquels son regard se porterait, se jetteraient à ses pieds. Merlin prédit un plus grand prodige encore : il annonça qu'il y aurait une immene affliction lors du départ du roi. Il ne se trouverait pas un Breton qui croirait à la mort de ce roi sauf s'il s'agissait de la fin des temps, du jugement dernier lorsque le Seigneur jugerait l'humanité. En dehors de cette éventualité, nous ne pouvons pas croire à la mort d'Arthur car il déclara lui-même à ses nobles Bretons, au sud en Cornouailles où Walwain fut tué et lui-même très gravement blessé, qu'il allait se rendre dans l'île d'Avalon auprès de la belle Argante car elle soignerait ses blessures avec un baume et qu'une fois entièrement guéri, il reviendrait parmi eux. Les Bretons croient à son retour et attendent toujours le moment où il regagnera notre pays comme il le leur promit avant de partir. [11517]

Sur cette terre, Arthur fut un roi avisé et puissant, un homme bon et pacifique, aimé de ses sujets. Ses chevaliers étaient fiers, leur courage était grand. Ils parlèrent au roi d'une chose extraordinaire. Ceux de son entourage s'adressèrent ainsi au grand roi : "Seigneur Arthur, partons pour le royaume de France, et plaçons tout ce pays en ton pouvoir, chassons tous les Français, tuons leur roi, emparons-nous de tous leurs châteaux et installons-y des guerriers bretons, soumettons ce royaume par la force implacable. Alors Arthur, le plus noble des rois, répondit : "Je ferai ce que vous demandez mais je vais d'abord aller en Norvège. Je vais prendre avec moi mon beau-frère Loth, le père de Walwain que j'aime beaucoup. Car j'au reçu des nouvelles fraîches de Norvège : le roi Sichelin est mort, il a quitté son peuple et a légué tout son royaume à Loth. Le roi, en effet, n'a ni fils ni fille et Loth est le fils de sa soeur - il en ira d'autant mieux pour lui car je vais faire de lui le nouveau roi de Norvège et lui enseignerai comment bien gouverner les gens. Lorsque j'aurai terminé, je reviendrai au pays, préparerai mon armée et irai en France. Et si le roi me résiste, et refuse de demander ma paix, alors je l'écraserai au combat". [11542]

Arthur fit sonner les cors et trompettes, convoqua les plus vaillants Bretons au bord de la mer. Il avait de bons navires sur la côte. Quinze cents s'éloignèrent du rivage, filèrent sur l'eau comme s'ils avaient eu des aîles et progressèrent vers la Norvège à vive allure. Dès leur arrivée, ils entrèrent au port et débarquèrent dans le royaume, armés jusqu'aux dents. Arthur envoya ses messagers dans tout le pays, ordonnant aux habitants de venir rapidement et de prendre Loth comme roi. Et s'ils refusaient, il les tuerait tous. Puis les comtes norvégiens choisirent leurs messagers qu'ils adressèrent au roi exigeant qu'il reparte. "Et si tu ne veux pas partir, alors tu connaîtras le malheur et la douleur, car nous n'élirons jamais comme roi, d'ici la fin des temps, un homme étranger. Car, bien que Sichelin soit mort, il y a d'autres hommes de qualité ici même, que nous pouvons, de notre propre volonté, choisir comme roi. Voilà la véritable alternative : ou tu rebrousses chemin et t'en retournes directement chez toi ou dans sept nuits, à compter d'aujourd'hui, tu devras affronter une grande bataille". Les comtes norvégiens décidèrent en conseil qu'ils auraient un roi de leur propre race car ils considéraient que les paroles de Sichelin n'étaient que bétises. "Et ceci n'arrivera jamais d'ici la fin des temps. Nous allons choisir Riculf, qui est un comte très puissant, et le couronner roi - solution satisfaisante pour nous tous - et rassembler nos troupes de l'ensemble du pays, marcher en direction d'Arthur et le faire fuir sous nos armes. Nous poursuivrons Loth et le chasserons de notre pays ou alors le terrasserons au cours de la bataille". Ils choisirent Riculf, le comte de Norvège, et l'élirent roi, bien que la couronne ne lui revînt pas de droit. Puis ils rassemblèrent l'armée qui arriva de toute la Norvège. [11576]

Arthur, de son côté, envahit le pays et l'occupa. Il reduisit les villes en cendres, amassa un gros butin et tua beaucoup de gens. Aussitôt, Riculf partit à la rencontre d'Arthur. La bataille s'engagea, le combat débuta ! Les Bretons chargèrent contre eux - le malheur était parmi eux ! Ils tirèrent de longues épées des fourreaux ! Des têtes roulèrent sur le champ ! les visages blémissaient ! dans la mêlée, les guerriers visaient les poitrines de leurs pointes. Les hauberts rompaient ! Les Bretons étaient lestes, les boucliers vibraient ! les hommes tombaient (morts) ! Cette grande bataille dura ainsi tant qu'il fit jour. Qu'ils se tournassent vers l'est ou vers l'ouest, les Norvégiens avaient le dessous. Qu'ils se tournassent vers le sud ou vers le nord, les Norvégiens s'écroulaient ! Les Bretons étaient hardis, ils tuèrent les Norvégiens. Vingt-cinq mille Norvégiens tombèrent morts à cet endroit, le roi Riculf fut tué, privé de vie. Ce peuple fut décimé. Ceux qui eurent leur misérable vie sauve, imporèrent la paix d'Arthur. [11595]

Arthur se tourna vers Loth, qui lui était très cher, et le puissant Arthur s'adressa ainsi à lui : "Loth viens ici me voir, tu es mon cher ami. Je remets ici-même entre tes mains tout ce royaume. Tu le dirigeras sous mon autorité, je serai ton protecteur". [11600]

Alors survint Walwain, le fils aîné de Loth. Il arrivait de Rome, du pape qui se nommait Supplice et qui l'avait éduqué longtemps puis armé chevalier. C'était une bonne chose que Walwain ait vu le jour car Walwain était magnanime et paré des meilleures vertus qui soient. Il était généreux et c'était le meilleur des chevaliers. Tous les hommes d'Arthur s'enhardirent grandement à cause de l'arrivée, parmi eux, du vaillant Walwain et à cause de la montée sur le trône de son père Loth. Alors Arthur s'adressa à ce dernier, lui commanda de maintenir une bonne paix, d'aimer ses sujets pacifiques et d'abattre ceux qui ne voudraient pas respecter la paix. [11612]

Puis Arthur, le plus noble des rois, ajouta : "Où êtes-vous mes Bretons ? Partons maintenant sans attendre. Préparez mes bons navires qui attendent sur le rivage". Les chevaliers firent tout ce qu'Arthur leur avait ordonné. Lorsque les bateaux furent prêts, Arthur se rendit sur la côte. Il emmena avec lui ses chevaliers, ses guerriers norvégiens et ses valeureux Bretons puis prit la mer. Ce vaillant roi arriva au Danemark. Il fit planter des tentes sur de vastes plaines. Il fit sonner des trompettes et connaître son arrivée. [11622]

Il y avait alors au Danemark un roi très puissant. Il s'appelait Aescil, c'était le maître des Danois. Il constata qu'Arthur remportait tout ce qu'il convoitait. Le roi Aescil se demanda ce qu'il pouvait faire : il répugnait à perdre son cher peuple. Il comprit qu'il ne pouvait pas résister par la force à Arthur, quel que soit le combat. Il envoya ses salutations au roi Arthur ainsi que des chiens, faucons, de très beaux chevaux, de l'argent et de l'or rouge, accompagnés de mots prudents. Et le grand Aescil fit plus : il s'adressa aux commandants de l'armée d'Arthur et les pria d'intercéder en sa faveur auprès du noble roi afin qu'il puisse devenir son homme, livrer son fils comme otage et envoyer, chaque année, comme tribut de son pays un navire rempli, de fond en comble, d'or, de trésors et de riches étoffes. De plus, il prêterait serment de ne pas revenir sur sa parole. Arthur, le plus noble des rois, apprit qu'Aescil, le roi des Danois, et tous ses chevaliers voulaient devenir ses vassaux sans aucun combat. [11643]

Alors le puissant Arthur se réjouit et répondit ainsi en des mots apaisants : "Bienheureux celui qui remporte la paix, l'entente et l'amitié par la sagesse ! Lorsqu'il voit qu'il est contraint par la force et que son royaume est sur le point d'être détruit alors il faut qu'il desserre ses liens odieux par la perspicacité". Arthur pria le roi de venir le voir et d'amener son fils aîné. C'est ce que fit immédiatement le roi du Danemark. Il accomplit promptement la volonté d'Arthur. Ils se rencontrèrent et firent la paix. [11654]

Alors, Arthur, le plus noble des rois, ajouta : "Je vais partir pour la France avec mon immense armée. Je vais prendre neuf mille chevaliers de Norvège, je conduirai neuf mille hommes du Danemark, onze-cents des Orcades, trois mille hommes du Moray, cinq mille de Galloway, onze mille d'Irlande. Trente mille de mes vaillants chevaliers bretons marcheront devant moi. Je conduirai dix mille hommes du Gotland, cinq mille de Frise et le valeureux Howel de Bretagne. Avec cette troupe, j'attaquerai la France. Et comme j'espère l'aide de Dieu, je vais m'engager plus avant : dans tous les pays que je détiens, je vais ordonner à chaque homme brave capable de porter les armes de m'accompagner - s'il souhaite rester en vie et ne pas perdre un membre - pour combattre Frolle, le roi des Français qui est voué à la mort ! Il est né à Rome, de parents romains". [11675]

Arthur progressa et arriva en Flandre. Il conquit cette contrée et y installa des hommes à lui. Puis il partit de là en direction de Boulogne et s'empara de toute la région de Boulogne. Puis il prit le chemin qui menait en France. Alors il ordonna à tous ses hommes de ne rien prendre, où qu'ils aillent, mis à part ce qu'ils obtiendraient honnêtement, par un juste achat, au sein de l'armée du roi. Frolle entendit parler, à l'endroit où il se trouvait en France, des victoires et des triomphes d'Arthur, de la façon dont il remportait tout ce qu'il regardait et dont, tous ceux sur lesquels il portait le regard, se soumettaient à lui. Alors le roi Frolle fut pris d'une très grande frayeur ! A l'époque où ceci se passait, la terre des Français s'appelaient la Gaule. Frolle était venu en France depuis Rome ; tous les ans, il envoyait comme tribut de ce pays, mille livres d'argent et d'or. Frolle, qui était le maître de la France, fut alors mis au courant des ravages qu'Arthur commettait dans le pays. Il dépêcha immédiatement des messagers par le plus court chemin vers Rome, priant les Romains de décider entre eux combien de milliers de soldats ils allaient lui envoyer afin qu'il puisse au mieux résister à Arthur et chasser le puissant Arthur du pays. Des chevaliers quittèrent le territoire romain : vingt-cinq mille hommes se dirigèrent vers la France. Frolle et son immense troupe apprirent que les Romains avaient pris le chemin de la France. Frolle et ses soldats marchèrent à leur rencontre si bien que des hommes hardis, valeureux furent réunis, à cet endroit sur terre, en une seule armée gigantesque. Arthur, le plus noble des rois, l'apprit, rassembla ses hommes et partit dans leur direction. Jamais il n'y avait eu précédemment de roi, vivant sur terre, à la tête d'une telle multitude sur le champ de bataille car Arthur menait tous les hommes les plus valeureux de tous les royaumes qu'il possédait si bien qu'il ne savait pas combien de milliers il y en avait. [11715]

Dès que la bataille s'engagea entre Arthur et Frolle, ils frappèrent avec férocité tous ceux qu'ils croisaient. Des chevaliers très vigoureux saisirent de longues lances, chargèrent ensemble avec une grande violence. Toute la journée, les coups furent nourris ! Les hommes tombaient morts et rencontraient la mort ! les soldats enragés s'écroulaient sur l'herbe ! Les heaumes résonnaient ! Les comtes grondaient ! Les boucliers vibraient ! Les guerriers tombaient ! Alors Arthur, le plus noble des rois, s'écria : "Où êtes-vous mes Bretons, mes chevaliers hardis ? La journée avance et ces gens nous résistent. Envoyons-leur une grande quantité de lances acérées et apprenons-leur le chemin vers Rome !" [11729]

Sur ses mots, il bondit sur son destrier comme une étincelle s'échappant du feu. Cinquante mille valeureux combattants le suivirent, se précipitèrent dans la bataille, chargèrent contre Frolle, là où il était dans la mêlée, et le firent déguerpir - lui et sa grande armée. Arthur tua de nombreux hommes, leur nombre était incalculable ! [11736]

Alors le puissant Frolle trouva refuge dans Paris ; avec difficulté, il ferma solidement les portes. Puis, le coeur triste, il prononça ces paroles : "Il vaudrait mieux pour moi que je ne sois jamais né !". Il y eut à Paris, sans aucun doute, des récits pitoyables, des cris de détresse. Les citadins se mirent à trembler, ils se mirent à fortifier les murs, à consolider les portes. Ils emmagasinèrent toute la nourriture qu'ils touvèrent. De tous côtés, ils se ruèrent dans la ville. Tous ceux qui soutenaient Frolle se retrouvèrent là. Arthur, le plus noble des rois, apprit que Frolle était à Paris avec une vaste troupe et qu'il disait qu'il voulait résister à Arthur. Celui-ci, nullement intimidé, marcha sur Paris, encercla les murs et dressa ses tentes. Il cerna la ville sur quatre côtés pendant quatre semaines et un jour. Les citadins, à l'intérieur, étaient effrayés, les hommes s'étaient entassés dans la ville. Ils eurent bientôt mangé toute la nourriture qu'ils avaient amassée. Au bout de quatre semaines de siège par Arthur, alors la cité connut une détresse extrème avec les pauvres gens qui étaient affamés ; il y avait des pleurs, des lamentations, un grand désarroi. [11759]

Ils s'adressèrent à Frolle, l'implorèrent de faire la paix, de devenir l'homme d'Arthur et, tout en gardant sa dignité, de diriger le royaume sous l'autorité du vaillant Arthur mais de ne pas laisser les pauvres gens mourir complètement de faim. Alors Frolle, qui avait un grand coeur, répondit : "Non, que Dieu qui commande toutes les destinées, m'apporte son aide afin que je ne devienne jamais son homme et qu'il ne soit jamais mon souverain ! Je vais me battre en combat singulier - Dieu seul décide de ce qui est juste !". [11767]

Puis Frolle, qui avait un grand coeur, ajouta : "Non, que le Seigneur qui créa la lumière du jour m'apporte son aide, mais je ne demanderai jamais la clémence d'Arthur. Je vais me battre en combat singulier avec Arthur, dans un corps à corps, l'un contre l'autre, devant mes gens. Celui des deux qui sera le plus faible, sera rapidement le plus méprisé. Celui d'entre nous qui vivra sera encore plus cher à ses amis. Et celui de nous deux qui aura le dessus obtiendra le territoire de l'autre et en deviendra le maître. Voilà ce que je souhaite si Arthur accepte et je vais le promettre en jurant sur mon épée. Je vais fournir des otages, trois fils de rois, comme garantie de respect de cet accord. Je ne le violerai pas, je le promets sur ma vie car je préfère gésir mort devant mes gens plutôt que de les voir mourir de faim et joncher le sol. Car nous avons perdu nos chevaliers dans la bataille - cinquante mille hommes - et un grand nombre de nobles femmes sont devenues veuves, de nombreux enfants ont perdu leur père et tout réconfort. Et maintenant toutes ces personnes connaissent de grandes souffrances à cause de la faim. Il vaut donc mieux que nous nous départagions et décidions de l'avenir de ce royaume par un duel entre nous. Que le meilleur l'obtienne et le possède dans la joie !". [11792]

Sur ces mots, Frolle choisit immédiatement douze chevaliers et les envoya comme émissaire au roi Arthur pour savoir s'il acceptait cet accord, à savoir de gagner ce royaume par la force de ses bras ou alors de gésir mort et de perdre ses sujets. Et s'il remportait ce royaume, il pourrait le gouverner comme bon lui semblerait. Arthur, le plus noble des rois, écouta cette proposition. Il n'avait jamais été si heureux de sa vie car le message de Frolle lui plaisait. Et le noble Arthur prononça ces paroles : "Frolle, le roi de France, a raison. Il vaut mieux que nous nous départagions ce royaume plutôt que de faire mourir nos braves guerriers. J'approuve cet accord devant mes gens. J'accepte de faire ce qu'il propose à un jour convenu. Demain sera ce jour ; nous nous battrons devant nos hommes et que le moins bon perde ! Et si l'un d'entre nous s'enfuit, cherchant à abandonner ce combat, alors on le traitera de lâche dans tous les pays ! Alors on pourra chanter d'un roi qui avait proclamé des menaces et qui trahit son serment de chevalier !". [11813]

Frolle, le roi de France, apprit qu'Arthur acceptait de se battre seul, sans chevalier. Frolle était un homme fort, qui ne reculait jamais. Il avait formulé ses menaces devant tous ses gens, il ne pouvait, à moins de se déshonorer, se couvrir de honte en revenant sur les forfanteries qu'il avait prononcées dans la ville. Lorsqu'ils les avait dites, il pensait vraiment qu'Arthur les repousserait et n'accepterait pas le combat. Car si Frolle, le roi de France, avait su qu'Arthur allait consentir à ce qu'il avait demandé, alors il ne l'aurait pas fait pour un bateau rempli d'or ! Frolle était cependant très brave au combat, un chevalier très grand et un homme fort qui ne reculait jamais, aussi il répondit qu'il respecterait la date fixée et se rendrait dans l'île au milieu de l'eau - l'île qui se trouve au coeur de la ville de Paris, comme chacun sait. "J'y défendrai mes droits par les armes, avec le bouclier et l'armure d'un chevalier. Le jour convenu est demain, que celui qui gagne le voit en entier !". [11832]

Le roi Arthur apprit que Frolle avait l'intention d'obtenir la France par le combat. Il n'avait jamais été aussi heureux de sa vie et il se mit à rire, d'une voix forte, puis le vaillant Arthur ajouta ces paroles : "Je sais maintenant que Frolle va se battre avec moi, demain au matin, comme il l'a lui-même décidé, dans l'île au milieu de l'eau. Car il convient à un roi de tenir parole. Que les trompettes sonnent et que se rassemblent mes hommes : que chaque bon guerrier veille cette nuit et prie notre Seigneur, qui régit toutes les destinées, qu'il me protège du féroce Frolle et qu'il me garantisse du déshonneur de sa main droite. Et si je remporte ce royaume, il en ira d'autant mieux pour chaque homme pauvre et je ferai la volonté du Dieu tout puissant. Que celui qui peut tout m'apporte son aide, que le Roi suprême des cieux se tienne à mes côtés. Car je le vénérerai tant que je serai en vie !". Tout au long de la nuit, on chanta et on brûla des cierges. Des clercs chantèrent à haute voix les saints psaumes de Dieu. [11854]

Lorsqu'il fit jour, au matin, les hommes commencèrent à bouger. L'imposant Arthur revêtit son armure ; il endossa un costume splendide : un gilet de lin et une tunique de toile, une somptueuse cotte de mailles tressée d'acier. Il posa sur sa tête un excellent heaume, accrocha à côté de lui son épée Caliburn, couvrit ses jambes de jambières d'acier et plaça sur ses pieds de très bons éperons. Le roi revêtu de son armure bondit sur son destrier. On lui tendit un bon bouclier, tout en ivoire. On lui remit une lance solide au bout de laquelle se trouvait un fer admirable fabriqué à Caermarthen par un forgeron du nom de Griffin. Elle avait appartenu à Uther, qui avait été roi ici auparavant . [11870]

Une fois le vaillant (roi) armé, il partit. Alors tous ceux qui étaient là purent admirer le puissant souverain chevaucher gaillardement. Jamais, depuis la création du monde, ne fut dépeint, où que ce soit, un homme qui montait aussi bien à cheval qu'Arthur, le fils d'Uther ! De valeureux guerriers suivaient le roi : dans la première compagnie se trouvaient quatre mille nobles soldats vêtus d'acier, de vaillants Bretons, les armes à la main. Derrière venaient cinq mille hommes conduits par Walwain qui était un guerrier indomptable. Puis suivaient soixante mille valeureux Bretons qui formaient l'arrière garde. Il y avait le roi Angel, Loth et Urien, le fils d'Urien qui se nommait Ywain. Il y avait Kay et Beduer, qui commandaient cette armée. Il y avait le roi Howel, le maître de la Bretagne ; Cador, un guerrier hardi, était aussi présent. Il y avait le puissant Gillomar d'Irlande, le roi Gonwais, qu'aimaient les habitants des Orcades, le vaillant Doldamin qui venait du Gotland, le roi Aescil, qu'aimaient les Danois. Il y avait tant de milliers de fantassins qu'il n'existait pas sur terre d'homme avisé au point d'être capable de préciser le nombre de milliers à moins qu'il ne possède, en vérité, la sagesse du Seigneur ou le don de Merlin. [11898]

Arthur prit la route, suivi par une troupe innombrable jusqu'à la ville de Paris, sur la rive ouest du fleuve. Frolle était sur la rive est, avec son immense armée, prêt au combat. Il se trouvait devant tous ses chevaliers. Arthur prit un solide bateau, monta dedans avec son bouclier, son destrier et toute son armure. Il éloigna sa solide barque de la rive et débarqua dans l'île, conduisant son destrier par la main. Ses hommes, qui l'avaient amené à cet endroit, laissèrent le bateau s'éloigner au gré du courant, comme le roi l'avait ordonné. Frolle monta à bord. Le roi regrettait d'avoir eu l'idée de se battre contre Arthur. Il prit le chemin de l'île, revêtu de sa splendide armure. Il débarqua dans l'île et mena son cheval en marchant devant. Les hommes qui l'avaient conduit jusque là - suivant en cela les ordres du roi - laissèrent le bateau s'éloigner au gré du courant et les deux souverains se retrouvèrent seuls. Les deux rois restèrent là seuls. Ceux qui étaient présents pouvaient observer les personnes massées sur les rives et qui étaient très effrayées. Ils grimpèrent sur les salles communes, ils grimpèrent sur les murs, ils grimpèrent sur les chambres, ils grimpèrent sur les tours pour le combat entre les deux rois. Les hommes d'Arthur prièrent avec humilité le bon Dieu et sa sainte mère pour que leur seigneur remporte la victoire et les autres prièrent en faveur de leur roi. [11925]

Arthur mit le pied à l'étrier et bondit sur son destrier. Frolle, vêtu de son armure, bondit sur son cheval. L'un était à l'une des extrêmités de l'île et le second à l'autre bout. Ces royaux chevaliers tirèrent leurs lances. Ils préparèrent leurs montures, c'était de bons chevaliers ! Il n'exista jamais, où que ce soit, d'homme avisé à un tel point qu'il aurait pu deviner à l'avance lequel des deux rois allait l'emporter car ils étaient tous les deux des chevaliers hardis, des hommes vaillants et braves, des hommes à la très grande force, à l'immense vigueur ! Ils aiguillonnèrent leurs destriers et se ruèrent l'un vers l'autre. Ils chargèrent avec violence si bien que des étincelles s'échappaient derrière eux. Arthur frappa Frolle avec une force extrême sur le haut du bouclier et le bon destrier bondit dans l'eau. Arthur tira son épée - le malheur était imminent - et il frappa Frolle, à l'endroit où celui-ci était dans l'eau, de peur que leur combat n'aboutît pas. Mais Frolle saisit sa longue lance, maintint aussitôt Arthur à distance lorsque celui-ci se rapprocha et donna un très grand coup au flanc du cheval si bien que la lance transperça ce dernier et qu'Arthur tomba à terre. Alors une clameur s'éleva des spectateurs et la terre résonna en écho. Les cieux répercutèrent les cris de la foule. Les Bretons auraient traversé le fleuve si Arthur ne s'était relevé très vite, n'avait saisi son bon bouclier orné d'or et, tout en fondant en ennemi sur Frolle, n'avait dressé son bon et large bouclier devant sa poitrine. Et Frolle l'assaillit avec férocité, leva son épée, l'abattit et donna un grand coup sur le bouclier d'Arthur ce qui le fit voler à terre. Le heaume qui coiffait sa tête, et la cotte de mailles sur son front cédèrent et il reçut une blessure de dix centimètres de long - comme elle n'était pas plus importante, elle ne lui sembla pas douloureuse - aussi le sang coula le long de sa poitrine. Arthur était déchaîné intérieurement, il fit virevolter avec force son épée Caliburn, frappa Frolle sur le heaume qui se brisa en deux, tout comme le haut de l'armure, et l'épée se logea dans la poitrine. Alors Frolle s'écroula à terre, il rendit l'âme sur le sol couvert d'herbe. [11969]

Les Bretons rirent à gorge déployée, les autres s'enfuirent à vive allure. Le puissant Arthur regagna la rive et le plus noble des rois s'écria ainsi : "Où es tu Walwain, toi qui m'es le plus cher ? Ordonne à tous ces Romains de partir d'ici en paix. Que chacun puisse disposer de sa maison comme Dieu le lui en donne le droit. Ordonne à chaque homme, sous peine de perdre un membre ou la vie, de respecter la paix que je vais rendre publique dans sept jours à compter d'aujourd'hui. Ordonne à tous ces hommes de revenir à cette date et de se présenter à moi - il en ira d'autant mieux pour eux. Ils me prêteront hommage avec le respect qui m'est dû, je les placerai sous mon autorité et établirai de très bonnes lois dans ce pays. Car à partir de maintenant, les lois romaines qui existaient auparavant avec Frolle qui repose mort dans l'île, privé de vie, sont caduques. D'ici peu, ceux de sa race, à Rome, vont recevoir des nouvelles du roi Arthur car je vais aller les entretenir, j'abattrai les remparts de Rome et leur rappellerai le souvenir du roi Belin qui conduisit les Bretons jusque là et qui remporta tous les territoires qui dépendent de Rome". [11991]

Arthur se rendit à la porte d'entrée de la ville. Les hommes avisés qui administraient cette cité vinrent à sa rencontre et le firent entrer avec tous ses hommes. Ils lui abandonnèrent les grand'salles, les châteaux, en fait la totalité de la ville de Paris - la joie régnait parmi les Bretons ! Le jour qu'Arthur avait fixé arriva. Les hommes vinrent tous et devinrent ses vassaux. [11999]

Arthur réunit ses forces, les partagea en deux. Il confia la première moitié à Howel, le pria de partir sur le champ, avec cette grande armée, pour conquérir les régions avec des Bretons. Howel fit ce qu'Arthur lui avait ordonné : il conquit le Berry et toutes les terres aux alentours, l'Anjou, la Touraine, l'Auvergne, la Gascogne ainsi que tous les ports qui appartenaient à ces régions. Le duc qui possédait le Poitou s'appelait Guitard. Il refusa de se soumettre à Howel et continua à lui résister. Il refusa de demander la paix aussi Howel l'attaqua. (Howel) repoussa cette armée plusieurs fois et se retira à chaque fois. Il ravagea ce territoire, tua les habitants. Lorsque Guitard, le seigneur du Poitou, vit que tout son peuple allait à sa perte, alors lui et ses soldats firent la paix avec Howel. Il devint l'homme d'Arthur, le noble roi. Arthur fut généreux avec lui, le traita avec amour et lui permit de garder son territoire car il s'était soumis à lui - Howel avait bien agi ! [12019]

Arthur détenait la France et en était le seul maître. Il réunit son armée et parcourut ce pays. Il se rendit en Bourgogne et s'en empara. Ensuite il partit pour la Lorraine et s'empara de tous les territoires de cette région. Tous ceux qu'Arthur rencontrait s'inclinaient devant lui. Puis il retourna directement à Paris. [12026]

Lorsqu'Arthur eut établi une paix durable en France, établi et maintenu, si bien que le bien-être régnait parmi les gens, alors il ordonna aux vieux chevaliers qu'il avait longtemps retenus à son service de venir à lui pour recevoir leurs récompenses car ils avaient été ses compagnons d'armes pendant de nombreuses années. A certains, il remit des terres, à d'autres de l'argent et de l'or. A certains, il donna des châteaux et à d'autres des vêtements. Il les pria de s'en retourner dans la joie, d'expier leurs péchés, leur interdit de porter les armes car la vieillesse les avait frappés, il les exhorta de beaucoup vénérer Dieu ici-bas si bien que celui-ci, au dernier (jour) leur accorderait sûrement son paradis et qu'ils connaitraient la félicité aux côtés des anges. Tous les chevaliers âgés regagnèrent leur pays tandis que les jeunes restèrent avec leur roi bien aimé. [12040]

Arthur vécut là pendant neuf années, il fut le seul maître de la France pendant neuf ans ; par la suite, il ne la gouverna plus jamais. Mais tant qu'Arthur détint ce royaume, des choses prodigieuses arrivèrent aux habitants. Il rabaissa de nombreux vaniteux, assujettit de nombreux prétentieux. Une certaine période pascale - les hommes ayant jeûné - Arthur rassembla tous ses nobles chevaliers, tous les hommes de haut rang de France et des régions des alentours. A cette occasion il accorda à ses chevaliers ce qui leur était dû. Il récompensa chacun selon ses mérites. Arthur, le plus noble des rois, leur parla ainsi : "Ecoute ceci, Kay. Tu es mon grand sénéchal ; en remerciement pour tes bons services je te donne l'Anjou ainsi que tous les privilèges qui y sont attachés. Agenouille-toi, Beduer ; tu es mon bouteiller en chef ici. Je t'aimerai tant que je serai vivant. Je te donne la Neustrie qui est (la région) la plus proche de mon royaume". Le territoire qui s'appelle maintenant la Normandie, s'appelait alors la Neustrie. Arthur avait beaucoup d'estime pour ces hommes, pour leurs conseils et recommandations, à chaque occasion. Arthur, le plus noble des rois, ajouta encore : "Approche, Howeldin ; tu es mon vassal et un de mes parents. Reçois Boulogne et possède-la avec plaisir. Viens ici, Borel ; tu es un chevalier sage et avisé. Je t'offre Le Mans avec estime. Possède-le avec plaisir en récompense de tes bons services". Arthur distribua ainsi ses territoires royaux selon les mérites de ces hommes qu'il jugeait estimables. Il y eut des paroles de joie dans les grand'salles d'Arthur ; on entendit des airs de harpe et des chansons parmi d'autres divertissements. [12073]

Lorsque Pâques fut passé et qu'avril toucha à sa fin, que l'herbe fut abondante et que les rivières furent calmes, alors les hommes commencèrent à dire que le mois de mai était arrivé. Arthur réunit sa troupe splendide, gagna la côte et fit assembler ses navires excellents par dessus tout. Il regagna notre pays à la voile et toucha terre à Londres. Il débarqua à Londres pour le grand plaisir des habitants. Tous ceux qui le virent de leurs yeux se réjouirent et entonnèrent des chansons au sujet du roi Arthur et du grand renom qu'il avait acquis. On put voir les pères embrasser leurs fils et leur souhaiter la bienvenue, les filles embrasser les mères, les frères s'embrasser entre eux, les soeurs entre elles ; toute crainte avait disparu. En des centaines d'endroits, les gens occupaient le bord de la route, posant des questions de toutes sortes. Les chevaliers leur parlaient de leurs conquêtes et décrivaient avec vantardise leur immense butin. Personne, aussi habile soit-il, ne serait capable de dépeindre ne serait-ce que la moitié de la joie qui régnait alors parmi les Bretons. Chacun, selon nécessité, parcourut ce royaume de ville en ville avec allégresse. Il en alla ainsi pendant un moment, la joie régnait en G.Bretagne à cause (du retour) du vaillant roi. [12096]

Lorsque Pâques fut passé et que l'été revint dans le pays, alors Arthur décida en conseil, avec ses nobles compagnons, qu'il se ferait couronner à Caerleon où il ferait venir tous ses sujets à la Pentecôte. A cette époque, les gens estimaient qu'il n'y avait nulle part ailleurs une ville aussi belle, à la réputation aussi grande que Caerleon sur Usk mis à part la cité splendide qui s'appelle Rome. D'ailleurs, de nombreuses personnes dans l'entourage du roi déclaraient que la ville de Caerleon était plus somptueuse que Rome et que l'Usk était la meilleure de toutes les rivières. La ville était entourée de vastes prés ; il y avait des poissons, des oiseaux et beaucoup d'autres bonnes choses. Il y avait des forêts et des animaux sauvages en abondance, tous les bienfaits que l'on peut imaginer. Mais jamais, depuis la venue d'Arthur, la ville a-t-elle connu la prospérité et elle ne la connaîtra pas d'ici la fin des temps. Certains livres affirment que la cité a été ensorcelée et il semble vraiment que cela soit vrai. Il y avait deux glorieuses abbatiales dans la ville ; celle dédiée à saint Aaron comportait de nombreuses reliques. L'autre était dédiée à saint Julien le Martyr qui est aimé de Dieu et on y trouvait de pieuses religieuses, de nombreuses femmes bien nées. Le siège de l'évêque était à St-Aaron où il y avait un grand nombre de saints hommes, des chanoines fort renommés. Il y avait plus d'un clerc éclairé, au grand savoir ; ils s'adonnaient souvent à l'observation du ciel, des étoiles proches et lointaines : cet art s'appelle l'astronomie. Ils expliquaient souvent de nombreuses choses au roi ; ils lui disaient ce qui allait arriver dans le pays. Telle était la ville de Caerleon ; il y avait un déploiement de luxe et d'allégresse en la présence du roi énergique. [12129]

Le roi choisit ses messagers et les envoya dans tout son royaume. Il ordonna aux comtes de venir, aux barons de venir, aux rois et commandants de venir aussi, aux évêques et aux chevaliers de venir ainsi qu'à tous les hommes libres qui se trouvaient dans le pays, les priant de se rendre, sous peine de mort, à Caerleon le jour de la Pentecôte. De très loin, des chevaliers de très nombreux pays prirent la route pour Caerleon. Le dimanche de Pentecôte, arrivèrent Angel - roi d'Ecosse - et sa somptueuse suite ; de nombreux hommes élégants suivaient le roi. Arrivèrent le roi Urien de Moray et son charmant fils Ywain, Stater, roi des Galles du sud, Cadwadhlan, roi des Galles du nord, Cador, comte de Cornouailles et que le roi aimait, Morvith de Gloucester, Maurin de Winchester, Gurguint, le comte de Hereford et Beof, le comte d'Oxford. Le vaillant Gursal arriva à cheval de Bath, vinrent Urgent de Chester, Jonathas de Dorchester, Arnald de Salisbury et Kinmare de Canterbury, Balien de Silchester, Wigen de Leicester, Argal, le comte de Warwick, accompagné par une suite prodigieuse, Dunwale, le fils d'Apries, et Kegein, le fils d'Elauth, Kineus, qui était le fils de Coit, et Cradoc, le fils de Catel, Aedlein, le fils de Cledauk, Grimarc, le fils de Kinmark, Run, Margoit et Netan. Clofard, Kincar et Aican. Kerin, Neton et Peredur. Madoc, Trahern et Elidur. C'était les nobles comtes d'Arthur et les plus braves guerriers de tout ce pays, sans compter les seigneurs qui vivaient à la cour d'Arthur. Personne ne pouvait identifier ou nommer tous les présents. A cette époque, il y avait trois archevêques dans notre pays : à Londres, York et saint Dubrich à Caerleon, un homme très saint, remarquable en toutes choses. C'est à Londres que se trouvait le siège de l'archevêché ; il fut ensuite transféré à Canterbury avec la conquête de notre pays par les Anglais. [12164]

Il n'était pas possible de dire combien de personnes étaient présentes à Caerleon ! Il y avait le roi Gillomar - que les Irlandais affectionnaient - Malverus, le roi d'Islande, Doldanet, le roi du Gotland, Kinkalin de Frise et Aescil, le roi du Danemark. Il y avait le vaillant Loth, qui était roi dans le Nord, Gonwais, le roi des Orcades, qu'affectionnaient les pirates. Arrivèrent le comte de Boulogne, cet homme féroce, qui s'appelait Laegher, et ses hommes, le comte Howeldin vint des Flandres et le comte Geryn de Chartres. Ce dernier avait amené avec lui tous les Français, à savoir douze comtes très nobles qui gouvernaient la France : Guitard, le comte de Poitiers, Kay, le comte d'Angers, Beduer, le comte de Normandie - cette région s'appelait alors la Neustrie - du Mans arriva le comte Borel, de Bretagne, le comte Howel. Le comte Howel était un seigneur souverain, ses vêtements étaient somptueux. D'ailleurs tous les Français étaient bien bien habillés, bien armés et avaient des chevaux bien nourris. Il y avait aussi quinze évêques. Pas un chevalier, écuyer ou vaillant guerrier, depuis l'Espagne jusqu'en Germanie n'aurait osé ne pas se présenter, s'il avait été convié, simplement par crainte du noble Arthur. [12186]

Une fois ces seigneurs arrivés, c'est-à-dire les rois accompagnés de leurs hommes, tous les présents purent voir, dans la ville, de nombreux étrangers et entendre des histoires de toutes sortes à la cour du roi Arthur. Il y avait de nombreuses tenues étranges, un grand nombre de chevaliers redoutables. Les logements avaient été somptueusement préparés, les résidences (des invités) solidement bâties. Les champs étaient couverts de plusieurs milliers de tentes. La ville fut approvisionnée à profusion en lard, eau et avoine. Personne ne peut préciser, dans son récit, le nombre de litres de vin et de bière qu'il y avait ! On apporta du foin, de l'herbe, tout ce qui était agréable. [12197]

Lorsque toute cette foule fut réunie à la cour du roi et que le dimanche de Pentecôte fut arrivé, comme le Seigneur l'a choisi, alors tous les évêques se rendirent auprès de leur roi et les trois archevêques s'avancèrent devant Arthur, prirent la couronne qui lui revenait de droit, et la lui posèrent sur la tête au milieu de démonstrations d'allégresse. Puis, suivant les recommandations de Dieu, ils le conduisirent en procession. Saint Dubrich, l'élu de Dieu, marcha devant, l'archevêque de Londres se plaça à sa droite et celui de York à sa gauche. Devant eux avançaient quinze évêques consacrés, originaires de multiples pays. Ils portaient tous des tuniques très belles qui étaient toutes brodées d'or éclatant. [12210]

Quatre rois se trouvaient devant l'empereur, ils avaient à la main quatre épées d'or. Le premier, un homme très valeureux qu'affectionnait Arthur, s'appelait le roi Cador. Le deuxième, roi d'Ecosse, portait une épée tout comme le roi des Galles du Nord et le roi des Galles du Sud. Et ainsi, ils conduisirent le roi à l'église. Les évêques, qui marchaient devant le souverain, se mirent à chanter. Des trompettes résonnèrent, des cloches sonnèrent, des chevaliers passèrent à cheval, des femmes avancèrent. Il est affirmé avec certitude, ce qui est vrai, que jamais personne auparavant, sur terre ici bas, n'avait vu dans aucune cérémonie que ce soit, ne serait ce que la moitié de ce faste et éclat qui étaient déployés ici avec Arthur, cet homme de race royale. [12224]

Le puissant Arthur pénétra dans l'église. L'archevêque Dubrich - le Seigneur lui avait accordé sa grâce - était le légat de Rome, le prélat de la cour. Il chanta la sainte messe devant le monarque. Alors arrivèrent avec la reine, des femmes richement vêtues - tout comme la reine l'avait ordonné sous peine d'un terrible châtiment. C'était les épouses des hommes puissants qui habitaient notre pays et les filles des seigneurs que la reine avait choisies. Dans l'église, le roi Arthur s'assit du côté sud et la reine Wenhaver du côté nord. Quatre reines de choix s'avancèrent vers cette dernière. Chacune d'entre elles avait un sceptre d'or rouge dans la main gauche et trois colombes, blanches comme neige, posées sur l'épaule. Ces quatre reines étaient les femmes des rois qui portaient les quatre épées d'or devant Arthur, le plus noble des rois. Il y avait de nombreuses jeunes filles aux côtés de la noble reine, de nombreux somptueux atours dans cette belle assemblée. Une grande rivalité opposait ces personnes, originaires d'un grand nombre de pays différents, car chacun se considérait supérieur à l'autre. Les chevaliers affluèrent dans l'église, certains pour la joute, d'autres pour le roi, d'autres encore pour admirer les belles femmes. Les chants furent joyeux et se prolongèrent longtemps ; je pense que même si cela avait duré sept ans, l'assistance en aurait redemandé. Une fois la messe chantée, (les membres de l'assemblée) se dirigèrent en foule vers la sortie de l'église. [12251]

Le roi et ses invités allèrent manger. La joie régnait à la cour où se trouvaient de très nombreux seigneurs. La reine, de son côté, se rendit dans ses appartements, elle avait avec elle une foule de femmes. Lorsque le roi fut assis parmi ses invités, l'évêque saint Dubrich, qui était si bon, vint à la hauteur du roi et retira, de la tête de celui-ci, la somptueuse couronne - le roi ne pouvait pas la porter à cause de son lourd poids d'or - et mit à la place une couronne plus légère sur la tête du roi. Puis ensuite, il fit de même pour la reine. Telle était la coutume à Troie, du temps de leurs ancêtres, ceux dont le noble Brutus descendait : pour les repas, tous les hommes se regroupaient ensemble, ce qui leur plaisait, et les femmes avaient leur propre salle. Lorsque le roi fut assis parmi ses invités, comtes et barons qui étaient à la table royale, le sénéchal, qui s'appelait Kay, arriva. C'était le plus grand seigneur dans le pays après le roi, parmi tous ceux qui vivaient à la cour. Kay commandait à de nombreux seigneurs de haut rang. Un millier de vaillants chevaliers, au grand renom, servaient le roi et ses hommes. Chacun d'entre eux portait un vêtement tissé d'or ; leurs doigts étaient tous ornés de bagues en or. (Ces chevaliers) portaient les plats de la cuisine au roi. De l'autre côté, se trouvait Beduer, le bouteiller du roi. Il avait avec lui les fils de comtes de haut lignage, les fils des nobles chevaliers qui étaient venus ainsi que sept fils de rois qui l'accompagnaient. Beduer arriva en premier, il portait un bol en or, derrière lui se pressaient un millier d'hommes vers l'assistance, ils apportaient toutes sortes de vins imaginables. [12284]

La reine, de son côté, la plus belle des femmes, avait un millier de riches et nobles hommes à son service et à celui de celles qui étaient avec elle. Il n'a jamais existé, où que ce soit, d'homme, lettré ou illettré, né d'un chevalier de haut rang, qui puisse décrire, dans un récit ou un autre, ne serait-ce que la moitié des richesses qui étaient réunies à Caerleon en argent, or et riches tenues ainsi que les hommes de haute naissance qui vivaient à la cour, les chevaux, faucons, chiens de chasse et les luxueux vêtements que l'on trouvait à la cour. Et de tous les êtres humains qui vivaient alors sur terre, les hommes de notre pays étaient considérés comme les plus beaux, les femmes comme les plus gracieuses, les plus élégantes et les mieux élevées. Car elles avaient toutes juré, sur leur propre vie, de porter des vêtements d'une seule couleur. Certaines étaient habillées de blanc, d'autres de rouge, d'autres encore de vert vif. Elles n'appréciaient pas les étoffes multicolores et avaient en dédain tout écart de conduite. L'Angleterre bénéficiait alors de la plus grande des renommées, les habitants de ce pays étaient chers au roi. Les femmes de haute naissance qui vivaient dans ce pays avaient toutes donné leur parole, jurant de ne pas épouser, où que ce soit, de chevalier qui ne soit des plus accomplis et qui n'ait été mis à l'épreuve dans trois combats, que son courage et sa valeur n'aient été rendus publics. Seulement alors, pourrait-il prétendre, avec assurance, à prendre une épouse. A cause de cet usage singulier, les chevaliers étaient valeureux, les femmes aimables et bien élevées. La joie régnait alors en G.Bretagne. [12316]

Lorsque le roi et tous ses invités eurent mangé, alors tous les comtes et tous les barons, tous les chevaliers et tous les écuyers, dans leurs beaux atours, se dispersèrent dans les prés. Certains se mirent à chevaucher, d'autres à courir, sauter, tirer (à l'arc), lutter corps à corps et à combattre. D'autres encore participaient à un jeu de boucliers dans le champ. Certains parcouraient les prés en tapant dans des ballons. Ils pratiquèrent toutes sortes de sports et, quiconque se couvrait de gloire à son jeu, était conduit en chansons devant le souverain et le roi lui donnait alors de beaux présents pour le récompenser de son adresse. [12335]

Ces jeux et sports se déroulèrent pendant trois jours. Le quatrième jour, le roi prit la parole et donna à tous ses fidèles chevaliers ce qui leur revenait de droit : il leur donna de l'argent et de l'or, leur offrit des chevaux, des terres ainsi que des châteaux et des vêtements. Il contenta ses hommes - il y avait de nombreux valeureux Bretons réunis devant Arthur. [12341]

Le roi reçut des nouvelles fraîches. Le vaillant Arthur était attablé en compagnie de rois et de nombreux seigneurs, d'évêques, de clercs et de chevaliers des plus valeureux. Des nouvelles étranges arrivèrent dans la salle du banquet. Douze hardis chevaliers, vêtus de riches manteaux, firent leur entrée. Ces nobles guerriers, seigneurs armés, avaient tous à la main un gros anneau d'or, leur tête était cerclée d'un bandeau doré. Ils entrèrent deux par deux, se tenant par la main. Ils traversèrent la salle dans la direction d'Arthur et arrivèrent devant le grand roi Arthur. [12354]

Aussitôt, ils saluèrent Arthur en de nobles paroles : "Nous te saluons, roi Arthur, le bien-aimé des Bretons. Nous saluons tes seigneurs et tout ton noble peuple. Nous sommes douze chevaliers qui venons juste d'arriver ici. Nous sommes des Romains riches et puissants. Nous avons été envoyés ici par notre empereur qui s'appelle Lucius et qui gouverne le peuple romain. Il nous a ordonné de venir ici voir le roi Arthur, nous a prié de le saluer avec ses mots durs et de dire - il se demande où tu as trouvé ce courage ici-bas - que sa surprise est extrême de voir que tu oses contredire la volonté de Rome et regarder notre maître droit dans les yeux. Il se demande qui a pu te conseiller ainsi pour que tu deviennes si téméraire et pour que tu oses menacer le seigneur de (nos) destinées, l'empereur Lucius, le plus grand des hommes vivants ! Tu as entre les mains tout ton royaume et tu ne veux pas obéir à l'empereur de ce pays - pays que Jules César commanda, lui qui autrefois l'obtint par les armes et que, avec l'aide de tes vaillants chevaliers, tu contrôles, nous privant par conséquent de nos droits. Réponds nous sans tarder, Arthur, fais parvenir ta réponse à Rome. Nous porterons ton message à l'empereur Lucius. Si tu acceptes de reconnaître qu'il est roi au dessus de toi, de devenir son homme et de le tenir pour ton seigneur, de dédommager l'empereur pour la mort du roi Frolle que tu tuas illicitement à Paris et dont tu détiens maintenant abusivement les terres, si d'ici douze semaines tu rentres dans le droit chemin et si tu acceptes toutes les décisions de Rome, alors tu pourras vivre parmi ton peuple. Mais si tu refuses, alors tu connaîtras le pire, car l'empereur viendra ici comme tout roi doit le faire avec ses possessions, ce roi des plus hardis s'emparera de toi par la force, te conduira, enchaîné, jusque devant le peuple de Rome - alors tu devras te soumettre à ce que tu, auparavant, méprisas !". [12391]

A ces mots, les Bretons bondirent de la table. Les hommes d'Arthur étaient totalement furieux, ils jurèrent, au nom de notre Seigneur tout puissant, que tous ceux qui avaient apporté ce message allaient mourir, écartelés par des chevaux. Alors les Bretons, très en colère, se précipitèrent sur eux, les tirèrent par les cheveux et les jetèrent à terre. Les Romains auraient alors été sauvagement maltraités si Arthur, le plus sage des Bretons, n'avait bondi tel un lion et prononcé ces paroles : "Cessez, cessez immédiatement ! Laissez la vie sauve à ces chevaliers ! Il ne leur arrivera rien de mal à ma cour. Ils sont venus ici de Rome, suivant l'ordre de leur seigneur qui se nomme Lucius. Tout homme doit se rendre où son seigneur lui ordonne d'aller. Personne n'a le droit de condamner un messager à mort à moins que ce dernier ne soit enclin au mal au point de trahir son seigneur. Asseyez-vous tranquillement dans cette grand'salle, chevaliers ! Je vais réfléchir, en cette heure délicate, à la réponse que je vais faire porter à l'empereur Lucius". [12411]

Alors, tous les seigneurs s'assirent sur leurs bancs, ils cessèrent leur vacarme en présence du roi ; et Arthur, le plus noble des rois, se leva et appela à lui sept fils de rois, des comtes, des nobles, les plus hardis des guerriers et tous les hommes les mieux avisés du royaume. Ils se rendirent à l'intérieur d'un bâtiment qui était solidement fortifié, un vieil ouvrage de pierre que des hommes forts avaient bâti. Là, ces sages conseillers débattirent de la meilleure réponse à donner à l'empereur Lucius. [12421]

Lorsque tous les seigneurs furent assis, alors le silence régna dans la grand'salle. Une grande frayeur s'établit avec la présence du puissant roi : personne n'osait parler de peur que le roi ne le punisse. Alors Cador, le comte le plus puissant (de l'assemblée) se leva et prononça ces paroles devant ce roi considérable : "Je remercie mon Seigneur, qui a créé la lumière, de m'avoir laissé vivre suffisamment longtemps pour voir ce jour arriver à la cour et entendre le message qui est arrivé à notre roi, si bien que l'oisiveté ne va plus nous retenir ici car l'oisiveté fait perdre leur virilité aux hommes ; l'oisiveté fait perdre leurs droits aux chevaliers ; l'oisiveté est à l'origine de nombreuses mauvaises actions ; nous avons été inactifs trop longtemps ; notre honneur est au plus bas ! Mais maintenant je remercie le Seigneur, qui a créé la lumière, que les Romains soient si impétueux et qu'ils menacent de venir voir nos villes, d'enchaîner notre roi et de l'amener à Rome. Mais si ce que les hommes disent est vrai, comme on l'entend raconter, à savoir que les Romains sont si impétueux, si téméraires et si mauvais qu'ils ont l'intention d'envahir notre pays, alors nous allons leur préparer des allocutions déplaisantes, leur férocité les conduira à leur perte. Car je n'ai jamais apprécié une trêve trop longue dans mon pays, car la paix nous assujettit et nous rend tout fragiles". [12450]

Walwain, qui était un parent d'Arthur, entendit ces paroles et se mit dans une grande colère contre Cador qui avait prononcé ce discours. Le noble Walwain rétorqua alors : "Cador, tu es un homme puissant mais tes conseils sont mauvais car la paix et la concorde sont bonnes si on les respecte librement. Et Dieu lui même, dans sa divinité les créa. Car la paix permet à un être bon d'agir dans le Bien et alors chacun est plus heureux et le pays plus prospère". [12458]

Arthur entendit cette dispute entre les deux chevaliers et ce puissant roi s'adressa ainsi à ses hommes énervés : "Asseyez-vous tous rapidement, mes chevaliers, et que chacun d'entre vous, sous peine de mort, écoute ce que j'ai à dire". Tous ceux qui étaient présents dans la grand'salle se turent. Puis le vaillant roi s'adressa à ses nobles compagnons : "Mes comtes, mes barons, mes valeureux chevaliers, mes vaillants hommes et mes chers amis, grâce à vous j'ai conquis tous les territoires qui existent sous le soleil si bien que je suis maintenant un homme très puissant, implacable avec mes ennemis. Je possède de l'or et des trésors. Je gouverne des peuples. Je n'ai pas triomphé seul mais nous l'avons fait tous ensemble. Je vous ai conduits à de nombreuses batailles et vous avez toujours fait preuve de tant d'habileté qu'un grand nombre de royaumes sont maintenant en ma possession. Vous êtes de bons chevaliers, des hommes braves et vaillants. J'en ai donné la preuve dans bien des pays". [12474]

Puis Arthur, le plus noble des rois, continua : "Vous venez d'entendre, mes nobles chevaliers, ce que les Romains trament entre eux et le message qu'ils nous ont envoyé ici, dans notre pays, les phrases et les mots agressifs qu'ils ont utilisés. Il nous faut maintenant réfléchir à une façon adéquate de défendre notre pays et notre haute dignité contre ce peuple puissant, contre ces Romains, leur envoyer une réponse rédigée en des mots aimables et faire parvenir notre message à Rome en toute prudence. Il nous faut apprendre de l'empereur pourquoi il nous déteste, pourquoi il nous adresse des menaces et des railleries. Cela m'attriste à l'extrême et m'humilie amèrement qu'il nous rabaisse avec les pertes que nous avons subies autrefois. Ils disent que Jules César remporta (la G.Bretagne) par la force des armes. Les hommes font beaucoup de mal par la brutalité et la violence, c'est ce que fit César en attaquant la G.Bretagne fort méchamment. Les Bretons ne pouvaient défendre leur territoire contre lui mais ils s'opposèrent à lui par la force et durent lui livrer tout leur pays tout en devenant ses hommes. (Les Romains) tuèrent certains de nos ancêtres, ils en écartelèrent d'autres avec des chevaux, déportèrent des captifs. Ils entrèrent ainsi en possession de notre pays par l'injustice et le péché et revendiquent maintenant, au nom du droit, un tribut de notre pays ! Nous pouvons faire de même si nous le souhaitons, au nom du roi Belin et de son frère Brennus, le duc de Bourgogne. Ils sont nos ancêtres, ceux dont nous descendons. Ils assiégèrent Rome et assujettirent toute la région. Devant la puissante Rome, ils pendirent leurs otages puis ils s'emparèrent de tout ce territoire et se l'approprièrent. C'est pourquoi nous avons le droit d'assiéger Rome. Laissons Belin et Brennus et parlons du puissant empereur Constantin. C'était le fils d'Hélène et ne descendait que de Bretons. Il conquit Rome et posséda tout le royaume. Laissons Constantin, qui obtint Rome tout à lui-même et parlons de Maxime qui fut un homme très puissant. Il fut roi de G.Bretagne et conquit la France. Ce puissant Maxime s'empara de Rome, ainsi que de la Germanie qu'il remporta par la force (des armes), et de tous les territoires entre Rome et la Normandie. Tous étaient mes ancêtres, mes nobles prédécesseurs ; ils possédaient toutes les terres qui dépendaient de Rome. En considération de cet état de fait, je devrais obtenir Rome. Ils me demandent de payer un tribut, je vais en faire de même vis-à-vis de Rome si vous êtes d'accord. J'ai dans l'idée de m'emparer de Rome et (l'empereur) veut m'assujettir, ici en G.Bretagne, et tuer mes Bretons par de féroces assauts. Mais si telle est la volonté de mon Seigneur, qui créa le jour et la nuit, alors il payera cher sa menace présomptueuse et ses Romains en mourront ! Et je régnerai en maître tout puissant là où, pour l'instant, il règne. Faites tous silence maintenant, ja vais vous dévoiler mon intention. Personne ne viendra la contrecarrer et nous ferons ce que j'ai décidé. Il veut tout avoir et je veux obtenir, ce que nous avons chacun de notre côté. Que celui qui sortira vainqueur possède tout maintenant et à jamais car nous allons à présent voir à qui Dieu l'accordera !". Ainsi parla ce vaillant roi, le maître de la G.Bretagne, le roi Arthur, le bien-aimé des Bretons. [12535]

Ses guerriers étaient assis et écoutaient son discours. Certains restèrent silencieux un long moment, d'autres chuchotèrent beaucoup entre eux. Certains approuvaient, d'autres étaient troublés. Après avoir longuement écouté le roi, alors le beau Howel, le maître de la Bretagne, parla. Il déclara devant le roi courroucé : "Seigneur roi, écoute moi comme je viens de le faire pour toi. Tu as dit des mots justes - que la chance soit avec toi ! - ce qui nous est réservé, et qui se révèle aujourd'hui, fut annoncé il y a bien longtemps. La sibylle le prédit - elle disait la vérité - et le consigna dans un livre, pour que les gens y fassent attention. Elle annonça que trois rois quitteraient la G.Bretagne pour partir à la conquête de Rome, de toutes les richesses et terres qui en dépendaient. Le premier était Belin qui fut un roi breton. Le deuxième était Constantin qui fut roi en G.Bretagne. Tu seras le troisième à posséder Rome. Et si tu entreprends (cette conquête), tu en sortiras vainqueur, je t'y aiderai de toutes mes forces. Je vais prévenir mes nobles soldats, mes braves Bretons, de l'autre côté de la mer - nous irons d'autant plus vite. Je vais ordonner à tous les seigneurs de (petite) Bretagne dans l'ensemble de mon pays, sous peine de mort ou de perdre un membre, d'être bientôt prêts pour marcher, à tes côtés, vers Rome. Je vais mettre en gage mon territoire, pour obtenir de l'argent, et tous les biens de mon pays contre de l'argent et de l'or. Et ainsi, nous partirons pour Rome, tuerons l'empereur Lucius et ferons triompher ton droit. Je vais t'amener dix mille chevaliers". Ainsi parla Howel, le maître de la Bretagne. [12566]

Lorsque Howel eut terminé de dire ce qui lui semblait juste, alors le roi Angel, le bien-aimé des Ecossais, prit la parole. Il grimpa sur un banc, en compagnie de ses deux frères, Loth et Urien, deux hommes des plus nobles. Angel s'adressa ainsi au vaillant roi Arthur : "Seigneur Arthur, je te dis, en toute honnêteté, exactement ce que Howel vient de dire. Personne ne l'empêchera, nous le ferons, je le jure sur nos vies ! Et, suprême seigneur Arthur, écoute moi un instant. Convoque à une assemblée tes puissants comtes et tous les seigneurs de ta cour. Prie les de te dire, en toute honnêteté, quelle aide ils t'apporteront pour anéantir tes ennemis. Je vais t'amener des chevaliers de mon pays, trois mille braves guerriers de haut rang, dix mille fantassins qui excellent au combat et nous partirons pour Rome et conquerrons ce royaume. Nous pouvons légitimement nous sentir humiliés et nous offusquer avec raison de leur envoi de messagers pour exiger un tribut de notre pays. Mais que Dieu, qui créa la lumière du jour, nous vienne en aide et ils payeront de leur propre vie ! Car lorsque nous aurons remporté Rome et tout le royaume, nous nous emparerons des régions qui en dépendent, c'est-à-dire les Pouilles, la Germanie, la Lombardie et la (petite) Bretagne, la France et la Normandie - qui s'appelait alors la Neustrie - et nous ferons taire leur prétention excessive". [12592]

Lorsque le roi eut fini de parler, tous (les présents) répondirent : "Honte à celui qui n'apportera pas son aide par ses biens, ses armes et toute sa puissance !". Les hommes d'Arthur étaient totalement déchaînés. Les chevaliers étaient si enragés qu'ils se mirent à s'agiter. Lorsqu'Arthur eut entendu le vacarme de ses hommes, alors il se mit à crier, il était furieux : "Asseyez-vous dans le calme, chevaliers, dans cette grand'salle et je vais vous dire ce que je vais faire. Je vais faire rédiger mon message, bien le faire formuler, et envoyer à l'empereur de quoi s'attrister et s'inquiéter. Et je vais rapidement marcher sur Rome. Je ne vais emporter là-bas aucun tribut mais je ferai prisonnier l'empereur et, par la suite, le pendrai. Je ravagerai tout le pays, mettrai à mort tous les chevaliers qui me résisteront par la force". Arthur prit son message dans la main tout en proférant des menaces et le remit aux hommes qui avaient apporté la missive. Puis il les fit tous vêtir, avec faste, avec les plus beaux atours qu'il avait en réserve et les pria de partir aussitôt pour la cour de Lucius de Rome. Il avait l'intention de leur emboîter le pas dès que possible. [12613]

Ces douze (messagers) prirent la route pour leur pays. Aucun chevalier, où que ce soit, n'était paré de tant d'argent et or ni si bien habillé à tous points de vue. Arthur ne les traita ainsi que pour leur rôle de messager. Ces douze chevaliers progressèrent jusqu'à Rome. Ils saluèrent leur empereur, leur seigneur suprême : "Nous te saluons Lucius, toi qui es notre maître. Nous étions à la cour du féroce roi Arthur, nous t'apportons des lettres, très bien formulées. Arthur est l'homme le plus hardi que nous ayons jamais vu, il est d'une puissance extrême et ses chevaliers sont valeureux. Chaque écuyer équivaut à un chevalier, chaque serviteur est tel un puissant chevalier, les chevaliers sont tels des rois. La nourriture y est abondante, les hommes y sont très vaillants, on y trouve les plus belles femmes. Le vaillant Arthur est lui-même le plus beau des hommes. Il t'envoie une réponse par notre intermédiaire : il a l'intention de venir dans notre pays, il n'y apportera aucun tribut mais te mettra aux fers puis te pendra, ravagera tout notre pays ainsi que la Germanie, la Lombardie, la France et la Normandie. Il a tué Frolle, son ennemi. Il nous réservera le même sort et détiendra, pour lui tout seul, tout ce que nous possédons actuellement. Il va arriver ici à la tête de rois, comtes et seigneurs. Nous avons avec nous les lettres qu'il t'envoie qui te spécifient ses intentions lorsqu'il sera arrivé ici". [12639]

Une fois le message délivré, l'empereur se sentit accablé et tous les Romains entrèrent dans une grande colère. Ils se réunirent souvent, s'entretinrent plus d'une fois avant de se mettre d'accord sur la conduite à suivre. Ils finirent par prendre une décision, proposée par les sénateurs qui siégeaient au sénat. Ceux-ci conseillèrent à l'empereur d'écrire des lettres, d'envoyer ses messagers dans de nombreux royaumes et d'ordonner à tous ceux - de toutes les contrées - qui les aimaient, ou qui voulaient obtenir des terres, des biens par le combat, de se rendre rapidement à Rome. [12650]

Un grand nombre d'hommes affluèrent bientôt vers la ville de Rome ; jamais une telle multitude n'avait été rassemblée auparavant ! Ils déclarèrent qu'ils allaient passer par le Montgieu (=col du grand saint Bernard) puis se battraient contre Arthur, quel que soit l'endroit où ils le rencontreraient. Ils transperceraient ou pendraient Arthur, dévasteraient entièrement son armée et s'empareraient du royaume d'Arthur pour le bien de l'empereur. Le premier roi qui arriva était Epistrod, le roi de Grèce, un homme très hardi. Ethion, le duc de la Boétie, vint avec une grande armée. Arrivèrent Irtac, le roi de la Turquie, Pandras, le roi d'Egypte, le roi Ypolite, de Crète, le roi Evander de Syrie, le duc Teucer de Phrygie, Maptisas de Babylone, l'empereur Meodras d'Espagne, le roi Boccus de Médie, le roi Sextorius de Lybie, Pollidices de Bithynie, le roi Xerxes d'Iturée, Ofustesar, le roi d'Afrique. Il n'y avait pas de roi de sa valeur ! De nombreux Africains arrivèrent avec lui. D'Ethiopie, il amena les hommes noirs. Les Romains s'assemblèrent aussi, (en particulier) ceux qui secondaient le maître de Rome : Marcus, Lucas et Catel, Cocta, Gaius et Metel. C'était les six hommes qui dirigeaient le sénat. Une fois cette troupe - (composée d'hommes) de toutes sortes de pays - rassemblée, alors l'empereur fit compter toute l'armée. On dénombra quatre cent mille chevaliers, en tout, qui étaient très braves au combat et possédaient des armes et des chevaux comme il sied aux chevaliers. Il n'a jamais existé, dans aucune ville, d'homme capable de dire combien de fantassins se trouvaient là. Avant le jour de la moisson, ils prirent la route qui mène directement au Montgieu. [12679]

Laissons maintenant cette armée un instant et parlons d'Arthur, le plus noble des rois, au moment où il avait convoqué ses bons chevaliers et où chacun était reparti dans ses terres ; puis ces chevaliers et leurs hommes étaient rapidement revenus à la cour chargés de leurs armes en provenance de l'Ecosse, l'Irlande, le Gotland, l'Islande, la Norvège, le Danemark, les Orcades et l'île de Man. De ces nombreux pays arrivèrent cent mille vaillants guerriers, bien équipés, chacun à la mode de son pays. Ce n'était pas des chevaliers et ils n'avaient pas l'équipement de chevaliers mais c'était les hommes les plus braves qui aient jamais existé. Ils portaient de grandes haches de guerre et de longs couteaux. Cent mille hommes vinrent rejoindre l'armée du roi de la Normandie, l'Anjou, la Bretagne, le Poitou, les Flandres, Boulogne, la Lorraine et Louvain. C'était des chevaliers accomplis, ils possédaient tout l'équipement nécessaire. Les douze pairs auxquels la France devait obéir arrivèrent avec dix mille chevaliers. De ce même pays, Arthur rassembla cinquante mille valeureux chevaliers - des hommes vaillants au combat ! Howel de Bretagne amena dix mille de ses sujets, chevaliers parmi les meilleurs. Lorsqu'ils prirent la route, personne ne put, d'une façon ou d'une autre, dire combien ils étaient ! Arthur, le plus noble des rois, ordonna alors à l'armée de s'assembler à Bourfleur à une date fixée, sous peine de mort. C'est là qu'il réunirait sa superbe troupe. [12708]

Il remit notre pays à un chevalier hors du commun. C'était le frère de Walwain qui n'en avait pas d'autre. Il s'appelait Modred et c'était le plus mauvais des hommes. Il ne fut loyal avec personne ! Il faisait partie de la famille d'Arthur, de sa noble lignée, c'était un chevalier hors pair, il était très prétentieux. C'était le fils de la soeur d'Arthur. Il convoitait la reine - quel acte odieux ! - il trahit son oncle. Mais le calme régnait à la cour et dans la grand'salle car personne n'imaginait ce qui allait arriver. Parce qu'il était le frère de Walwain, chacun le considérait vraiment comme le plus fidèle des hommes de la cour. Grâce à Walwain, Modred était d'autant plus estimé par les hommes et le vaillant Arthur était très généreux avec lui. Il remit tout son royaume entre les mains de Modred et de Wenhaver, sa reine, la plus estimable des femmes qui vivaient alors dans ce pays. Arthur confia tout ce qu'il possédait à Modred et à la reine - il s'en félicitait. C'est grande infortune qu'ils aient vu le jour ! Ils causèrent la ruine de ce pays par d'innombrables torts ; et, à la fin, le Diable les anéantit si bien qu'ils perdirent leur vie et leur âme et qu'ils furent à jamais haïs dans tous les pays à cause de la trahison que (Modred) commit envers son oncle. [12734]

Arthur remit à Modred tout ce qu'il possédait : son pays, son peuple et sa reine. Puis il réunit sa troupe d'hommes admirables et partit aussitôt pour Southampton. La vaste mer fut bientôt recouverte d'un grand nombre de navires qui voguèrent vers l'armée du roi. Le souverain répartit les soldats entre les longs bateaux. Ils se portèrent en foule aux navires, par milliers et milliers ! Les pères pleurèrent leurs fils, les soeurs leurs frères, les mères leurs filles lorsque l'armée embarqua. Le temps était au beau fixe, le vent se leva. Ils levèrent les ancres, la joie régnait parmi les hommes ! Les guerriers étaient très joyeux lorsqu'ils prirent le large. Les navires avancèrent bord à bord, les ménestrels chantèrent, on hissa les voiles, tendit les cordages. Il faisait très doux et la mer était calme. [12750]

A cause de cette tranquillité, Arthur s'endormit. Pendant son sommeil, le roi fit un rêve. Ce rêve était singulier, il terrifia le roi ! Lorsque le roi se réveilla, il était très effrayé et il se mit à pousser de grands cris. Il ne se trouva aucun chevalier, parmi ces chrétiens, suffisamment courageux pour oser questionner le roi sur son comportement avant que le souverain ne parle et converse avec ses compagnons présents. Ainsi parla Arthur lorsqu'il se réveilla : "Christ, Seigneur et Maître, Régisseur des destinées, Protecteur du monde, Consolateur des hommes, grâce à ta volonté miséricordieuse, Souverain des anges, fais que mon rêve connaisse un dénouement heureux". Alors le roi Angel, le bien-aimé des Ecossais, déclara : "Seigneur, raconte nous ton rêve, que la fortune soit avec nous !". "Avec plaisir", répondit le roi, "qu'il se révèle être de bonne augure !". [12766]

"Alors que je me reposais, je me suis endormi. Il me sembla qu'une créature extraordinaire apparut dans le firmament, à l'est, dans le ciel. C'était un spectacle horrible ! Elle progressait au milieu d'un déchaînement d'éclairs et de coups de tonnerre. Il n'existe, nulle part, d'ours aussi repoussant. Alors arriva de l'ouest, tournoyant avec les nuages, un dragon crachant du feu. Il incendia les villes, mit le feu à tout le royaume. Il me sembla, dans mon songe, que la mer se mettait à brûler à cause des éclairs et du feu que le dragon apportait. Ce dragon et l'ours se ruèrent au même moment l'un contre l'autre. Ils chargèrent férocement puis attaquèrent ; des étincelles s'échappaient de leurs yeux telles des brandons. Plusieurs fois le dragon fut au dessus puis, aussitôt ensuite, en dessous. A la fin, cependant, il s'éleva haut (dans les airs) piqua brusquement et percuta l'ours si bien que ce dernier s'écrasa sur terre. Alors il tua l'ours et lui arracha les membres. Lorsque le combat fut terminé, le dragon repartit. Voilà le rêve que j'ai fait alors que je reposais endormi". [12787]

Les évêques entendirent ce récit, tout comme les hommes lettrés. Les comtes et les barons l'entendirent. Chacun, selon ses capacités, parla avec sagesse et interpréta ce rêve. Pas un chevalier n'osa l'interpréter comme étant de mauvaise augure de peur de perdre ses membres - auxquels il tenait. [12793]

Ils progressèrent très rapidement. Le vent leur était favorable, il faisait très beau. Ils avaient tout ce dont ils avaient besoin. Ils touchèrent terre à Bourfleur. C'est à Bourfleur, dans le Cotentin, que l'immense troupe, venue de tous les royaumes qu'Arthur détenait, débarqua. Ils quittèrent les navires dès qu'ils purent. Le roi ordonna à ses hommes de chercher un logement tandis que le roi attendrait là l'arrivée de toute son armée. Il n'était là que depuis une nuit, lorsque un gracieux chevalier vint le voir. Il donna des nouvelles au roi Arthur. Il raconta qu'un monstre était arrivé d'Espagne, par l'ouest ; c'était un démon hideux. Il était fort occupé à ravager la Bretagne. Il dévastait toute la région côtière. Il dominait toute la région qui s'appelle maintenant le Mont Saint-Michel. "Seigneur roi", dit le chevalier, "je te dis la vérité juste à l'instant. Il a enlevé, dans un déchaînement de violence, une de tes parentes, une dames de haute naissance, la noble fille de Howel, la plus estimable des femmes et qui s'appelle Hélène. Il a porté cette jeune fille des plus dignes jusqu'au mont. Cela fait maintenant quatorze nuits que ce démon la retient à cet endroit. Nous ne savons pas s'il en a fait sa femme ou pas. Il dévore tous les hommes qu'il saisit, le bétail, les chevaux et les moutons tout comme les chèvres et les porcs. Il va détruire toute cette région, si tu ne mets pas fin à nos souffrances, cette région et ses habitants - nous avons besoin de toi". Le chevalier dit aussi au souverain : "Vois-tu, seigneur, ce mont et ce vaste bois dans lequel ce démon vit et massacre les gens ? Nous l'avons combattu de nombreuses fois sur terre et sur mer. Il a ravagé cette région, fait sombrer nos navires, noyé tous les habitants, terrassé ceux qui se battaient à terre. Nous avons enduré ce tourment si longtemps que, maintenant, nous le laissons faire ce qu'il veut, ce qui lui plaît. Les chevaliers de cette région n'osent plus se battre contre lui". [12829]

Arthur, le plus noble des rois, entendit cet appel. Il appela auprès de lui le comte Kay, son sénéchal et parent. Il appela aussi Beduer, son bouteiller. Il leur ordonna aussitôt d'être totalement prêts à partir avec le roi, à minuit, munis de tout leur équipement. Personne, ici-bas, ne devait être au courant de leur entreprise mis à part le roi Arthur, les deux chevaliers qui seraient avec lui et leurs six écuyers - des hommes braves et vaillants. Le chevalier qui avait averti le roi les mènerait. [12838]

A minuit, alors que les hommes dormaient, Arthur, le plus noble des rois, s'éloigna. Leur guide chevaucha devant eux jusqu'au lever du jour. Ils mirent pied à terre et préparèrent leur armure. Ils aperçurent, non loin de là, la fumée d'un grand feu (qui brûlait) sur un mont encerclé par la mer. Il y avait un autre mont très haut et la mer passait tout près de lui. Il découvrit un grand feu, très violent qui brûlait dessus. Les chevaliers ne savaient pas sur lequel des deux se rendre pour que le géant ne s'aperçoive pas de l'arrivée du roi. Alors le vaillant Arthur décida qu'ils iraient ensemble voir un des feux et que s'ils le trouvaient, ils le tueraient. Le roi avança jusqu'à être tout près. Il ne trouva rien mis à part un grand feu qui brûlait. Arthur, avec ses chevaliers à ses côtés, en fit le tour. Ils ne trouvèrent rien de vivant sur le sol si ce n'est le grand feu et une multitude d'os, il leur sembla qu'on pourrait en remplir trente charrettes. [12857]

Arthur ne savait pas ce qu'il fallait faire et s'adressa à son comte Beduer : "Beduer, descends rapidement de ce mont, traverse la mer profonde (protégé par) ton armure. Va jusqu'au feu avec prudence, approche-t'-en et regarde si tu vois trace du démon. Si tu l'aperçois, d'une façon ou d'une autre, redescends en silence jusqu'à la mer et viens me dire ce que tu auras vu. Et si, par hasard, le démon te voit venir vers le feu et se précipite sur toi, prends mon bon cor qui est entièrement recouvert d'or, souffle dedans avec force, comme il faut le faire lorsqu'on est en danger, puis rue toi sur le monstre et attaque le. Nous viendrons te rejoindre aussi vite que possible. Et si tu le trouves près du feu et que tu peux te retirer sans être vu, alors je t'interdis, sous peine de mort, d'engager le combat contre le monstre". [12877]

Beduer écouta les paroles de son seigneur. Il passa son armure, s'éloigna, puis gravit le mont qui était immense. Il avait à la main une lance très solide, un bouclier tout incrusté d'or sur le dos, un grand heaume d'acier sur la tête. Son corps était recouvert d'une belle armure, il avait à son côté une épée d'acier. Le comte, qui était très décidé, progressa jusqu'à arriver près du feu ; il s'arrêta sous un arbre. Puis il entendit quelqu'un qui pleurait très fort, qui sanglotait, gémissait et poussait des cris affreux. Alors le chevalier crut qu'il s'agissait du géant et il devint enragé tel un sanglier sauvage, oubliant ce que son seigneur lui avait dit. Il redressa son bouclier devant sa poitrine, saisit avec fermeté sa lance et se précipita en direction du feu. Il pensait trouver le monstre féroce, se battre contre lui et sortir vainqueur. Mais il trouva là une femme dont la tête chenue tremblait, que la détresse faisait pleurer et qui maudissait la malchance qu'elle avait d'être vivante. Elle était assise auprès du feu, se lamentait amèrement et contemplait une tombe tout en prononçant ces paroles d'une voix plaintive : "Hélas ! Hélène, hélas ! Enfant chérie, pourquoi t'ai-je nourrie, pourquoi t'ai-je élevée ? Pourquoi ce monstre t'a t-il ainsi supprimée ? Hélas, pourquoi ai-je vu le jour ? Il a réduit mes membres en pièces". [12907]

Puis la femme regarda dans la direction par laquelle le géant devait arriver et elle vit le comte Beduer qui était arrivé là. Alors la femme aux cheveux blancs qui était assise près du feu s'écria : "Qu'es tu, belle créature ? es tu un ange ou un chevalier ? Tes ailes sont-elles tissées d'or ? Si tu arrives des cieux, alors tu pourras partir d'ici sain et sauf. Mais si tu en un chevalier humain, alors tu vas immédiatement connaître le malheur car dès que le monstre sera arrivé, il réduira tes membres en morceaux ; tu as beau être vêtu entièrement d'acier, il va t'anéantir entièrement. Il arriva en Bretagne auprès de la plus belle des demeures, le château de Howel qui est le maître de la Bretagne. Il abattit toutes les portes et entra de force. Il saisit le mur de la grand'salle et le lança au sol avec violence. Il fracassa la porte de la chambre si bien qu'elle éclata en morceaux. Il trouva dans la chambre la plus noble des demoiselles ; elle s'appelait Hélène et était de race noble. C'était la fille de Howel, le maître de la Bretagne et un homme de très haut lignage, parent d'Arthur. J'étais sa nourrice et l'ai bien élevée. Le géant nous a emportées toutes les deux à plus de vingt kilomètres dans ce bois sauvage, à cet endroit. Cela s'est passé il y a exactement une semaine. Dès qu'il fut arrivé ici alors il saisit la jeune fille. Il voulait abuser d'elle. Elle n'avait que quinze ans. Elle ne put pas supporter sa puissance. Dès qu'il fut étendu avec elle, elle en perdit la vie. Il l'a enterrée ici, la plus belle des demoiselles, ma propre fille nourricière, Hélène, la fille d'Howel. Une fois ceci terminé, il se saisit de moi, m'allongea sur le sol et s'étendit à mes côtés. Il a cruellement brisé tous mes os, démis tous mes membres. Ma vie m'est odieuse ! Je t'ai maintenant raconté comment nous sommes traitées. Fuis vite maintenant, de peur qu'il ne te trouve, car s'il arrive déchaîné dans une charge furieuse, il n'existe pas d'être vivant qui puisse lui résister !". [12945]

Sur ces mots émis par la femme, Beduer se mit à la réconforter par de douces paroles : "Chère mère, je suis un homme, un chevalier bien entraîné. Et je dis qu'en vérité il n'existe pas de guerrier, mis au monde par une femme, qui ne puisse être vaincu par la force et par conséquent t'aider, toi pauvre femme bien faible. Mais maintenant je te dis au-revoir et vais suivre mon chemin". [12953]

Beduer descendit rejoindre son souverain et lui expliqua l'infortune dont il avait été le témoin, comment il avait agi, ce que la vieille femme lui avait dit au sujet de la jeune fille et comment, chaque jour, le géant venait s'étendre aux côtés de la vieille femme. Ils se concertèrent, cherchant quelle conduite suivre pour écraser le démon. [12959]

Pendant ce temps, le géant arriva et se dirigea vers le feu. Il portait sur le dos un lourd fardeau composé de douze cochons liés entre eux, retenus par des lanières très solides. Il jeta à terre les cochons morts puis s'assit tout près. Il prépara son feu amoncelant de nombreux morceaux de bois. Il mit en morceaux les six cochons tout en souriant sans cesse à la femme. Peu après, il s'étendit aux côtés de le femme. Il ne se doutait pas de ce qu'avait appris sa victime. Il dispersa les braises incandescentes et se mit à rôtir sa viande. Lorsqu'il se releva de l'endroit où il était assis il avait mangé les six cochons noircis par les cendres - la viande était mauvaise. Puis il se mit à rugir, s'étira avec force, s'allongea près du feu et étendit ses membres. [12973]

Laissons maintenant le géant et tournons-nous vers le roi. Au bord de l'eau, Arthur prit ses armes à la main et le comte Beduer, ce bon chevalier, avisé et prudent, en fit de même. Le troisième était Kay, le sénéchal et parent du roi. Ils traversèrent l'étendue d'eau, armés au mieux, gravirent la colline de toutes leurs forces et arrivèrent près du feu où le géant reposait endormi et où la femme était assise et pleurait. Arthur s'approcha tout près de ses compagnons, il leur interdit, sous peine de perdre un membre ou la vie, de s'enhardir au point de s'avancer à moins qu'ils ne voient que c'était nécessaire. Beduer et son compagnon Kay attendirent à cet endroit. Arthur, ce guerrier très vaillant, s'avança jusqu'au lieu où le démon reposait endormi. Arthur ne connaissait pas la peur. Ce fut manifeste à cette occasion, aussi extraordinaire qu'elle puisse paraître. Arthur, en effet, aurait pu réduire le géant en morceaux, aurait pu tuer le monstre à l'endroit où il reposait endormi. Mais Arthur ne voulut pas l'attaquer dans son sommeil de peur de se l'entendre reprocher par la suite. Alors Arthur, le plus noble des rois, s'écria aussitôt : "Lève-toi, démon satanique, lève-toi pour connaître ta fin ! Nous allons maintenant régler nos comptes au sujet de la mort de ma parente !". Avant que le roi ait eu le temps de finir, le géant bondit et saisit son gros gourdin. Il s'attendait à réduire Arthur en pièces d'un seul coup. Mais Arthur leva son bouclier bien au dessus de son heaume, le géant frappa dessus et le fit vibrer. Puis Arthur répondit aussitôt de son épée, lui détacha le menton et toute la machoire. Il bondit derrière un arbre qui se trouvait dans les parages. Le géant répliqua immédiatement mais ne le toucha pas : il frappa l'arbre et son gourdin éclata en mille morceaux. Aussitôt Arthur courut autour de l'arbre ; et ainsi, Arthur et le monstre en firent trois fois le tour. Le géant se déplaçait avec difficulté tandis qu'Arthur était plus leste aussi il dépassa le géant et, dressant sa bonne épée, le frappa à la cuisse si bien que l'ogre tomba au sol. Et Arthur s'arrêta et regarda ; puis le démon se mit à parler : "Seigneur, seigneur, aie pitié de moi ! Qui est en train de se battre contre moi ? Je croyais qu'aucun homme ici-bas n'était capable de me battre aussi facilement sauf Arthur, le plus noble des Bretons. Et, pourtant, je n'ai jamais eu très peur d'Arthur". Alors Arthur, le plus noble des rois, lui dit : "Je suis le roi Arthur, le bien-aimé des Bretons. Parle-moi de ta race, de son lieu d'habitation, dis-moi qui, sur terre, peut être tenu pour ta mère ou ton père, en provenance de quel pays tu es arrivé ici et pourquoi tu as tué avec violence ma parente". Alors le démon répondit là où il reposait les yeux levés : "Je te dirai tout cela et gagnerai ta confiance à condition que tu me laisses la vie sauve et que tu acceptes que je soigne mes membres". Arthur se mit dans une grande colère, il appela Beduer, son vaillant guerrier : "Approche, Beduer, tranche-lui la tête ici-même et porte la en bas de ce mont". Beduer arriva et le décapita. Puis ils descendirent de ce lieu pour aller rejoindre leurs compagnons. [13033]

Alors le roi s'assit pour se reposer et le bon Arthur prononça ces paroles : "Je n'ai jamais eu à soutenir un tel combat en ce monde mis-à-part celui au cours duquel j'ai tué le roi Riun sur le mont de Ravinite ! ". Puis ils partirent et regagnèrent les combattants. Lorsque ceux-ci virent la tête, il leur sembla extraordinaire qu'une telle tête puisse exister sous ces cieux ! [13040]

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Résumé : la troupe d'Arthur prend la route pour Rome. Les Bretons arrivent en Bourgogne où ils apprennent que l'armée de l'empereur romain a passé les Alpes et vient à leur rencontre. Arthur dresse son campement au bord de l'Aube. Il envoie en délégation Walwain, Gerin et Beof auprès de l'empereur Luces. La rencontre se passe mal, Walwain tue un parent de l'empereur, le chevalier Quencelin. Les trois Bretons s'enfuient poursuivis par des Romains. Peu après, neuf mille Bretons arrivent en renfort. Le Romain Petreius est fait prisonnier. Arthur décide de l'envoyer en prison à Paris. En chemin, des Romains libèrent Petreius et massacrent les Bretons présents. Le roi du Poitou, Guitard, met les Romains en fuite et tue des milliers de soldats ennemis. Il rattrape Petreius qui est envoyé à Paris.

Arthur, apprenant que l'empereur veut se retirer, rassemble ses troupes à Langres. Une immense bataille s'engage entre les deux camps. Beduer et Kay trouvent la mort. Walwain se distingue. La bataille se termine par la mort de l'empereur et l'annonce par le roi Arthur de son intention de marcher sur Rome. [13041-13963]

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Alors se réalisa ce que Merlin avait prédit autrefois, c'est-à-dire que les remparts de Rome tomberaient devant Arthur. Cela avait eu lieu, à cet endroit, lorsque l'empereur et cinquante mille hommes étaient tombés pendant la bataille. Les puissants Romains avaient été réduits à néant ! Arthur, le plus puissant des rois, resta en Bourgogne ; il pensait vraiment qu'il allait posséder tous les territoires romains. [13970]

A un certain moment, arriva à cheval un homme valeureux. Il apportait au roi Arthur des nouvelles de Modred, le fils de sa soeur. Arthur se réjouit de son arrivée car il croyait qu'il apportait de très bonnes nouvelles. Arthur passa la nuit entière à converser avec le jeune chevalier qui n'osait pas dire la vérité au sujet de ce qui s'était passé. [13976]

Le lendemain, quand il fit jour et que les hommes commencèrent à bouger, Arthur se redressa et s'étira. Il se leva et s'assit aussitôt comme s'il était très mal en point. Un aimable chevalier lui demanda alors : "Seigneur, comment as tu passé cette nuit ?". Et Arthur répondit - il était fort troublé - : "La nuit dernière dans mon sommeil, alors que je dormais dans ma chambre, j'ai fait un rêve. C'est pourquoi je suis rempli de tristese. J'ai rêvé que je me trouvais en haut d'une grand'salle sur laquelle j'étais assis à califourchon comme si j'étais à cheval . J'embrassais du regard tout le territoire que je possède et Walwain était assis devant moi, il avait à la main mon épée. Alors arriva Modred en compagnie d'une foule immense. Il avait à la main une grosse hache et il se mit à frapper de toutes ses forces les piliers qui soutenaient la grand'salle qui s'écroulèrent tous. Je vis ensuite Wenhaver, la femme qui m'est la plus chère. Elle fit tomber de la main tout l'immense toit de cette grand'salle. Celle-ci se mit à s'effondrer et je tombai au sol si bien que mon bras droit se brisa en morceaux. Puis Modred dit : "Prends ça !". La grand'salle s'effrondra, Walwain s'écroula et tomba au sol, se cassant les deux bras. Et je saisis ma chère épée de la main gauche, tranchai la tête de Modred qui roula au sol. Puis je déchiquetai la reine de ma fidèle épée et, ensuite, la poussai dans une fosse privée de lumière. Et tous mes nobles sujets prirent la fuite si bien que je ne sus pas, ici-bas, ce qu'ils étaient devenus. Mais je me suis retrouvé dans un bois et me mis à parcourir en long et en large la lande où je vis des vautours et des oiseaux effroyables ! Puis au travers de la lande, s'approcha un lion d'or - l'animal le plus noble que notre Seigneur créa. Le lion vint à ma rencontre en courant, me saisit par la taille, puis s'enfuit jusqu'à la mer. Et je vis les vagues qui roulaient. Le lion entra dans l'eau avec moi. Une fois dans la mer, les vagues nous séparèrent. Mais un poisson vint près de moi et me ramena à terre : j'étais trempé, épuisé de douleur et souffrant. Puis je me suis réveillé et me suis mis à trembler fortement, à être parcouru de frissons comme si j'avais de la fièvre. Et j'ai beaucoup réfléchi à mon rêve, tout au long de la nuit, car je sais avec certitude que tout mon bonheur est arrivé à sa fin. Car jusqu'à la fin de ma vie, il me faudra endurer l'infortune, quel malheur que ma reine Wenhaver ne soit pas ici avec moi !". [14021]

Alors le chevalier répondit : "Seigneur, tu as tort. Il ne faut jamais interpréter les rêves tristement. Toi qui gouvernes ce pays, es l'homme le plus puissant, le plus avisé de tous ceux qui vivent sous ces cieux. S'il devait se trouver, ce qu'interdit notre Seigneur, que Modred, le fils de ta soeur, ait épousé ta reine et se soit emparé de tout ton royaume - que tu lui confias lorsque tu décidas de partir pour Rome - et s'il avait tout cela par traîtrise, tu pourrais toujours te venger dignement par les armes et reconquérir ton pays, gouverner ton peuple, anéantir tes ennemis - ceux qui te souhaiteront du mal - et les tuer tous afin qu'il n'en reste aucun". [14034]

Alors Arthur, le plus noble des rois, répliqua : "Jusqu'à la fin des temps, jamais je ne croirai que mon parent Modred ait cherché à me trahir pour obtenir toutes mes richesses ni que ma reine Wenhaver ait succombé intérieurement. Elle ne ferait jamais cela pour aucun homme sur terre". A ces mots, le chevalier répondit aussitôt : "C'est la vérité que je te dis, cher roi, car je suis ton sujet. Modred a agi de la sorte : il a épousé ta reine et s'est emparé de ton superbe territoire. Il est roi et elle est reine - ton retour n'est pas attendu car, en réalité, ils ne croient pas que tu reviendras de Rome. Je suis ton vassal et ai été témoin de cette trahison, aussi je suis venu te rejoindre, en personne, pour te dire la vérité. Je jure sur ma tête que je t'ai dis la vérité, sans mensonge aucun, au sujet de ta reine bien-aimée et de Modred, le fils de ta soeur, sur la façon dont il t'a soustrait la G.Bretagne". [14051]

Alors le silence se fit dans la grand'salle d'Arthur. L'affliction trouva place dans l'entourage du noble roi. C'est pourquoi les Bretons furent grandement découragés. Peu après, certaines voix s'élevèrent. On pouvait entendre, de tous côtés, les cris des Bretons. Ces derniers expliquaient avec toutes sortes de mots comment ils allaient tuer Modred et la reine ainsi que tous ceux qui s'étaient ralliés à Modred. Puis Arthur, le plus noble des Bretons, s'écria : "Asseyez-vous dans le calme, chevaliers, dans cette grand'salle et je vais vous tenir d'étranges discours. Dès demain, lorsqu'il fera jour et que le Seigneur aura envoyé la lumière, je partirai pour la G.Bretagne. Et je tuerai Modred, brûlerai la reine et anéantirai tous ceux qui ont soutenu cette trahison. Et je vais laisser ici l'homme auquel je suis le plus attaché, mon cher parent Howel, le plus noble de ma race. Je vais laisser ici, dans ce pays, la moitié de mon armée pour tenir tout ce royaume que je détiens. Et lorsque ces actes seront tous accomplis, je repartirai pour Rome et confierai mon noble pays à mon parent Walwain. Puis je mettrai ma menace à exécution, je le jure sur ma vie, : tous mes ennemis seront anéantis !". [14074]

Alors Walwain, qui était un parent d'Arthur, se leva et prononça ces paroles - le comte était furieux - : "Dieu tout puissant ! Régisseur des destinées ! Protecteur du monde entier ! Pourquoi a t-il fallu que mon frère Modred commette ce forfait ? Mais aujourd'hui, devant cette assemblée, je le renie et je le tuerai, si Dieu le veut. Je le pendrai moi-même, plus haut que tous les vauriens. Et je ferai écarteler par des chevaux la reine, selon la loi de Dieu. Car je ne serai jamais satisfait tant qu'ils seront vivants et tant que je n'aurai pas vengé mon oncle au mieux". Alors les Bretons répondirent avec empressement : "Toutes nos armes sont prêtes. Partons dès demain". [14087]

Le lendemain lorsqu'il fit jour et que le seigneur eut envoyé la lumière, Arthur partit avec sa noble suite. Il laissait la moitié de l'armée derrière lui et en conduisait l'autre moitié. Il traversa le pays jusqu'à Wissant. Il trouva rapidement de nombreux excellents navires mais l'armée resta là pendant deux semaines par manque de vent, surveillant le temps. [14094]

Il y avait cependant un chevalier malveillant dans les rangs de l'armée d'Arthur. Dès qu'il entendit la sentence de mort décrétée à l'égard de Modred, il choisit aussitôt un de ses serviteurs et l'envoya dans notre pays. Celui-ci apporta un message à Wenhaver expliquant ce qui s'était passé, qu'Arthur arrivait avec une grande armée, ce qu'il allait faire et quelles étaient ses intentions. La reine alla voir Modred - l'homme auquel elle tenait le plus - et lui donna des nouvelles du roi Arthur, précisant ce qu'il allait faire et quelles étaient ses intentions. Modred réunit ses messagers et les envoya en Saxe auprès de Childric qui était un roi très puissant. Il le pria de venir en G.Bretagne dont ils se partageraient le territoire. Modred pria le fort et puissant Childric d'envoyer des messagers au loin, aux quatre coins de la Saxe pour ordonner à tous les chevaliers qu'ils rencontreraient de se rendre immédiatement dans son royaume. Il donnerait à Childric une partie de son pays, tout ce qui s'étend au-delà de l'Humber, par conséquent il devrait l'aider à combattre son oncle, le roi Arthur. Childric se précipita en G.Bretagne. [14114]

Lorsque Modred eut rassemblé sa troupe de partisans, alors se trouvèrent réunis en tout soixante mille vaillants guerriers païens qui étaient venus là pour défaire Arthur et pour aider Modred, le plus malveillant des hommes ! Lorsque furent rassemblés les hommes de toutes les nations alors il y eut une foule d'une centaine de milliers de païens et de chrétiens. [14122]

Arthur attendait à Wissant ; quinze jours lui parurent trop longs. Et Modred sut tout ce qu'Arthur envisageait. Tous les jours, des informations lui parvenaient du camp du roi. Puis, un jour, la pluie se mit à tomber en grande quantité, le vent tourna et souffla de l'est. Et Arthur se dépêcha d'embarquer avec toute son armée. Il donna ordre à ses marins de le conduire à Romney , endroit où il avait décidé de débarquer. Lorsqu'il arriva dans le port, Modred était là pour s'opposer à lui. [14131]

Lorsque le jour se leva, ils engagèrent la bataille qui dura toute la journée. De nombreux hommes connurent la mort. Certains se battaient dans les terres, d'autres au bord de l'eau, d'autres encore envoyaient des lances aiguisées depuis les bateaux. Walwain sortit en premier et se fraya un chemin en tuant aussitôt onze chevaliers. Il tua le fils de Childric qui était venu là avec son père. Le soleil disparut. Le malheur s'abattit sur les hommes, Walwain fut mortellement touché par un comte saxon - maudite soit son âme ! Alors Arthur se désola, fut affligé et le plus puissant des Bretons prononça ces paroles : "Maintenant j'ai perdu mes chers jeunes vassaux. Je savais, suite à mon rêve, quels malheurs m'étaient réservés. Le roi Angel, qui m'était cher, a été tué, tout comme Walwain, le fils de ma soeur. Quelle malédiction d'avoir jamais vu le jour ! Maintenant descendez, descendez vite des navires mes braves guerriers ! ". A ces mots, soixante mille superbes soldats se ruèrent au combat et rompirent les rangs de Modred. Ce dernier faillit être capturé, il s'enfuit et ses hommes le suivirent. Ils fuirent abominablement, les champs en tremblèrent, les pierres en crissèrent dans le jaillissement du sang. La bataille aurait été complètement terminée si la nuit n'était arrivée si tôt. Si la nuit n'était pas tombée, ils auraient tous été tués ! La nuit les dispersa dans les vallées, sur les monts. [14157]

Et Modred s'enfuit si loin qu'il arriva à Londres. Les habitants apprirent ce qui s'était passé et refusèrent de l'accueillir lui et ses hommes. Modred partit alors pour Winchester où il fut reçu avec ses hommes. Et Arthur le poursuivit de toutes ses forces jusqu'à Winchester. Avec son immense armée, il assiégea la ville dans laquelle Modred attendait. Lorsque Modred vit qu'Arthur était si près de lui, il se demanda à plusieurs reprises ce qu'il pouvait faire. Alors, cette même nuit, il ordonna à tous ses chevaliers de sortir de la ville équipés de toutes leurs armes et leur dit qu'il voulait se battre et résister à cet endroit. Il promit pour toujours d'accorder aux bourgeois leur propre administration judiciaire à condition qu'ils l'aident dans cette situation très critique. [14172]

Lorsqu'il fit jour, alors ils étaient prêts pour le combat. Arthur s'en aperçut - le roi était furieux - il fit sonner les trompettes, rassembler ses hommes pour la bataille. Il ordonna à tous ses guerriers, ses nobles chevaliers de combattre côte à côte, de frapper ses ennemis, de détruire la ville et de pendre les habitants. Ils engagèrent le combat et combattirent avec acharnement. [14179]

Alors Modred se demanda ce qu'il pouvait faire. Et, à cette occasion, il se comporta comme il l'avait déjà fait ailleurs : il trahit au plus haut point car il avait toujours mal agi. Il trahit ses compagnons devant Winchester, fit appeler immédiatement ses chevaliers préférés et ses chers amis parmi les hommes de son armée puis s'éloigna de la bataille - que le Démon l'emporte ! - et laissa tous ces bons guerriers se faire tuer. Ceux-ci combattirent toute la journée. Ils pensaient que leur seigneur était là, qu'il était à leur côté dans ce moment critique. Mais lui, le plus mauvais de tous les hommes, prit la route qui mène à Southampton, se rendit au port et s'empara de tous les navires en bon état et de tous les marins nécessaires pour ces bateaux. Et le plus détestable de tous les rois de cette époque partit pour la Cornouailles. [14194]

Et Arthur assiégea, sans relâche, la ville de Winchester, il tua tous les habitants - le malheur fut grand - Il tua tout le monde, les jeunes comme les vieux. Lorsque les gens furent tous morts et la ville complètement anéantie par les flammes, alors il fit abattre tous les remparts. Il arriva donc ce que Merlin avait prédit : "Tu seras maudite Winchester ! La terre t'engloutira !" Voici ce que Merlin, qui était un grand prophète, déclara . [14202]

La reine était à York, elle n'avait jamais été si triste. La reine Wenhaver était alors la plus misérable des femmes. Elle apprit, ce qui était vrai, que Modred s'enfuyait systématiquement et qu'Arthur le suivait. Elle regretta d'être alors en vie. Elle quitta York de nuit et se rendit à Caerleon aussi vite que possible. Deux de ses chevaliers l'y conduisirent de nuit. On couvrit sa tête d'un saint voile et cette femme des plus mauvaises fut religieuse à cet endroit. Alors personne ne sut ce qu'était devenue la reine et bien des années plus tard on ne savait pas si elle était vraiment morte ou si elle avait été engloutie par les flots. [14216]

Modred était en Cornouailles et avait réuni de nombreux chevaliers. Il envoya rapidement ses messagers en Irlande, dépêcha ses messagers en Ecosse. Il ordonna à tous ceux qui voulaient obtenir des terres, de l'argent, de l'or ou des biens de venir aussitôt le rejoindre. Il veillait à sa protection à tous égards, ce que tout homme circonspect fait en période difficile. Arthur, hors de lui, apprit que Modred était en Cornouailles en compagnie d'une immense armée et qu'il avait l'intention d'y rester en attendant la venue d'Arthur. Arthur envoya des messagers dans tout son royaume et ordonna à tous ceux qui vivaient et qui étaient capables de porter les armes de venir le rejoindre. Tous ceux qui ne respecteraient pas l'ordre du roi, seraient brûler vifs sur place. A cheval ou à pied, une foule immense rejoignit l'armée telle la pluie qui tombe à verse. [14234]

Arthur se rendit en Cornouailles en compagnie d'une imposante armée. Modred l'apprit et avança pour lui opposer une troupe innombrable - il y avait de nombreux hommes voués à la mort ! Ils se firent face au niveau de la Tamar. L'endroit s'appelle Camelford et ce nom restera à jamais . A Camelford se trouvaient réunis soixante mille hommes, et plusieurs autres milliers en plus. Modred était leur général. Puis le puissant Arthur arriva avec une troupe innombrable - mais ils étaient voués à la mort ! La bataille s'engagea au bord de la Tamar. Ils brandirent leurs bannières, chargèrent ensemble. Ils tirèrent leurs longues épées ! Ils martelèrent les heaumes ! Des étincelles s'échappèrent ! Les lances se brisèrent ! les boucliers vibrèrent ! les lances furent réduites en morceaux ! Un très grand nombre d'hommes était engagé dans la bataille. La Tamar débordait de sang en grande quantité. Personne, présent à cette bataille, ne pouvait reconaître un guerrier ou dire qui combattait mal et qui combattait bien tant le combat était confus ! Car chacun, écuyer ou chevalier, se battait avec acharnement. Modred fut terrassé, privé de vie. Tous ses chevaliers furent décimés dans le combat. Tous les vaillants hommes d'Arthur furent tués, les grands comme les humbles, tous les Bretons de la Table Ronde d'Arthur, tous ceux qu'il nourrissait et qui venaient de multiples royaumes. Et Arthur fut blessé par une longue lance meurtrière. Il reçut quinze effroyables blessures, dans la moins profonde on aurait pu enfoncer deux gants ! [14262]

Alors, parmi cette troupe de deux cent mille hommes qui jonchaient le sol mis en pièces, il ne resta plus que le roi Arthur et deux de ses chevaliers . Arthur était très gravement atteint. Un jeune homme, qui était un de ses parents, vint auprès de lui. C'était le fils de Cador, le comte de Cornouailles. Le jeune homme s'appelait Constantin, il était cher au roi. Arthur, depuis l'endroit où il se trouvait sur le sol, le regarda et prononça ces paroles, le coeur meurtri : "Constantin, tu es le bienvenu, toi qui étais le fils de Cador. Je te cède ici même mon royaume. Protège mes Bretons tout au long de ta vie, maintiens, pour leur bénéfice, toutes les lois qui étaient en vigueur de mon vivant et toutes les bonnes lois qui existaient du temps d'Uther. Et je vais partir pour Avalon , me rendre auprès de la plus belle de toutes les femmes, la reine Argante, une fée ravissante. Et elle va soigner toutes mes blessures, me rendre la santé grâce à des potions curatives. Et, ensuite, je reviendrai dans mon royaume pour vivre avec les Bretons dans l'allégresse". [14282]

Résumé : Constantin succède à Arthur. Les deux fils de Modred déclenchent une guerre contre ce nouveau roi. L'un des deux fils part pour Londres, l'autre pour Winchester. Constantin poursuit tout d'abord le premier qu'il tue dans une église puis il se rend à Winchester où il tue le second également dans une église. Le sang de ce second fils de Modred recouvre l'autel de l'église. La paix revient en G.Bretagne mais Constantin est tué par ses ennemis au bout de quatre ans de règne. Le fils de la soeur de Constantin, Conan, devient roi. Celui-ci est un personnage maléfique qui commence par empoisonner les fils de son oncle, se querelle avec ses hommes et cherche à violer ses propres soeurs. Une guerre civile de six ans ravage le pays. Le roi meurt en tombant de cheval. Le roi suivant est Vortiporus. De nouveaux Saxons débarquent au nord de l'île mais sont rapidement exterminés. Sept ans plus tard, Malgus succède à Vortiporus. C'est un roi généreux et brave. Cependant, il lui est reproché de préférer les hommes aux femmes. Son parent Carric lui succède. Le roi est rapidement dénigré, le peuple se moque de lui, l'appelle "Kinric" et compose des chants dans lesquels il est ridiculisé. Une nouvelle guerre éclate, des Saxons débarquent à nouveau et le roi ne peut qu'errer dans son propre royaume. Un puissant roi africain, Anster, a deux fils : Gurmund et Gerion. Gurmund ne veut pas entendre parler du royaume de son père car il souhaite devenir le roi d'un pays qu'il aura conquis en compagnie de ses hommes. Gurmund envoya ses messagers en Turquie, Perse, Arabie etc.. et réunit une très grande armée. Ils embarquent dans sept cents navires et s'emparent de nombreux territoires. Ils arrivent ainsi en Irlande qu'ils annexent puis se rendent dans le sud de l'Angleterre. Au delà de l'Humber vivent les descendants d'Hengest qui font croire à Carric qu'ils souhaitent s'allier à lui contre les nouveaux venus. Entre-temps, ces Saxons passent un accord avec Gurmund et attaquent ensemble les Bretons de Carric. Ce dernier est traqué et se retrouve assiégé dans Cirencester. Gurmund détient tout le reste du royaume. Il tue systématiquement tous les moines, prêtres, détruit les églises et monastères. Les Bretons partent se réfugier en Cornouailles, au Pays de Galles, en Bretagne, en Irlande. Le fils du roi de France, Isemberd, devient l'homme de Gurmund. Un païen a recours à une ruse pour déloger le roi Carric de Cirencester : des moineaux portant des noisettes incandescentes sont lâchés vers la ville. Les noisettes mettent le feu à la cité qui est entièrement détruite par les flammes. Le roi parvient à s'enfuir et disparaît au Pays de Galles. Gurmund devient le roi de G.Bretagne ; il rétablit le paganisme et favorise les Germains ou plus précisément les Anglais. Les Bretons sont persécutés et décimés. [14298-14694]

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Il y avait alors à Rome un pape au service de Dieu qui s'appelait Grégoire. C'était un élu de Dieu. Il arriva un jour que le pape eut à sortir, eut une affaire à traiter. Lorsqu'il arriva dans une rue qui menait à Rome, il vit trois hommes, à la beauté extrême, de nationalité anglaise que l'on conduisait, solidement enchaînés. Ils étaient à vendre et le prix était affiché. Alors le pape demanda aussitôt à ces beaux hommes d'où ils venaient, comment ils étaient arrivés là et sur quel rivage ils avaient été trouvés. Le premier, qui était un homme très beau, répondit : "Nous sommes des païens, on nous a conduits ici ; nous avons été vendus et emmenés loin de la terre des Angles. Nous te demanderons le baptême si tu acceptes de nous libérer". Ainsi parlèrent ces Anglais, originaires d'une noble famille. Alors Grégoire ressentit de la compassion - c'était un élu de Dieu - et il répondit : "Vous êtes effectivement des Anglais, semblable à des anges . De tous les peuples qui vivent sur terre, de tous les vivants, votre race est la plus belle". Le pape leur demanda de nombreux renseignements sur leurs lois, leur pays, le roi de cette nation. Et ils lui dirent toute la vérité qu'ils connaissaient. Et (le pape) les fit affranchir, leur donna le baptême puis repartit aussitôt pour Rome. Il appela un cardinal de haut rang, parmi ceux à son service, qui s'appelait Austin et qui était le plus noble des clercs. Le pape lui dit lors de cet entretien : "Austin , tu vas partir pour l'Angleterre et te rendre, avec des pensées sincères, à la cour du roi Aethelbert où tu annonceras la parole de Dieu. Tu remporteras un grand succès. Je te confie quarante bons clercs. Demain est le jour désigné pour ton départ". [14728]

Austin, en compagnie de ses clercs, partit. (Cette entreprise) lui plaisait. Il débarqua à Thanet , progressa jusqu'au Kent et arriva à Canterbury qui l'enchanta. Il y trouva Aethelbert qui était le roi de ce pays. Il parla à Aethelbert du dieu divin, il lui raconta l'évangile. Le roi l'écouta avec grande attention. Il accueillit favorablement (le (discours) du prédicateur et aspira rapidement à devenir chrétien. Le roi Aethelbert, et tous ceux de sa cour, furent baptisés. Sans attendre, il fit bâtir une très belle église, dédiée à la sainte Trinité . Le roi s'en réjouit. [14739]

Ensuite, Austin parcourut la région vers l'est, l'ouest, le sud et le nord. Il voyagea dans toute l'Angleterre et la convertit au christianisme. Il forma des clercs, érigea des églises. La toute puissance du Sauveur lui permit de soigner les malades.Il progressa tant vers le sud qu'il arriva à Dorchester où il rencontra les hommes les plus mauvais parmi les habitants de ce pays. Il leur parla du message de Dieu et ils se moquèrent de lui. Il leur fit part du christianisme et ils ricanèrent. Pour leur malheur, (ces hommes) s'approchèrent de l'endroit où se tenait saint Austin, en compagnie de ses clercs, et où, selon son habitude, il parlait du Christ, le fils de Dieu. (Ces citadins) prirent des queues de raies qu'ils accrochèrent à sa chape, de chaque côté. Ils coururent auprès de lui et lui lancèrent des os puis ils l'attaquèrent à l'aide de pierres redoutables. Ils l'humilièrent ainsi et le chassèrent de ce lieu. Ils furent odieux avec saint Austin qui entra dans une très grande colère et qui s'éloigna de sept kilomètres de Dorchester jusqu'à une grande et belle colline. [14758]

Il tomba à genoux pour prier et s'adressa avec insistance à Dieu pour que celui-ci le venge de ces hommes maudits qui l'avaient humilié par leurs mauvaises actions. Notre Seigneur, au ciel, l'entendit, et il envoya son châtiment sur ces êtres misérables qui avaient attaché les queues de raies aux clercs. Ces queues vinrent se fixer sur eux et par conséquent ils eurent une queue ! Ces hommes furent déshonorés, ils portaient une queue. Et dans chaque maisonnée, on les appela "les gens à queues" et chaque homme libre parle d'eux avec mépris. A cause de ce même acte, à l'étranger, on représente les seigneurs anglais avec un visage rouge et, souvent, le fils d'un homme de valeur, dans une autre nation, est traité d'abject alors qu'il n'est jamais venu dans les parages . [14772]

Austin s'établit au pied d'une colline en compagnie de ses clercs qui étaient originaires de Rome. Ils s'adressèrent au Seigneur, qui créa la lumière du jour ; ils étaient tristes, affligés, ils se sentaient accablés par la honte d'avoir été ainsi humiliés par ces êtres misérables. (Austin) voulait immédiatement repartir pour Rome et se plaindre à Grégoire - ce saint apôtre - de la façon dont les habitants de Dorchester les avaient accueillis. Alors qu'il était tout prêt et qu'il avait décidé de reprendre la route, cette nuit là lui apparut notre Seigneur qui l'appela par son propre nom - il s'en réjouit - "A quoi penses-tu, Austin, à quoi penses-tu, être très cher. Ainsi, tu voudrais, si vite, retourner à Rome. Tu ne vas pas quitter ce pays dès maintenant. Tu m'es très cher et je serai à tes côtés ; puis tu iras droit au royaume des cieux. Le paradis t'attend, ton âme y montera". Ainsi parla notre Seigneur à son chevalier Austin. [14790]

Lorsque Austin eut compris ce que lui avait dit notre Seigneur, et eut vu ce dernier qui lui donnait ainsi des commandements, le Sauveur monta au ciel et Austin tomba à genoux à l'endroit où il avait vu le Seigneur. En pleurs, il s'adressa au roi céleste. Il pria avec ferveur demandant la miséricorde du Dieu tout puissant avant de tomber, avec tous les autres, sur la terre. Il planta son bâton à l'endroit même où s'était tenu notre Seigneur. Quant à lui, il s'agenouilla tout près, parla à ses compagnons qui approuvèrent son discours. Lorsqu'il eut rapporté les paroles de Dieu, il mit la main sur son bâton pour retourner dans son logement. Il retira sa crosse du sol et de l'eau jaillit aussitôt. C'était la meilleure eau de source qui coule sur terre. Auparavant, il n'y avait aucune habitation, aucun habitant à cet endroit. Peu après, des gens arrivèrent en grand nombre auprès du noble Austin. C'est en raison de la foi de ce dernier qu'ils se rendirent à ce lieu et qu'ils se mirent à ériger des constructions près de cette source remarquable. De nombreux hommes furent guéris. Il nomma cet endroit "Cernel". Cerno, cernis, voilà assûrément du latin. "Cerno", en anglais - tel qu'il est utilisé - signifie "je vois". "El", en vérité, veut dire "Dieu" en hébreu. Il appela donc ce lieu "cernel", c'est-à-dire "je vois Dieu" . Ce nom restera jusqu'à la fin des temps, puisqu'il découle de la volonté de Dieu, en l'honneur de l'endroit où notre Seigneur se tint en compagnie de ses anges lorsqu'il parla à Austin. [14817]

Austin parcourut l'Angleterre en long et en large. Il baptisa des rois et leurs hommes, baptisa des comtes, des barons, des Anglais et des Saxons : il convertit au christianisme tous les habitants de ce pays. Il fut ravi d'avoir apporté la joie à ce peuple. Les Bretons détenaient, au nord de l'Angleterre, une très vaste étendue de terres et de solides châteaux forts. Les Bretons refusaient de se soumettre aux Anglais. Il y avait, parmi eux, un très grand nombre de moines. Saint Austin trouva dans cette région sept véritables évêques qui chantaient la messe et un archevêque qui siégeait à Caerleon. Il y avait à Bangor un monastère où vivaient de très nombreux moines. Leur abbé se nommait Dionot, c'était un homme de haute lignée. Il avait mille six cents moines - et même plus - répartis en sept maisons. C'était des moines très vaillants, d'origine bretonne, des hommes à l'esprit peu ouvert. [14835]

Austin envoya des messages aux sept évêques, les priant de venir rapidement pour parler avec lui et pour se soumettre à lui et chanter la messe en son nom. Il détenait, en effet, la plus haute dignité du pays : il portait le titre de "prélat", c'était le primat de ce territoire. Ces évêques étaient intransigeants et donnèrent leur réponse : "Nous ne dépendons nullement de celui qui s'appelle Austin ; nous sommes, dans ce pays, des hommes de grande noblesse et de pouvoir. Nous détenons nos droits de notre archevêque qui demeure à Caerleon et qui est un clerc excellent, remarquable ; il a reçu sa soutane des mains du pape Grégoire et possède son archevêché en tout honneur. Jamais, ici-bas, nous inclinerons nous devant cet étranger d'Austin car il est notre ennemi véritable, lui et ses compagnons. Austin, en effet, a débarqué dans notre pays, a baptisé le roi qui s'appelle Aethelbert - le maître des habitants du Kent et un dignitaire parmi les Anglais. Et il a trouvé en cet endroit ces chiens païens qui arrivèrent de Saxe avec le roi Gurmund ; il les a tous baptisés et convertis au christianisme, eux qui détiennent injustement notre royaume. Nous sommes tous des chrétiens, de race chrétienne : nos ancêtres l'étaient déjà il y a plus de trois cents ans tandis qu'eux viennent d'arriver, ont accepté le christianisme et Austin les a baptisés et convertis au christianisme. C'est pourquoi nous le détesterons et jamais ne lui obéirons. Jamais, de notre vivant, l'accueillerons nous amicalement". [14864]

Ces propos arrivèrent bientôt jusqu'à Austin qui apprit combien ces évêques le rabaissaient, quelle réponse ils lui adressaient et combien les clercs bretons se moquaient de lui. Il en fut affecté et son coeur fut triste aussi il partit immédiatement, alla trouver le roi et se plaignit à Aethelbert, le roi des Angles de l'est, lui expliquant comment les évêques bretons l'avaient accueilli par des sarcasmes, et le mépris avec lequel ils refusaient de le reconnaître comme leur supérieur. Le roi entra dans une grande colère et déclara qu'il allait les supprimer de ce pays. Et c'est ce qu'il fit peu après. [14875]

Aethelbert était le roi du Kent. Il avait alors un parent, dans le Northumberland, qui s'appelait Aeluric et qui était le plus mauvais des rois. Celui-ci avança l'idée de mettre à mort les évêques, de les tuer, de les priver de vie. Les Bretons ne savaient pas encore que le malheur les attendait. Aethelbert envoya ses messagers dans tout le pays. Aeluric envoya des messagers dans tout le Northumberland. Ils assemblèrent une armée immense dans le pays et décidèrent d'exterminer les Bretons et de tuer les clercs. Ils marchèrent sur Leicester et assiégèrent la ville. Ils savaient que Brochinal était à l'intérieur ; c'était un comte breton, un chevalier parmi les meilleurs, qui habitait à Leicester. Brochinal sortit, prépara ses forces et partit pour la bataille contre les chevaliers d'Aethelbert. Il fut bientôt vaincu et tous ses Bretons furent fait prisonniers. C'est pourquoi (les Saxons) se ruèrent dans Leicester et tuèrent ou prirent tout ce dont ils s'approchèrent. Ils décidèrent de partir pour le Pays de Galles et d'y tuer tous les Bretons qui se trouvaient là. Aeluric vécut heureux à Leicester. [14896]

A la même époque se rendirent auprès du roi Aeluric des moines, ermites, chanoines, évêques et des prêtres qui portaient des symboles divins. Ils vinrent se jeter aux pieds du roi, implorèrent sa miséricorde, le prièrent, au nom de l'amour de Dieu, de leur permettre de rester dans ce pays. En échange ils prieraient pour lui le Roi suprême. Alors le plus mauvais des rois répondit : "Ecoutez tous ce que je vais dire. Regroupez-vous tous à l'extérieur dans le champ. Je vous ferai savoir ce qui adviendra et ce que mes conseillers m'auront conseillé". [14907]

Les moines et les prêtres sortirent, les clercs et les chanoines sortirent ; tous ceux qui étaient venus pour obtenir la miséricorde du roi, simplement par amour de Dieu, sortirent. Ils quittèrent la ville et s'assemblèrent dans un vaste champ. Le malheur les attendait. Aeluric décida - ce que personne ne lui demanda - d'abattre tous ces hommes. Il envoya aussitôt cinq cents chevaliers accompagnés de neuf cents vaillants fantassins. Ils s'engagèrent dans le champ, armés de haches de combat, et massacrèrent illégitimement tous ceux dont ils s'approchèrent. Ils tuèrent mille cinq cent soixante cinq hommes estimables - des lettrés - le malheur s'était abattu sur ces gens ! [14922]

Cet épisode fut bientôt connu partout. Il y avait alors dans le pays trois dignitaires estimés et tous les Bretons se rendirent auprès du même (des trois). Cet unique homme noble du pays était le vaillant Baldric, comte de Cornouailles. Il détenait tout le Devonshire là où le fleuve Exe se jette dans la mer. Les Bretons possédèrent ce territoire très longtemps jusqu'à ce que le puissant Athelstan, roi de notre pays, s'empare, à leur détriment, de toutes ces terres et les reflue par delà la Tamar si bien que, par la suite, ils ne furent jamais plus à la tête de ce royaume. Dans le Pays de Galles du Nord se trouvait un roi : le valeureux Cadwan. Dans le Pays de Galles du Sud, il y avait Margadud, le plus admirable des hommes. Il détenait tout le territoire au delà de la Severn - depuis l'extrêmité supérieure jusqu'à son embouchure. Le roi Margadud vivait à Malvern, près de la Severn, en compagnie d'un peuple nombreux. Athelstan, le roi de cette nation, vint à sa rencontre et contint (les Bretons) très durement. Il les accueillit en leur infligeant des pertes, les repoussa par les armes par delà la Wye et s'empara du territoire qui s'étend entre (les deux rivières). Ils perdirent à jamais la Severn et la Wye. Margadud, Baldric et le valeureux Cadwan réunirent une troupe innombrable et partirent attaquer Aeluric, le roi du Northumberland. Ils se battirent avec acharnement contre lui et écrasèrent ses troupes. Le roi du Northumberland fut très gravement blessé - le combat fut immense. Le comte Baldric fut bientôt déchiqueté par des épées. Au cours de la bataille, dix mille chevaliers - de vaillants Bretons - s'écroulèrent, touchés par des lames d'acier. Dix sept mille Anglais et Saxons furent réduits en pièces par (diverses) armes - l'armée était reduite d'autant ! Aeluric repartit pour le Northumberland ; il était gravement blessé. Ses hommes étaient attristés. [14957]

Cadwan, Margadud et leurs troupes tinrent une assemblée dans notre pays. Tous les Bretons les accompagnèrent. Ils se rendirent à Leicester et s'emparèrent de la ville. Alors ils prièrent de venir à cette assemblée tous ceux qui voulaient vivre dans ce territoire. Les Anglais vinrent, les Saxons aussi. Le valeureux Cadwan fut élu roi. Tous ceux sur lesquels il portait le regard s'inclinèrent devant lui. [14966]

Les blessures d'Aeluric, en Northumberland, s'étaient refermées mais il était très affecté par la perte de ses guerriers et par la défaite de son peuple. Aeluric obtint souvent des nouvelles du roi Cadwan par l'intermédiaire de l'armée du souverain : des menaces en grand nombre de la part du plus odieux des hommes ; Aeluric envoya des messagers en Ecosse et dans le nord où il pouvait obtenir des chevaliers. Il appela à lui tous ceux qui pouvaient venir et leur demanda de lui apporter leur aide en ce moment critique. Cadwan leva des troupes dans le pays entier et tous les Gallois vinrent lui prêter main forte. Il prit ensuite la route du Northumberland. Aeluric l'apprit et partit à sa rencontre si bien qu'il n'y avait que trois kilomètres entre eux. Les armées avancèrent comme pour une bataille. Puis des comtes, des barons, des évêques et des lettrés se rendirent compte que, s'ils engageaient le combat et se frappaient avec des armes, alors des hommes en grand nombre tomberaient morts. Ils se demandèrent plus d'une fois ce qu'ils pouvaient faire. [14987]

Ils firent la paix et établirent une trêve d'un jour. Ils discutèrent ensemble, s'entretinrent et décidèrent de réconcilier les rois. Les deux souverains s'accordèrent. Réconciliés et réunis, ils s'embrassèrent souvent. Ces rois s'embrassèrent affectueusement de nombreuses fois. Les comtes embrassaient les autres comme s'il se fut agi de leurs propres frères, les écuyers s'amusaient, la joie régnait parmi les chevaliers. Aeluric devint roi au nord de l'Humber et Cadwan fut un bon roi dans la partie au sud de l'Humber. La joie régnait parmi les troupes de ces vaillants rois. Il ne fut jamais évoqué, que ce soit dans un récit ou dans un chant, d'amour plus grand entre deux rois. Ce que l'un possédait appartenait aux deux. L'un tenait plus à l'autre qu'à son frère. Tous les deux prirent femme et se réunissaient souvent. Lorsqu'ils eurent épousé leur femme, ils allèrent au lit au même moment. Tous les deux firent l'amour à leur épouse. Elles conçurent deux fils , toutes les deux au même moment. Ils naquirent tous les deux le même jour. Ils furent élevés et nourris ensemble. Les enfants grandirent et s'épanouirent. Leurs parents s'en réjouirent. Car pour renforcer l'affection qui liait leurs chers pères, on les éduqua ensemble, on les instruisit ensemble. Tous les deux portaient un vêtement similaire. Les enfants agirent tout comme leurs parents avaient agi auparavant : ils partageaient un tel grand amour que cela semblait prodigieux. [15015]

Ils vécurent ainsi de très nombreuses années jusqu'à ce que les enfants aient beaucoup grandi. Ils montaient à cheval, aimaient revêtir les tenues de chevaliers. Ils montrèrent plus d'une fois leur force : leurs bras étaient puissants, ils brisaient de longues lances, frappaient avec de longues épées et assénaient de terribles coups. Puis leurs pères se rendirent avec grande courtoisie, grande joie, en Bretagne - cette région s'appellait alors encore "Armorique" - et les jeunes gens furent armés chevaliers. Quelques années plus tard, les pères moururent et les deux enfants furent élus rois : chacun d'entre eux détint son territoire tout comme leurs parents auparavant. [15028]

Il y avait alors à Canterbury - la ville était très prospère en ce temps là - un archevêque qui était un homme très bon. Il interdit aux rois de porter une couronne avant qu'il ne vienne lui-même en poser une sur leur tête. Cet ordre fut respecté à cause de l'autorité que possédait l'archevêque et Cadwalan détint le territoire qui s'étend de ce côté ci de l'Humber tandis qu'Edwin eut celui qui se situe au delà vers le nord. Ils furent élevés à la dignité de roi et prêtèrent serment. Mais la couronne leur était interdite au nom de Dieu. Cadwalan, qui était le fils de Cadwan, réfléchit. Il se demanda souvent ce qu'il pouvait faire après la mort de leurs deux pères. [15040]

Cette entente ne dura que l'espace de sept années. Cadwalan avait de très nombreux châteaux et la souveraineté penchait plus en faveur de Cadwalan. Celui-ci partit pour Londres. Il envoya des hommes fidèles pour aller chercher l'archevêque et donner l'ordre à ce dernier de venir rapidement à Londres. Lorsque (l'archevêque) arriva à Londres, le roi se réjouit. Le souverain alla à pied à la rencontre de l'archevêque, franchit la porte de la grand'salle et dit : "Tu es le bienvenu". Il le regarda avec affection et l'appela "Seigneur". Il donna raison en tous points à notre Sauveur, parla de théologie et de tous les bienfaits de Dieu. L'archevêque appréciait les propos qu'il lui tenait. Le souverain lui demanda, aimablement et à maintes reprises, de le couronner roi dans son territoire. Un jour fixé, les habitants se rassemblèrent. Cadwalan fut bientôt couronné, la joie éclata dans la ville ! [15058]

Edwin ne savait rien de cet événement et dès qu'il l'apprit, il fut pris d'une grande colère et répéta sans cesse : "Je vais déclencher la guerre et je tuerai tous les hommes de Cadwalan - le plus vil des hommes - que je trouverai vivants !". Il se mit à rassembler une armée de plusieurs milliers d'hommes. Il les conduisit de ce côté de l'Humber pour commettre des ravages ; des chevaliers très avisés se réunirent en conseil ; il s'agissait de la totalité des hommes les plus réfléchis du pays. Ils conseillèrent à Edwin, leur seigneur, d'envoyer ses messagers à la cour du roi Cadwalan et de l'implorer, en tant que son cher frère, et au nom de la grande affection qui unissait leurs parents, de le laisser être roi et recevoir la couronne. Alors, il se retirerait et rentrerait chez lui avec son armée, de l'autre côté de l'Humber où il respecterait la paix et ne reviendrait jamais, à condition qu'il soit élevé et maintenu à la dignité de roi par le dieu tout puissant. Alors, au nom de sa vie, il aimerait Cadwalan et serait toujours prêt à l'aider dans quel pays que ce soit. [15078]

Cadwalan, qui était roi dans le sud, écouta ces propositions et répondit par un noble discours : "Je viens d'entendre (de sages paroles concernant cette requête d'Edwin) , qui est mon cher frère. Je vais aller demander conseil à ce sujet et lui donnerai une réponse dans quelques jours" - il accepterait ou refuserait selon ce que ses seigneurs lui recommanderaient. La date fut fixée, n'importe quel jour convenait ! [15087]

Lorsque tout ceci fut terminé, ils marchèrent jusqu'à un gué. La rivière se nommait Douglas. Ils s'y rendirent. La rencontre entre les deux rois eut lieu à cet endroit. Edwin supplia, de ses toutes forces, que Cadwalan acceptât de le voir porter la couronne : alors il l'aimerait à jamais. Des dignitaires se réunirent pour débattre de ce problème. Certains étaient pour, d'autres étaient contre. Certains acceptaient, d'autres refusaient (cette demande). [15096]

Le temps que ces chevaliers avisés se mettent d'accord, le roi descendit de cheval dans un pré. Le souverain fut pris d'une envie de dormir tandis que les seigneurs débattaient. Un chambellan arriva qui s'assit immédiatement. C'était le fils de la soeur du roi et il s'appelait Brian. Il prit la tête de son seigneur - ce dernier lui était très cher parmi tous - la posa sur ses genoux et en peigna la chevelure. Le roi s'endormit et Brian se mit à pleurer. Les larmes tombèrent sur le visage du roi et le souverain se réveilla ; ses joues étaient mouillées. Il porta la main à son visage, croyant qu'il saignait. Il jeta des regards étonnés à Brian et il vit les larmes qui s'échappaient de ses yeux. Le guerrier se mit à sangloter amèrement sur le roi. Alors le souverain, qui s'appelait Cadwalan, demanda aussitôt : "que t'arrive-t-il, cher cousin, pour pleurer si fort aujourd'hui ? Tu es considéré comme un homme viril ; as tu maintenant des manières de femme ? explique moi rapidement le sort qui t'est réservé". [15114]

Brian, chevalier parmi les meilleurs, répondit alors : "Nous pouvons maintenant verser des larmes de désolation, nous tenir pour misérables alors que nous étions grands. Tu vas maintenant accepter ce qui ne s'est jamais vu, à savoir qu'il y ait deux rois couronnés dans ce pays. Nous déplorerons notre grandeur passée - car la gloire se perd et le bien-être disparaît". Cadwalan, qui était roi dans ce pays, écouta ces paroles et fut pris d'une vive fureur. Sans attendre, il envoya des messagers au roi Edwin et le pria de quitter rapidement son royaume : "Car jamais, de par sa propre vie, ne porterait-il de couronne. Et s'il essayait d'en porter, il l'en empêcherait, lui ôterait la vie, s'emparerait - à son profit - du Northumberland et détiendrait tout son royaume. Il serait considéré comme odieux !". [15130]

Ce message fut transmis au roi Edwin qui fut déchaîné à l'instar du sanglier sauvage lorsque celui-ci est encerclé par des chiens dans la forêt. Et le plus furieux des rois répondit ainsi : "Que le Seigneur qui créa la lumière du jour et tous les saints trésors de Rome m'apporte son aide. Je porterai une couronne. Et il va le payer cher, il connaîtra la pire des malédictions ! Il aura des chemins dévastés, de nombreuses régions désolées, plus d'un tourment - son honneur sera bien bas !". Et c'est ce qui survint peu après. Ils se menacèrent mutuellement, se lancèrent des piques et ainsi se séparèrent, se promettant des faits d'armes. [15144]

Edwin était un guerrier, ses hommes étaient hardis. Cadwalan était un bon chevalier et était très courageux. Edwin franchit l'Humber et Cadwalan retourna à Londres. Ces rois fulminaient, une guerre éclata. Ils chevauchaient et allaient à pied, dévastaient et incendiaient, ils tuaient et prenaient tout ce qui était à portée de main. Le malheur s'était abattu sur les paysans de ce pays ! Cadwalan était à Londres, il rassembla ses hommes. Il envoya des messagers dans de nombreux royaumes. Son armée était constituée de cinquante mille guerriers qui n'hésitaient pas à commettre des ravages. Dans le nord, Edwin rédigea rapidement ses messages qu'il envoya au Danemark, au Galloway et en Ecosse - (ces régions) lui appartenaient. Il leva des troupes sur tout son territoire si bien qu'il assembla soixante mille chevaliers très vaillants et impatients de combattre. Cadwalan quitta Londres et prit le chemin du Northumberland. Il accomplit des dévastations ; il franchit très rapidement l'Humber et se mit à ravager le territoire qu'Edwin détenait. Edwin ne connaissait pas la peur ; il s'adressa aussitôt à ses chevaliers : "Que celui qui ne bougera pas soit tenu pour un moins que rien. Ayez le coeur d'un sanglier et l'astuce d'une corneille pour montrer au roi que nous sommes vivants". Il fit sonner les trompettes et assembler son armée. Il progressa jusqu'à l'endroit où le roi Cadwalan attendait en embuscade. [15173]

Les nobles chevaliers se précipitèrent les uns contre les autres ; les longues lances se brisèrent, les boucliers vibrèrent dans les mains, les hauts casques furent taillés en pièces, les hauberts rompirent, les malheureux guerriers tombèrent et les selles se retrouvèrent vides ! la troupe était entourée d'un grand bruit, la terre se mit à résonner, les ruisseaux étaient des cours de sang écarlate, les hommes tombaient (morts), les visages blémissaient ; les Bretons périssaient - le malheur était parmi eux ! ils continuèrent à se battre ainsi toute la journée, jusqu'au soir. [15183]

Alors le roi Cadwalan s'enfuit et Edwin s'élança à sa poursuite de toute sa force. Cadwalan et ses chevaliers fuirent toute la nuit. (Cadwalan) n'avait que cinq cents chevaliers de son armée. Ils s'enfuirent en Ecosse - le malheur s'abattit sur eux ! Edwin les poursuivait avec quinze mille hommes, de vaillants chevaliers. Leur menace était devenue réalité ! Une foule immense suivait l'armée. Jour après jour, ils chassaient le roi. Le récit dit la vérité : ils avaient l'intention de le tuer. Cadwalan s'enfuit jusqu'au bord de la mer où il trouva des bateaux. Ils louèrent les navires en échange de biens très précieux puis les bateaux mirent cap sur l'Irlande. Ils arrivèrent dans un port, les navires étaient intacts. [15196]

L'Irlande avait alors un roi très puissant. Il s'appelait Gille Patric, c'était un bon roi pour ce royaume. Il accueillit Cadwalan amicalement, l'embrassa et lui donna une demeure en Irlande. Quittons maintenant Cadwalan et retournons auprès d'Edwin. [15201]

Edwin, dans notre pays, exterminait les habitants. Il brûlait les villes, rasait les châteaux. Son armée commettait d'innombrables dommages dans le pays. (Edwin) avait entre les mains tout le territoire de Cadwalan. Puis des espions se mélèrent à l'armée du souverain et donnèrent des renseignements au roi Edwin - qu'ils soient à jamais maudits, pour cet acte, d'avoir vu le jour ! Ils lui parlèrent d'une jeune fille qui était la ravissante soeur de Brian, la plus belle des femmes. Elle vivait au château de Winchester. Edwin, suivi de son armée, partit dans cette direction. Dès qu'il arriva (à Winchester) il s'empara de (la jeune fille) par la force. Des chevaliers accomplis la conduisirent aussitôt à York. On la mena dans une chambre, dans le lit du roi. Le souverain agit avec imprudence en accueillant cette jeune fille car cette femme était l'ennemi même du roi. [15217]

Un clerc venu d'Espagne vivait alors à la cour. Il s'appelait Pelluz et était très savant. Il avait de grandes connaissances qu'il acquérait en observant le ciel, les étoiles, le soleil et la vaste mer. Il connaissait l'histoire du vent et de la lune. Il savait tout des poissons et de l'océan, des serpents et de leur environnement. Pelluz vit dans les étoiles très lointaines, qu'une armée allait venir à l'encontre du roi Edwin ; alors, Pelluz lui indiqua comment il pouvait, au mieux, défendre son royaume. Cadwalan et ses hommes essayèrent souvent de débarquer dans notre pays aussi bien par terre qu'au moyen de navires. Edwin arrivait toujours en premier et leur bloquait le port. A cause du savoir de Pelluz, ils ne parvenaient pas à venir. Cadwalan se lamentait d'être en vie ; il avait été à l'origine de la trahison envers son frère auquel il était lié. C'est pourquoi il connaissait le malheur ! [15236]

Cadwalan convoqua ses meilleurs chevaliers et déclara qu'il avait décidé d'aller en Bretagne voir le roi qui s'appelait Salomon. Ce dernier lui était cher car ils étaient parents. Ces deux rois étaient de la même famille. Ils étaient tous les deux bretons mais étaient fort découragés. Cadwalan monta à bord d'un navire, se laissa porter par le courant, pousser par les vagues. Il était très triste. Ils débarquèrent dans une île qui se trouve près de Yarmouth . Bon gré mal gré, ils s'y établirent. Ils durent supporter le (mauvais) temps car le vent leur était contraire. Alors le roi tomba gravement malade, il était fiévreux, il avait perdu la santé. Au bout de neuf jours, le roi était très faible ; il eut grande envie de viande de cervidé. Il appela son parent Brian et lui expliqua aussitôt que, à moins d'avoir, d'ici peu, de la viande de cervidé, il mourrait. Brian avait souvent été triste mais jamais autant qu'à ce moment ! [15254]

Brian choisit des chiens et de bons serviteurs. Ils traversèrent des forêts et des champs à vive allure. Ils ne parvinrent, par aucun moyen, à obtenir un cervidé : ils ne trouvèrent ni un cerf ni une biche. Le roi envoya ses messagers à la recherche de Brian qui s'attardait trop. Brian était attaché au souverain, il maudit sa vie ! (Brian) se demanda plusieurs fois ce qu'il pouvait faire ; il trouva une solution qui aussitôt lui sembla très bonne. Il saisit un couteau à ongles, très acéré et fort aiguisé. Il l'approcha tout près de lui même et coupa sa propre cuisse. Pour cause de première urgence, il la fit rôtir. Il la fit cuire en toute hâte et l'apporta au roi. "Je te salue, Cadwalan, tu es mon roi ! Je t'ai apporté ici de la viande, la meilleure que j'aie jamais amenée à ta table. Approche et viens en manger sans attendre. Ce sera ton remède". Le roi s'assit sur son lit, ses barons le soutenaient. Il mangea de la viande rôtie et peu après il alla beaucoup mieux. Le roi se mit à suer et le mal le quitta. En cinq nuits, le roi fut complètement rétabli ; jamais il ne sut ce qu'il avait consommé. Le roi fut guéri et son entourage s'en réjouit. [15276]

Le vent tourna à leur avantage, ils hissèrent les voiles au maximum. Les bateaux prirent la mer, les ménestrels se mirent à chanter. La mer et le soleil étaient modérés, le vent et la vaste mer étaient en harmonie. les flots portaient les navires, les ménestrels chantaient. Ils débarquèrent à Ridelet - ils étaient joyeux et chantaient - entre Dinan et la mer : on peut encore voir (cette ville). Dès qu'il arriva à cet endroit, il fut amicalement accueilli. Les rois étaient heureux d'être réunis. (Cadwalan) resta là tout l'hiver à se délasser. Peu après le carême arriva et les jours se mirent à allonger. Ils rassemblèrent alors de nombreux bateaux qu'ils remplirent de guerriers jusqu'au fin fond. Voilà ce que fit Cadwalan. Et Pelluz le sut tout de suite grâce à sa connaissance magique de ce qui est dans le ciel. Il alertait toujours Edwin de tout ce qu'il découvrait, par toutes sortes de moyens, dans le ciel ou sur terre et il lui faisait tout savoir des armées et des navires. Cadwalan était en Bretagne avec le roi Salomon, qui était le fils de sa tante et qu'il aimait beaucoup. Il entendit dire, de très nombreuses fois, que le gracieux Pelluz - qui venait d'Espagne - avertissait toujours le roi Edwin, en toutes choses, de tout ce qui l'attendait. Le bon Cadwalan était abattu. Il s'entretint, de multiples fois, avec Brian qui était l'homme auquel il était le plus attaché. Ils conclurent de leurs réflexions, de leurs conversations que, tant que Pelluz serait vivant, Cadwalan ne pourrait jamais débarquer dans son pays sans crainte, sans qu'Edwin ne soit au courant. [15306]

Brian prépara son voyage, il fit très attention. Il rassembla de l'argent et de l'or, des trésors inestimables de toutes sortes. Il s'empara de bonnes barriques et plaça les objets à l'intérieur. Il prit le large et vogua avec le courant. Il avait à bord de nombreux tonneaux de vin. Il fit goûter son vin sur mer et sur terre ; à tout moment, il agit comme s'il était un marchand. Il partit de Barfleur et arriva dans le port de Southampton où il fit puiser le vin des barriques. Il le proposa aimablement à toutes les personnes qui était autour de lui, les riches comme les pauvres. Il plut à tous ceux qui le virent. [15319]

Au bout d'une semaine, il discuta avec ses chevaliers. Tous ses compagnons étaient vêtus comme des commerçants. Ils louèrent une maison souterraine, solidement construite sous terre. Ils y enfermèrent toutes leurs barriques de vin. Ils trouvèrent un nouveau nom à leur seigneur et l'appelèrent Kinebord l'Espagnol. Il expliqua qu'il voulait arpenter ce pays pour trouver où il pouvait vendre son vin au mieux. [15327]

Il partit de nuit accompagné par un de ses chevaliers. Il traversa Londres et se hâta vers Westminster où il demanda des nouvelles du roi Edwin. Après avoir découvert la vérité, des hommes lui apprirent que le souverain vivait très heureux à York parmi ses gens : il avait de nombreux hommes. Brian, et son compagnon, prirent la route. Il quitta Londres et, en secret, suivit la route qui mène à York. Il fulminait intérieurement. Au bout d'une semaine de marche, il rencontra un pélerin qui portait un pic à la main et qui arrivait directement de la cour du roi. Brian lui posa des questions sur le trajet et le pélerin lui donna tous les renseignements qu'il souhaitait. Brian échangea avec lui tous ses vêtements et chacun repartit dans la direction qu'il désirait. [15344]

Brian trouva un forgeron qui travaillait bien. Il lui dit qu'il était pélerin mais qu'il n'avait pas de pic avec lui car il avait perdu le sien trois jours avant dans son logis. Ils se mirent d'accord et le forgeron se mit à fabriquer un pic très long, très grand et très solide. Ce pic était très pointu, le manche était extraordinaire ! Il saisit le manche et traversa la région ; il arriva bientôt à la cour du roi. Brian se mit à aller et venir mais il n'entendit pas parler de sa soeur. Il n'osa pas non plus poser de questions sur l'entourage du roi. [15355]

Le lendemain, lorsque le Seigneur eut envoyé la lumière du jour, le roi fit nourrir tous ceux qui étaient dans le besoin. Des hommes convièrent tous les pauvres qui vivaient dans la cité à se rendre rapidement au château ; des milliers et des milliers s'y précipitèrent. Brian pénétra à l'intérieur en compagnie d'autres miséreux. Il agissait comme s'il était boiteux. Tous ses vêtements étaient en lambeaux - sa naissance ne l'avait pas habitué à cela. Certains le poussaient en arrière, d'autres en avant. Les manières de ces gens lui parurent fort étranges. Il tenait fermement son pic et s'assit au milieu des autres. Le roi et ses serviteurs se mirent à faire le service. La reine et ses suivantes portaient à boire. Peu après, il se trouva que la jeune Galarne s'approcha d'elle. Elle avait une coupe à la main dans laquelle se trouvait à boire. Alors elle vit à cet endroit son cher frère, Brian, habillé comme un pauvre homme alors qu'il était riche. Dès que la jeune fille l'aperçut, aussitôt elle s'avança jusqu'à lui, retira une de ses bagues de son doigt et déposa dans sa main un anneau d'or rouge. Et Galarne, cette aimable jeune fille, parla ainsi : "Prends cet or, pauvre homme, que Dieu te soit clément. Achète-toi, en échange, des vêtements qui puissent te protéger contre le froid". Alors il sut, pour sûr, que sa soeur l'avait reconnu. Brian se réjouit et prononça ces paroles : "Que le Seigneur, qui créa la lumière du jour, te récompense d'avoir donné de ton or à un boiteux". [15383]

La jeune fille se dissimula parmi les pauvres gens. Elle était assise entre deux fenêtres où elle parla avec son frère - son coeur était léger - et lui donna des renseignements sur toute la cour du roi. Elle lui montra Pelluz, le clerc qui venait d'Espagne. Brian posa son regard sur l'homme des plus odieux. Après avoir parlé ensemble, (le frère et la soeur) se séparèrent rapidement car ni l'un ni l'autre ne voulait, même contre son poids d'or, que le roi sache qu'ils s'étaient rencontrés sinon ils seraient immédiatement mis à mort, soit transpercés, soit pendus. [15393] Les gens avaient tous mangé et ils quittèrent leurs sièges. Ceux qui étaient ivres braillaient, tous étaient noyés dans un brouhaha. Pelluz était là, il s'occupait de la coupe. Brian s'approcha de lui car il lui avait causé beaucoup de torts. Il prit son pic à la main, le dissimula sous sa cape, s'approcha tant qu'il arriva derrière lui, et, parmi toute cette foule, le frappa au dos si bien que (le pic) se brisa à l'avant dans sa poitrine. (Brian) s'éloigna, abandonna le pic et partit avec la foule. Alors il fut en sécurité. Il quitta rapidement la cour du roi et progressa sans cesse vers le sud. [15405]

De la sorte, il arriva à Exeter où il trouva immédiatement un grand nombre de ses chevaliers qui le questionnèrent avec empressement au sujet de son roi. Brian leur tint des discours de bienvenue et dit que Cadwalan arriverait bientôt avec des troupes si nombreuses - de multiples nations - que le roi Edwin n'oserait plus, en aucune sorte, se dresser contre lui ni se réfugier dans quelque ville que ce soit. Les habitants du Devon, de Dorchester et de la Cornouailles entendirent ces affirmations - ils se réjouirent d'être vivants ! [15415]

Brian envoya ses messagers par delà la mer en Bretagne. Il fit savoir au roi, par oral et par écrit, tout ce qu'il avait fait et que Pelluz était mort. Il le pria de venir, en toute hâte, dans son pays. C'est ce que fit le roi aussi vite que possible. Brian envoya des messagers à Southampton et fit apporter ses chers trésors. Et tous les hommes qui souhaitaient le rejoindre se rendirent rapidement à Exeter et des hommes déterminés prirent possession de la ville. Cadwalan apprit cela et le roi en fut très heureux. Il assembla une armée en Bretagne si bien qu'il obtint trois cents nobles navires et tout l'équipement nécessaire à ces derniers. Le roi Salomon envoya des convocations jusque très loin puis partit avec ses Bretons, c'est-à-dire avec deux cents bateaux, pour aider son parent, le roi Cadwalan. Le temps était propice, le vent était parfait. Ils vinrent au lof, hissèrent les voiles et traversèrent la mer comme bon leur semblait. Puis les deux rois, l'aimable Salomon et le vaillant Cadwalan, arrivèrent à Totnes. Les habitants de la région étaient heureux pour leurs souverains ! [15439] Il y avait alors dans l'Est un roi qui s'appelait Penda . Il gouvernait, à cette époque, ceux qui suivaient la loi mercienne ; et il appréciait Edwin qui l'appréciait. Il conseillait toujours Edwin lorsque celui-ci était en difficulté. Penda entendit dire, ce qui était vrai, que Brian s'était retranché à l'intérieur d'Exeter. Et le roi Penda leva alors une armée, assembla des troupes et partit. Il marcha sur Exeter avec des forces innombrables et assiégea massivement la ville d'Exeter. Le valeureux Brian était à l'intérieur avec deux cents chevaliers et défendait la ville. La nouvelle de la situation critique de Brian arriva vite dans le port de Totnes au roi Cadwalan. Ce dernier fit sonner les trompettes et assembler son armée. Il alla d'une seule traite jusqu'à l'endroit où se trouvait Exeter et répartit ses braves chevaliers en trois divisions. Puis il parla fort - le roi était hors de lui : "Que chaque bon chevalier les attaque sans hésiter car nous sommes des chevaliers de valeur, équipés d'armes efficaces. Secourons Brian qui est mon homme depuis sa naissance. Car s'ils capturent Brian, ils le tueront, puis ils le pendront, et extermineront tous ses compagnons, puis nous-mêmes, grâce à leur puissance d'action". [15463]

Ils chargèrent, lancèrent des pointes ! Les larges armes se brisèrent ! Les hampes volèrent en éclats ! Les boucliers dorés vibrèrent rapidement ! Les chevaliers tombaient ! Les visages blémissaient ! Sur les vastes champs les hommes voués à la mort s'écroulaient ! Le sang coulait sur le chemin en de très larges ruisseaux ! Les comtes ne surclassaient pas les humbles gens ; sept mille Merciens, qui étaient venus à cet endroit, furent tués. (les Bretons) renversèrent les multiples étendards, repoussèrent vivement les boucliers, la terre gronda ! Alors les plus misérables des hommes s'enfuirent et Cadwalan les poursuivit avec toutes ses forces. Il mit lui même la main sur le roi Penda - le père de Maerwal et le grand-père de Mildburg. Ils capturèrent Penda, l'enchaînèrent, le détinrent à Exeter et le surveillèrent de près. [15480]

De façon fort surprenante, il se trouva que le roi Penda ne reçut pas la moindre blessure au cours de la bataille. Et Cadwalan le traita dignement, à tous égards. Il le nourrit bien, lui réserva un bon lit. Au bout de sept nuits, alors Penda choisit un chevalier qui était un homme fort avisé et qui maniait bien le langage. Il lui demanda conseil et lui parla de sa situation critique. Il le pria instamment, par amour du Seigneur, d'aller parler avec Cadwalan, son souverain, pour qu'il le libère, au nom du Dieu suprême. Il deviendrait son homme, lui et ses hommes célèbreraient son honneur, jour et nuit. [15492]

Le chevalier alla aussitôt voir le roi Cadwalan. Il le trouva, le salua aimablement et agit en noble seigneur - que la prospérité lui soit réservée pour cela ! - car la vérité est respectée par les hommes sincères. "Je te salue, Cadwalan, tu es mon souverain. Le roi prisonnier Penda m'a envoyé ici ; il implore ta miséricorde, maintenant et à jamais. Et il deviendra ton homme, te livrera son fils comme otage. Il détiendra son royaume de ton autorité, te reconnaîtra comme seigneur et sera prêt à t'apporter son aide dans tout pays. Il sera l'homme que tu auras choisi contre ceux qui dépendent de toi de par leur naissance". Alors le vaillant Cadwalan, roi du Sud, répondit en de nobles paroles : "Si Penda respecte ce qu'il me promet de faire, me livre son fils, son or et son trésor et s'il devient, pour toujours, mon homme fidèle, s'il ne cherche jamais à me porter préjudice mais m'aime comme il aimerait être aimé et ne me trahisse jamais, alors j'accepterai sa requête". Aussitôt le bon chevalier répondit : "Ah ! Que je puisse obtenir à jamais la prospérité ! Je serai son gage : avec une centaine de cavaliers, que j'ai pour compagnons, nous engagerons la totalité de notre terre, notre argent et notre or. Je demande ta miséricorde mais il en fera encore davantage ; il a une ravissante soeur dans son territoire de l'est. Il n'y a pas de femme plus belle sous les rayons blancs du soleil. Le roi de France, Louis, la désire ardemment ; il veut lui donner le Mans en douaire et prendre cette jeune Hélène pour reine. Et je te dis sincèrement, comme si j'étais ton frère, qu'il n'en irai que mieux pour toi si tu l'épousais toi même. Grâce à elle, tu pourrais obtenir l'attachement de sa famille, reconquérir tout ton royaume, vivre dans ce territoire et gouverner ton royaume". Alors Cadwalan, qui était roi dans ce pays, répondit : "C'est mon intérêt de faire ce que tu demandes. Si tu respectes cet accord en chrétien, je te donnerai tout le Devonshire en récompense. Et pour l'amour d'Hélène, fais la venir rapidement". [15530]

Le chevalier partit, suivi d'une grande troupe, jusqu'au château de Douvres au bord de la mer. Il trouva là Hélène, qui était très belle, et la conduisit sans attendre à Winchester. La joie était grande, les citoyens étaient heureux ! Le roi Cadwalan vint les rejoindre. Il épousa la jeune fille et la prit dans son lit. Il y eut un riche mariage et de grandes réjouissances. [15538]

Lorsqu'il fit jour au matin, que les gens commencèrent à bouger et que le roi eut confirmé tout son accord, alors il choisit une grande troupe qu'il envoya chercher Penda, retenu prisonnier au château d'Exeter. Il pria (Penda), avec grande affection, de se rendre à Londres. Penda arriva à Londres, il fut très bien traité. Le vaillant Cadwalan l'embrassa tendrement et Penda devint son homme à cet endroit même - son honneur en fut grandi. Les Londoniens furent alors les plus heureux des hommes. [15547]

Par la suite, peu après, Cadwalan parcourut tout notre pays. Il assura la paix à tous ses partisans et priva tous ses adversaires de vie, de leurs parents et de tout ce qu'ils aimaient. Il gagna rapidement l'Humber et ravagea atrocement la région. Edwin et tous ceux qui l'aimaient l'apprirent. Ils redoutèrent grandement les actes de Cadwalan. Edwin choisit ses messagers et les envoya en Saxe, au Danemark, en Norvège, au pays de Galles, en Ecosse, dans les îles Orcades, au Galloway, en Islande, en Frise, au Götland où les guerriers étaient hardis. Il les pria de venir rapidement, d'apporter de bonnes armes pour chasser les Bretons qui étaient occupés à commettre des ravages. Une fois qu'il aurait pourfendu les Bretons, au moyen d'épées, il remettrait tout ce royaume en leurs mains. Il demanderait seulement d'être appelé roi de ce pays et distribuerait à ces gens tout ce territoire. Mais il se doutait peu de ce qui allait survenir ensuite ! Des hommes de toutes origines convergèrent vers notre pays, vers le roi Edwin, par voie maritime et voie terrestre. Sept rois arrivèrent ainsi que six fils de rois, dix-sept comtes et soixante mille chevaliers. Il n'a jamais vu le jour - dans quelque ville que ce soit - celui qui pourrait dire combien étaient les autres membres de cette troupe. Jamais auparavant n'avait-il été fait état, oralement ou dans un livre, d'une armée aussi importante rassemblée en Angleterre par un roi. [15578]

Edwin, suivi de son immense armée, prit la route. Cadwalan et sa troupe innombrable le poursuivirent. L'endroit où ils combattirent derrière (la protection) de leurs boucliers s'appelait Heathfield . Cette plaine, qui porte le nom d'Heathfield, mesure dix-huit kilomètres de long. Edwin, à l'une des extrêmités, fixa ses tentes, délimita son emplacement, installa ses troupes. Et le vaillant Cadwalan ne tarda pas à venir l'attaquer. La bataille s'engagea violemment entre les deux immenses armées ! Tous combattirent avec acharnement, ceux qui étaient voués à la mort tombèrent ! Dans les ruisseaux, du sang rouge coulait à flot ! Le malheur était infini ! Les heaumes résonnaient, les chevaliers tombaient ! Les boucliers se mirent à vibrer et les guerriers à mourir : dès la première charge, cinquante mille valeureux hommes - leurs menaces n'eurent aucune valeur ! Les guerriers d'Edwin furent les hommes les plus malheureux et Edwin, lui-même, rapidement le plus misérable des rois : Edwin fut tué, tout comme ses deux fils. Sept souverains trouvèrent la mort, ainsi que six fils de rois, les comtes (d'Edwin), ses barons, ses chevaliers et ses simples soldats. L'écuyer et le manant connurent le même sort : il n'y eut pas plus de compassion pour les humbles que pour les grands, toute l'armée fut décimée et privée de vie. [15601]

Un homme s'enfuit de la bataille, il s'agissait du plus jeune fils d'Edwin. Il était beau et s'appelait Osric. Il n'avait que cent cavaliers pour compagnons. Ils gagnèrent la forêt et s'y installèrent. Ils incendièrent le territoire de Cadwalan, commirent de grands dommages. Ils tuèrent ceux de son peuple de multiples façons. Cadwalan, qui était roi de ce pays, apprit qu'Osric, le fils d'Edwin, suivait les agissements des hors-la-loi. Cadwalan rassembla une grande troupe, les envoya dans la forêt où ils trouvèrent Osric qu'ils combattirent. Ils tuèrent Osric et tous ses compagnons. [15612]

Alors le roi Cadwalan fut le plus heureux des guerriers, il était maintenant le souverain des Angles. Le roi Penda dépendait de lui, tout comme d'autres qui étaient ses partisans. Cadwalan avait tué toute l'élite de l'entourage d'Edwin à l'exception d'un homme - il se nommait Oswald

et, de par Dieu, était hardi. C'était un parent d'Edwin, qui l'aimait fort, et qui était le plus noble des hommes de la famille d'Edwin. Oswald s'empara de tout la royaume d'Edwin. Tous les comtes et guerriers devinrent ses hommes. Les habitants du territoire situé au delà de l'Humber le tinrent comme roi suprême. Cadwalan apprit ce fait et s'adressa ainsi à ses comtes : "Levons maintenant une armée sur tout mon territoire. J'ai conquis mon pays et c'est Oswald qui le détient, c'est pourquoi je vais ordonner qu'il connaisse la pire des infortunes ! Pour remporter ce royaume, je le tuerai et écraserai toute son armée ; j'anéantirai toute la race dont il descend. On lui apprendra ainsi à posséder un royaume ! Je vais rabaisser son arrogance, il est pour moi le plus odieux des hommes !". [15632]

Cadwalan rassembla une grande armée dans son territoire et prit la direction de l'Humber, tout prêt à combattre. Oswald, l'élu du Dieu suprême, apprit cela et réunit toutes les forces qu'il avait dans sa province ; il quitta rapidement la bataille - il la quitta avec répulsion - et alla toujours de l'avant. Cadwalan le poursuivit mais ne put le rattraper. Alors Cadwalan s'inquiéta car il n'était pas en bons termes avec les Ecossais ; il avait, en effet, sévèrement humilié les gens du nord. Il décida, dans cette situation critique, de faire demi-tour, car il était en difficulté, et de confier à Penda, qui était roi sous lui, son peuple et son armée pour qu'il expulse du pays le parent d'Edwin, Oswald, et qu'il le chasse du pays. Cadwalan se dépêcha de faire ce qu'il avait dit : il repassa dans notre pays, et, tout au nord, pria le roi Penda de bouter Oswald hors de ce royaume. Oswald apprit que Cadwalan était reparti et que Penda était là pour le chasser du pays. Alors le roi Oswald s'enhardit et partit, suivi par son immense armée, pour combattre le roi Penda et le refouler de cet endroit. Penda se demanda comment il pouvait le tromper. Il fit parvenir un message à Oswald, le roi du nord, et lui dit qu'il voulait se réconcilier avec lui et parler à un moment opportun pour faire la paix et s'accorder, pour devenir des amis et alliés comme des frères. Il partirait ensuite rejoindre le roi Cadwalan et abandonnerait à Oswald son royaume et son territoire. Ils fixèrent le jour et le lieu pour se réconcilier et peu après se rencontrèrent. [15664]

Oswald arriva le tout premier - il avait été élu pour servir Dieu. L'endroit où Oswald dressa sa tente se nommait Hevenfield . Il fit aussitôt ériger une énorme et haute croix ; il ordonna à tous ses soldats de s'agenouiller, de prier le Dieu tout puissant que, par son Esprit bienveillant et souverain, il leur accorde son pardon pour leurs méfaits et que, si Penda devait briser la paix, notre Seigneur se venge de ce dernier. [15671]

Une fois ces prières prononcées, alors arriva Penda à cheval. Le plus fourbe des rois prononça ces paroles : "Oswald, tu es le bienvenu. La joie t'est accordée ! Garde tout ton royaume mais réunis ton argent et ton or, une centaine de chiens de chasse, cent éperviers, cent destriers, des étoffes dorées et envoie tes salutations au roi Cadwalan. Et de la sorte tu pourras te réconcilier avec lui et faire la paix. Et je veillerai à ce que l'affection (entre vous) s'épanouisse. Et je vais te donner un conseil supplémentaire au sujet de ce que tu pourras prendre afin que (cette concorde) ne soit jamais remise en question. Choisis deux hommes qui te sont fidèles et je vais en prendre aussi deux qui seront d'utiles conseillers". [15684]

Alors le plus perfide des rois s'engagea dans le champ. Oswald, à cheval, pénétra dans le champ. Il ne portait ni épée ni bouclier. Penda tira son épée et tua Oswald : saint Oswald fut assassiné puis Penda, et toute son armée, se mirent à fuir. Les chevaliers d'Oswald s'en rendirent aussitôt compte et les poursuivirent de toutes leurs forces. Ils tuèrent une grande partie de ces guerriers et le roi Penda partit avec difficulté. Il s'échappa néanmoins, lui qui avait trompé saint Oswald. Penda atteignit notre pays, rejoignit le roi Cadwalan et raconta tout ce qu'il avait fait au souverain. Celui-ci fut ravi exception faite d'une chose : il regrettait tout-à-fait la duperie. [15698]

Oswald, qui avait été assassiné, avait un frère - il n'en avait pas d'autre - qui s'appelait Oswy et qui était un homme à la grande vaillance. Les dignitaires du nord le choisirent comme roi car ils pleuraient la mort de leur seigneur. Oswy prit en charge tout le royaume de son frère. Oswy avait des neveux qui étaient des hommes très arrogants et d'autres parents, véritables rapaces qui convoitaient le royaume : ils lui résistèrent farouchement, le combattirent souvent et envisagèrent de le tuer pour s'emparer de son royaume. Mais Oswy était un chevalier inébranlable, il le prouva. Il chassa du pays tous ceux qui ambitionnaient sa place, il les expédia par delà l'Humber si bien qu'il ne resta personne qui s'opposait à lui. [15713]

(Ses adversaires) allèrent trouver le roi Penda et se plaignirent du roi Oswy à Penda, expliquant qu'il les avait expulsés de leur territoire. Ils supplièrent Penda, le roi de l'Est, de les aider à exterminer Oswy ; ils deviendraient ses hommes et célèbreraient son honneur s'il acceptait de tuer Oswy soit en le transperçant soit en le pendant. Alors, Penda, le roi de l'Est, répondit : "Je ne peux pas vous apporter une solution car je suis en antagonisme avec Oswy : en effet, j'ai tué Oswald, le plus brave de tous les rois. Et Oswy, son frère, est un chevalier valeureux qui ne recule devant rien. S'il me capturait, il me tuerait. Allez voir Cadwalan, qui est le roi de ce pays. Et s'il m'envoie les hommes de son territoire, les chevaliers reconnus de Cornouailles et du Pays de Galles ainsi que de l'argent et de l'or alors j'irai à nouveau attaquer Oswy, le chasserai de son royaume - au grand déshonneur de son peuple - ou transpercerai ce personnage des plus odieux d'une lame (d'épée)". [15732]

Ces chevaliers allèrent trouver le roi Cadwalan. Ils s'adressèrent à Cadwalan avec leurs paroles perfides, ils expliquèrent au roi tout ce qu'ils souhaitaient. Il se trouva, à l'époque de la Pentecôte, que le roi donna l'ordre à toute la population, à tous ceux qui recherchaient sa paix et qui voulaient s'accorder avec le souverain, de se rendre à Londres. Des rois prirent la route ainsi que des commandants, des comtes, des barons, des évêques, des lettrés. Des riches et des pauvres : il vint des gens, qui aimaient le roi, de tous les ordres. Et à cette époque, le roi portait sa couronne sur la tête. On se réjouissait fort d'avoir ce vaillant roi car le souverain était un homme loyal qui respectait la vérité. Lorsque tous ces gens furent réunis, alors Penda se leva, devant le roi Cadwalan, et se mit à proférer ses paroles sournoises : "Seigneur, nous sommes venus ainsi que tu nous l'as ordonné, tous tes hommes nés, Anglais et Bretons, comtes, barons, chevaliers et clercs. Et nous aussi, tes rois, qui sommes tes subordonnés. Mais Oswy ne cesse de clamer qu'il ne viendra jamais et n'obéira pas à tes ordres. Il jure de te causer du tort. Tu n'es pas aussi fier qu'Oswy. Mais si tu me le permettais, me donnais ton accord et m'apportais ton soutien en me fournissant des troupes et autant de trésors qu'il te semble bon, alors je partirais sans attendre, traverserais l'Humber et ferais d'Oswy le plus misérable des rois. Il n'obtiendra pas, par la force, le domaine que je ne lui remettrai pas de ta part, vivant ou mort. Voilà qui me semble une bonne proposition. Et si tu refuses, tu connaîtras le pire car Oswy est le genre d'homme à t'humilier". [15767]

Alors le vaillant Cadwalan répondit : "Penda, je te le dis directement : Oswy est souffrant ou il est couché, retenu par la maladie, ou des étrangers ont envahi son pays. Car il ne dirait jamais qu'il ne veut pas prendre la route lorsque je demande à chacun de venir dans la paix, l'harmonie et la concorde. Mais, Penda, quitte ce lieu et je vais tenir mon conseil avec mes comtes et déciderai alors si je vais t'accorder ce que tu demandes. Et je vais envoyer mes bons messagers à Oswy et lui ordonnerai de se rendre en toute hâte dans mon royaume". [15778]

Penda sortit accompagné par un comte. Cadwalan resta à l'intérieur en compagnie d'un très grand nombre d'hommes. Ainsi s'exprima Cadwalan qui était le roi des Angles : "Vous êtes tous mes hommes, à cette assemblée, et vous avez tous entendu ce que Penda a dit et ce qu'il veut entreprendre, entièrement détruire le roi Oswy si je lui fournis mes guerriers comme renfort. Et je souhaite que vous me conseilliez dans cette situation critique : est-ce que je laisse anéantir Oswy ou est-ce que je le laisse venir ici ? Et s'il refuse de se rendre ici, en dépit de mes messagers, alors je ferai en sorte que mon armée l'écrase". [15789]

Alors, un roi gallois - du nom de Margadud - qui était dans l'assemblée entra dans une grande colère - qu'il soit l'homme auquel le sort le plus funeste soit réservé ! - car il vouait à jamais à la ruine les Anglais. Ainsi parla Margadud qui était le duc du Pays de Galles du sud : "Ecoute-moi maintenant, Cadwalan, ce que je vais te révéler. Tu as fait part de ton intention, mais ce n'est pas un bon conseil. Il y a bien longtemps Brutus, ainsi que tous nos ancêtres qui étaient de nobles Bretons, vint ici. Et les Bretons conquirent le pays dans lequel nous sommes et le menèrent selon leur volonté pendant de nombreuses années. Tant qu'il fut entre leurs mains, il s'appela Bretagne. Il ne nous reste maintenant de ce territoire que l'extrêmité ouest. Les Bretons y vivent depuis de nombreuses années. Puis arrivèrent les Anglais et leurs méfaits. Ils étaient fourbes et conquirent tout notre pays, ils trahirent très vite leur seigneur et tout son peuple. Ils donnèrent à leur roi une reine païenne qui venait de Saxe - ces gens sont nos ennemis - et, grâce à cette reine, anéantirent ici notre race. Et c'est ainsi que les Anglais ont gardé ce territoire que nous n'avons jamais pu reconquérir depuis. Le roi Penda est anglais tout comme Oswy, assurément. Laisse s'entretuer les chiens, que l'un morde l'autre comme un chien le fait avec son frère. Que leurs portées roulent à leurs côtés et qu'ils se tuent mutuellement afin qu'il n'en reste aucun de vivant ! Et si Oswy l'emporte et sort vainqueur du combat alors nous irons à sa rencontre, anéantirons son territoire, son peuple et abolirons ses lois. Et si c'est Penda qui l'emporte et sort vainqueur, Penda est ton homme avec tout son royaume. Alors tu posséderas tout le territoire anglais et renforceras ton honneur. Tu pourrais ainsi conquérir (des terres) et mener une vie des plus agréable. Tu ne rencontreras plus d'homme qui ose te contrarier". [15824]

Alors un homme de l'assemblée qui était valeureux répondit : "Ecoute moi maintenant, Cadwalan, écoute moi un instant. Il n'y a pas meilleur conseil que celui exprimé par Margadud. Et si tu ne fais pas cela, tu connaîtras le pire et tu mettras alors tout ton peuple en danger !". En accord avec le discours de ce Breton alors on appela Penda qui pénétra dans la salle de l'assemblée. Et Cadwalan lui accorda tout ce qu'il souhaitait. Alors Penda fut content et se réjouit grandement. [15833]

Aussitôt Penda et ses chevaliers regagnèrent leurs chevaux et prirent rapidement la direction du Northumberland. Oswy apprit que Penda était à sa recherche et préparait ses troupes. Il partit attaquer Penda. La bataille s'engagea, ils étaient tous résolus. Ils combattirent avec acharnement, c'était des ennemis. Un très grand nombre d'hommes s'écroulèrent gisant morts sur le sol. L'après midi, le soleil commença à décliner. Oswy fut alors tué et privé de vie. Il en alla de même pour son fils, son oncle et cinq comtes. Neuf mille guerriers du nord furent tués en ce jour - la troupe en fut privée. Le roi Penda fut gravement blessé et partit vers l'ouest du pays. [15847]

Oswy avait un fils, son nom était Osric . Il fut un temps auprès du roi Cadwalan, entretenu à sa cour et élevé avec affection. Osric pria Cadwalan, ce que chacun doit faire avec son seigneur, de devenir son homme et de recevoir le territoire de son père. Cadwalan lui accorda tout ce qu'il demandait : il lui remit tout le royaume de son père, le pria de l'accepter et de le détenir dans la joie. Cadwalan était un bon roi, il était bon par nature. Il était roi depuis quarante sept ans. [15857]

Il partit alors pour Londres pour offrir des réjouissances à son peuple. Il donna un banquet aux habitants de Londres. Il mangea avidement d'un poisson et avant que le poisson soit entièrement dégusté, le roi fut pris d'un malaise. Le souverain fut alité, souffrant, pendant sept nuits et un jour. Il n'y avait pas d'autre issue : le roi mourut. On l'enterra à Londres - la population était affligée ! [15864]

Cadwalan avait un fils qui s'appelait Cadwalader ; c'était le fils de la soeur de Penda duquel descendaient tous les rois. Ce fils, après le règne de son père, s'empara du royaume. L'homme était plaisant, son peuple l'aimait. C'était un chevalier hors pair, acharné au combat. Mais de son vivant, une calamité s'abattit sur la nation. Tout d'abord, le grain vint à manquer dans tout le royaume. Ensuite, il fut si cher que toute la population commença à mourir. Il était possible de voyager sept jours entiers sans pouvoir acheter du pain, où que ce soit. En ville et à la campagne, les habitants se lamentaient, il n'y avait pas un être dans ce pays qui ne souffrît pas amèrement de la faim. Alors que cette nation endurait (cette calamité) depuis longtemps, un autre fléau survint peu après. Une épidémie s'abattit sur le bétail, le touchant en très grand nombre. Lorsqu'un paysan faisait tirer sa charrue par des boeufs solides, il lui arrivait de ne ramener à la maison que la moitié de ses boeufs. Certains en ramenaient un, d'autres aucun. Et il en alla ainsi très longtemps dans le pays. Peu après un désastre incommensurable toucha ce peuple dans tout le royaume : une épidémie s'abattit sur la population. Les comtes moururent tout comme les barons, les chevaliers, les écuyers, les ecclésiastiques, les laïques. Les vieux et les jeunes moururent, les femmes et les enfants moururent. Si bien qu'à la fin, les habitants du pays ne pouvaient plus enterrer les morts. Ils mouraient sans délai si bien qu'il n'était pas rare de voir les hommes qui déposaient les défunts dans la fosse s'effondrer morts sur les cadavres. Et toute la nation anglaise fut ainsi touchée. La population s'enfuit par chaque extrêmité du pays. Plusieurs centaines de villes furent abandonnées par les habitants si bien que l'on aurait eut du mal à rencontrer des gens qui parcouraient le royaume. [15899]

Cadwalader, le roi du pays, était accablé. Il ne voulait pas fuir de peur d'être déshonoré mais ne voulait rester de peur d'être touché. Néanmoins, il se demanda comment il pouvait partir. Il réunit tous ses trésors, ses chers compagnons et traversa la mer en prenant la direction du sud jusqu'en (petite) Bretagne. Il trouva refuge auprès du roi Alain, qui était le fils du bon roi Salomon qui avait beaucoup aimé Cadwalan lorsqu'il était vivant. Le roi Alain accueillit Cadwalader et fit venir de son pays tout ce que (Cadwalader) désirait. Le roi resta dans ce territoire durant onze années. La calamité - famine et sécheresse - dura ces onze années. Les habitants n'avaient aucune nourriture et le nombre de morts était très élevé. La population s'enfuit dans les bois et s'établit dans les rochers, dormit dans les crevasses et vécut d'animaux sauvages, d'arbres, de plantes, de baies et de racines - il n'y avait pas d'autre solution ! [15917]

Au bout de presque onze ans, le soleil commença à briller, il se mit à pleuvoir, le nombre de morts diminua, les hommes se préparèrent et quittèrent les bois pour s'installer dans les villes. Ils s'entretinrent et discutèrent. Ils choisirent des messagers et les envoyèrent en Saxe où ils racontèrent, à ceux de leur race, comment ils avaient été décimés. Ils expliquèrent ce qu'ils avaient subi pendant onze ans, comment l'épidémie avait décru, que les villes étaient bâties, qu'il y avait de bonnes terres, de l'argent et de l'or en quantité. Ils prièrent (les Saxons) de gagner rapidement leur territoire car les Bretons, qui vivaient là auparavant avaient été chassés à jamais et n'oseraient jamais se mêler aux Anglais. De plus, (les Bretons) n'étaient pas au courant de leur démarche, ils ne savaient rien de l'envoi de messagers en Saxe. Les nobles Saxons écoutèrent ces messagers puis cinquante mille hommes valeureux gagnèrent la mer. Ils amenèrent dans notre pays boucliers, armures, femmes et enfants. La première vague conduisit ici trois cents navires. Puis ils arrivèrent par soixante, par six, sept, dix, onze, douze, vingt, trente, quarante. Le noble Athelstan les accompagna depuis la Saxe . Il fut couronné à Londres et élevé à la dignité de souverain. Il était fils du roi Edouard et d'une concubine. Ce fut le premier Anglais à détenir toute l'Angleterre. Il fut couronné et oint ; ce pays, dans lequel il vécut encore seize ans, lui appartint tout entier. [15946]

A une époque lointaine, bien avant, vivait un seigneur du nom d'Ine . Le roi se rendit à Rome, auprès du pape. Dans cette ville, il chercha avec allégresse l'autel de Pierre ; il y apporta, en tant qu'offrandes, ses précieux trésors. Il en fit davantage, en honneur de Pierre : pour chaque demeure partagée par un homme et son épouse, le roi offrit un penny pour la maison de Pierre. Ine fut le premier homme à lancer la tradition du penny de Pierre. Une fois Ine mort, et une fois ses lois oubliées, alors cela faisait soixante cinq ans que ce tribut n'était plus payé et quinze ans qu'Athelstan se trouvait dans notre pays. Le roi baisa les pieds (du pape), le salua avec courtoisie et accorda à nouveau l'imposition que le roi Ine avait instaurée autrefois. Et c'est ainsi qu'elle a toujours existé depuis dans notre pays - le Seigneur sait combien de temps elle restera ! [15964]

Le roi Cadwalader bientôt apprit ces nouvelles, en Bretagne où il vivait à la cour du roi Alain, son parent. Des hommes de toutes les régions de son royaume lui expliquèrent comment Athelstan était arrivé de Saxe et s'était emparé de toute l'Angleterre, comment il avait établi les plaids, assemblées, comtés, réserves de chasse, hautes cours de justice et centaines , des noms saxons aux villes, comment il avait levé de lourds et considérables impôts, érigé des églises dans le style saxon et donné des noms saxons aux habitants. On lui rapporta toutes les nouvelles concernant ce pays. Cadwalader regretta d'être en vie. Il aurait préféré être mort plutôt que vivant. Il était abattu, ses fidèles étaient affligés. Il chercha maintes fois avec ses compagnons comment il pourrait partir et recouvrer son droit, de quelle façon il pourrait combattre Athelstan et reconquérir le territoire qu'Athelstan et ses chevaliers détenaient injustement. Certains lui conseillèrent de livrer bataille, d'autres de faire la paix, de détenir son territoire (de l'autorité) d'Athelstan et de devenir son homme. Parallèlement à ces entretiens, il assembla tous les guerriers qu'il put, réunit tous les bateaux qui pouvaient prendre la mer et décida de débarquer avec force. Lorsque l'armée fut prête et les navires en état, le vent souffla du sud et leur fut favorable. Alors le roi déclara : "Embarquons sans plus attendre !". [15995]

Et le souverain se rendit à l'église pour y respecter les prescriptions de Dieu et y entendre dire la messe par un archiprêtre. Le roi s'agenouilla, s'adressa au Christ et pria notre Seigneur, qui gouverne toutes les actions, de lui faire parvenir un signe pour qu'il sache si le Juge suprême approuvait son départ ou s'il préférait le voir rester. Pendant qu'il s'adressait à Dieu, il s'endormit. Il tomba dans un profond sommeil et notre Seigneur en personne, lui qui créa la lumière du jour, lui accorda la béatitude : le roi, à genoux dans son sommeil, vit en rêve un homme d'une beauté extrême qui venait à sa rencontre et qui prononça ces paroles au roi de G.Bretagne : "Réveille-toi, Cadwalader, le Christ t'aime ! prépare-toi à partir, rends-toi rapidement à Rome. Tu y trouveras un pape, prêtre parmi les meilleurs ! Il t'absoudra pour ta vie terrestre si bien que tous tes péchés te quitteront, tu seras lavé de tous tes méfaits, de par la volonté de Dieu, de par la puissance de notre Seigneur. Et, ensuite, tu trouveras la mort et iras au paradis ; car, jamais plus tu ne posséderas l'Angleterre, ce sont les Germains qui l'auront. Et jamais plus, les Bretons ne la détiendront avant l'époque qui a été annoncée et dont Merlin a parlé dans ses prophéties. Alors les Bretons se rendront à Rome, ils extrairont tous tes os de la pierre de marbre, te transporteront dans la joie et te conduiront, dans (une châsse) d'argent et d'or jusqu'en G.Bretagne. Alors les Bretons iront à nouveau de l'avant, ils sortiront victorieux de tout ce qu'ils entreprendront. L'allégresse sera à son comble en G.Bretagne, les récoltes et le climat leur seront favorables". [16029] Cadwalader se réveilla alors - (ce rêve) lui sembla prodigieux. Il était fort troublé, il craignait abominablement les conséquences de ce qui lui avait été dévoilé. Il en discuta, en débattit maintes fois. Il en parla au roi de ce pays qui se nommait Alain et qui était un de ses parents proches. Le roi envoya des messagers dans tout son territoire et convoqua tous les sages lettrés. Il leur raconta la vision du roi Cadwalader et ils se mirent à en débattre, à en discuter. Ils lui conseillèrent de faire tout ce que Dieu lui avait indiqué. C'est pourquoi il abandonna ses navires et ses hommes pour suivre sa destinée et son dessein. [16042]

(Cadwalader) demanda à chacun de faire silence. Yni et Yvor lui étaient tous les deux chers. Yvor était son beau-fils et Yni le fils de sa soeur. (Cadwalader) les aimait tous les deux, il était attaché aux deux. L'un et l'autre étaient d'éminents chevaliers. Ainsi parla Cadwalader - le roi de G.Bretagne : "Yvor et Yni, vous descendez tous les deux de mon peuple. Ecoutez ce que j'ai à raconter. Maintenant vous (=les Bretons) ne connaîtrez plus le malheur ; du ciel, j'ai reçu un signe de dieu. Je vais partir pour Rome et me rendre à la cour de l'excellent pape. Le pape s'appelle Sergius, il vit dans la maison de Pierre. Il me bénira et m'absoudra, ainsi que ma femme, et nous passerons là les jours qui nous mèneront à notre mort. D'ici la fin des temps, vous ne me verrez jamais plus. Je vous donne la terre galloise que j'ai encore en ma possession. Prenez cette grande armée, rejoignez ce territoire et détenez le avec joie aussi longtemps que vous pourrez le défendre. Et je vous demande instamment tous les deux, au nom du Roi des cieux, de vous aimer comme deux frères. Gardez ce pays jusqu'à la fin de vos vies, possédez le avec joie, puis tous vos enfants. Yni, tout ceci avait été prévu comme vous allez pouvoir vous en rendre compte : Merlin, plein de sagesse, avait annoncé ma mort et mes soucis extrêmes. Et Sybille, pleine de sagesse, avait écrit que je ferais la volonté de mon Seigneur. Que chacun suive maintenant sa route et au-revoir à tous". [16068]

Cadwalader progressa jusqu'à Rome où il trouva Sergius, le bon pape. Celui-ci donna l'absolution à Cadwalader qui était le roi de G.Bretagne. Le souverain ne demeura là que le cinquième d'une moitié d'année. Puis il tomba malade selon la volonté de Dieu. Onze jours avant le mois de mai, il quitta cette vie et son âme monta auprès du Roi des cieux. Ses os sont solidement enfermés dans un cercueil doré et ils resteront là jusqu'aux jours déterminés autrefois par Merlin. [16078]

Tournons-nous maintenant de nouveau vers Yni et son parent Ivor. Ils partirent avec cinq cents navires. Le voyage ne fut pas long jusqu'au Pays de Galles. Tous les Bretons étaient dispersés ; ils avaient trouvé refuge dans des cavernes, rochers, églises, monastères, forêts et montagnes. Ils apprirent rapidement que, par dix fois, cinquante navires remplis de très valeureux Bretons, avec Ivor et Yni (à leur tête) avaient rejoint le pays. De toutes parts, ces Bretons partirent s'établir au Pays de Galles où ils vécurent avec leurs lois et leurs coutumes. Ils y vivent toujours et y vivront à jamais. Et les rois anglais gouvernèrent nos régions, les Bretons perdirent ce pays et cette nation si bien que jamais plus leurs rois ne furent dans ce territoire. Pour l'instant, cela n'a pas changé. Que l'avenir soit tel qu'il est prévu. Que soit ce qui doit être ! Que la volonté de Dieu soit faite ! Amen. [16096]